Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Dégueulasse et Fumier, une heure plus tôt, s’étaient tranquillement cachés dans le musée des uniformes installé aux Invalides. Ils en étaient sortis aux environs de neuf heures du soir. Une lucarne ouverte leur avait permis de descendre sans difficulté sur la toiture d’un petit bâtiment. De là, en hommes qui connaissent le chemin, ils s’étaient dirigés sans hésitation vers d’énormes crampons de fer scellés dans une muraille qui leur avaient servi d’escalier.

Dégueulasse et Fumier, invisibles dans la nuit, s’étaient hissés par ces crampons. Leur ascension avait été pénible et n’avait pas été dépourvue de péril. Il leur avait fallu grimper longuement et ils étaient à bout de souffle lorsqu’ils parvenaient dans une vaste gouttière où Fumier perdait son fond de culotte.

Dégueulasse paraissait ne pas porter attention aux mésaventures de son compagnon.

— Bon, bon, gueule pas ! conseillait-il. Mets-y un bouchon cacheté, ma vieille ! Des fois, ça n’a pas d’importance, l’essentiel est que maintenant on touche au turbin. As-tu les outils, nom de d’là ?

— Bien sûr, que je les ai !

Ils avancèrent encore. Une échelle de fer leur servit opportunément à se hisser à nouveau.

— Qu’est-ce que c’est que ce toit-là ? interrogea Fumier.

— Le toit de la chapelle, c’est là-dedans qu’il y a les drapeaux.

Dégueulasse paraissait très renseigné, il continuait :

— On a plus loin à aller, ma vieille. Tiens, la v’là, la coupole.

En suivant le toit de la chapelle, en effet, ils arrivaient au dôme qui surmonte le tombeau de l’Empereur.

Fumier alors s’arrêtait, interdit, les bras ballants.

— Ah, nom de d’là, faisait-il. Et quand j’pense que c’est en or !

Il ne continuait pas. L’énorme coupole, immense, gigantesque, le plongeait dans une stupéfaction ravie.

Jamais Fumier n’aurait inventé pareille chose. Jamais il n’aurait cru pareil prodige…

— Vrai, remarquait-il, si c’était pas Fantômas qui nous l’avait dit, je te jure bien que je ne l’aurais pas cru !

Et, trouvant la chose énorme, Fumier éclatait de rire.

— C’est tout de même une drôle d’idée, bougonna-t-il, d’avoir été fiche des plaques d’or sur une toiture ! Fallait-il qu’ils y tiennent à leur empereur !

Fumier aurait volontiers causé longuement, mais Dégueulasse, ce soir-là, avait une âme de travailleur.

— Bon, bon ! bougonnait-il, t’occupe pas de ça, mon poteau… C’est d’la politique, et la politique, on s’en fout…

Dégueulasse ajoutait d’un air bonhomme :

— L’important, vois-tu, ma vieille, c’est que l’dôme des Invalides, c’est d’l’or, et que cet or-là, Fantômas en a besoin. Paraît que ça rentre dans des combines qu’il est en train de manigancer. T’as les sacs ?

Mais Fumier ne répondait pas. Fumier, brusquement, s’était jeté à plat ventre sur la toiture dorée. Il étendait les bras, il palpait le métal précieux.

— C’est de l’or ! râlait-il. Dire que c’est de l’or !

Alors Dégueulasse se moqua de lui :

— Bougre d’âne, faisait-il. C’est pas la peine de l’embrasser, cet or-là, ma vieille, elle viendra pas avec toi… As pas peur, tu voleras pas la toiture ! Tu la vol’ras pas en entier, s’entend… car pour c’qui est d’emporter les morceaux, c’est autre chose ! T’as les sacs ?

Fumier avait les sacs. Il s’agissait de deux grands fourreaux de soie qu’il avait enroulés autour de son corps. Il tendit l’un à Dégueulasse et garda l’autre.

— Alors, on s’met au travail ?

— Oui, ma vieille, on s’y colle !

— Sûr qu’on va avoir des ampoules…

— Ça t’gêne, madame la marquise ?

— Non, j’m’en fous, mais ça m’dégoûte !

Il n’était évidemment pas habitué à avoir de pareilles traces sur ses mains, qu’il ne fatiguait pas souvent à de rudes besognes.

Dégueulasse, cependant, s’était emparé d’une lime, d’un ciseau à froid et d’un marteau. Il attaquait alors le dôme, il en découpait des morceaux, des rognures, il en raclait le métal précieux.

— C’est tout de même malheureux, grondait alors Dégueulasse, cependant que Fumier l’imitait, c’est tout d’même malheureux d’penser qu’on va remplir ces sacs-là d’or et que Fantômas, pour not’peine, nous aboulera tout juste quelques sous ! Ah, il est généreux, l’mec !…

Mais Fumier n’était pas de cet avis.

— D’abord, faisait-il, on n’sait pas c’que Fantômas donnera. D’autre part, y a quelque chose de sûr et d’certain, c’est que sans lui on n’aurait jamais pensé à venir ici… Et enfin, ma vieille, c’est entendu qu’on raboule de l’or, mais on s’rait joliment empêché s’il fallait le fourguer… Donc, on a tout intérêt à traiter avec le patron…

Ils travaillèrent longtemps. Leurs sacs se remplissaient. Ils avaient pourtant à peine ébréché un peu du dôme, une plaque d’un mètre peut-être. Cela enthousiasmait Fumier.

— Mince de pépites ! disait-il. Et comment, qu’on l’a trouvée, la mine d’or ! On en a pour cent dix ans, bien sûr, avant d’avoir épuisé le lingot…

Fumier, à ce moment, pliait en hâte les sacs, les liant avec des ficelles.

— On n’en a pas pour cent dix ans avant d’être trempés comme des potages, en tout cas ! V’là qu’y lansquine…

Il pleuvait, en effet, il pleuvait maintenant par rafales, toute une averse qui cinglait et remplissait les gouttières.

— Eh bien, c’est gai ! dit Dégueulasse. On a choisi la température… Mince, alors, cavalons ! Moi, j’en ai marre, de la flotte, je n’l’aime pas plus d’ssus que d’dans…

Il était certain que si Dégueulasse disait vrai, il ne devait guère aimer la pluie. Il buvait en effet fort rarement un verre d’eau, si toutefois il en buvait jamais.

Les deux compagnons alors entreprirent de redescendre. Chacun d’eux portait un sac rempli de rognures d’or. En ouvriers méticuleux, ils avaient tranquillement rangé les outils dans la gouttière du dôme, ne se donnant pas la peine de les emporter, car ils étaient bien décidés à revenir.

Dégueulasse, le premier, toucha le sol. Il était trempé, il se secoua. Fumier, à ce moment, le rejoignit :

— On va s’payer deux litres à douze ! murmurait-il.

Ils causaient ainsi tranquillement, prêts à sortir des Invalides par une petite porte basse dont ils s’étaient procuré la clef, lorsqu’à l’improviste, tout près d’eux, ils entendirent une vieille voix hurler :

— Préparez-vous à charger… Chargez !

Dégueulasse sursauta. Fumier jura.

— Bon, qu’est-ce qui s’passe ?

À ce moment, les béquilles hautes, les mains en avant, des cannes tournoyant autour de leur tête, un groupe d’invalides fonçait sur les deux voleurs.

— Flûte ! jura Fumier. V’là les débris qui s’réveillent !

Dégueulasse, à ce moment, ordonnait :

— Cavalons, mon poteau, cavalons ! Avec le foin qu’ils font, sûr que les pompiers vont rappliquer !…

Dégueulasse et Fumier eurent tout juste la peine de décocher trois ou quatre coups de poing. Il y eut de sourds jurons, une courte lutte. Radrap était tombé par terre, il jurait comme un fou. Croquemitaine, de son côté, geignait qu’il avait sûrement reçu un coup de sabre. Un autre prétendait avoir eu la poitrine trouée par un boulet.

Dans la bande des invalides, ce fut une véritable panique.

Un quart d’heure plus tard cependant, à la chambrée, ils discutaient leurs exploits.

— Enfin, tout d’même, grondait Radrap, on n’pourra plus dire à la place qu’il ne se passe rien et que nous avons le cauchemar ! La meilleure preuve qu’il se passe quelque chose, c’est que Croquemitaine a l’œil poché, que Ravon a la jambe cassée – il s’agissait d’une jambe de bois – et que j’ai reçu des coups de poing qui m’ont enfoncé les côtes. Ce sont des preuves, cela !

Le lendemain, la place, comme ils disaient, les fit gronder tous très fort. Il y avait six cas de bronchite. Cela n’avait pas le sens commun, aussi, de s’en aller rôder la nuit avec des prétextes de l’autre monde ! S’il n’étaient pas sages, on les suspendrait de leurs grades !

47
{"b":"176527","o":1}