— Prenez donc ce vase de fleurs et jetez-le par terre ! Il faut que l’on croie à une lutte. Tiens, une idée… Brisez sur vos genoux cette petite chaise. Du diable si les magistrats devinent ce que cela veut dire !…
Mix poussait bientôt un véritable hurlement de satisfaction.
— Ah ! par exemple, faisait-il… quand je pense que nous allions laisser cela derrière nous…
Il agitait triomphalement un chapeau melon qu’il venait de trouver, entouré d’un scellé, sur la table de la salle à manger. Ce chapeau melon était marqué des initiales de Léon Drapier.
— C’est à vous ? interrogea le policier.
— Oui, répondit le directeur de la Monnaie. Je vous ai d’ailleurs dit que l’autre jour, dans ma précipitation à fuir, je m’étais trompé de chapeau. J’ai pris celui du bandit qui a dû tuer et j’ai laissé le mien…
Mix haussa les épaules.
— Cela ne va plus avoir la moindre importance, décidait-il.
Et le chapeau sauta dans la cheminée, où il brûla rapidement…
Léon Drapier cependant n’avait pas prévu le geste, et désormais tremblait d’effroi.
— Mon Dieu ! murmurait-il, que faites-vous là ? Ce chapeau était sous scellés, par conséquent…
— Par conséquent, quoi ?
— Par conséquent, la police s’apercevra qu’il a disparu !
Léon Drapier était très ému, Mix demeurait calme.
— Eh, je l’espère bien ! riposta le policier, qu’on s’apercevra de la disparition de ce chapeau !…
Puis, prenant le directeur de la Monnaie par les revers de son veston, il lui expliquait brusquement :
— Mais comprenez donc mon plan sapristi !… En ce moment, toutes ces affaires sont claires, et toutes ces affaires tendent à conclure à votre culpabilité. Bon, qu’est-ce que je fais, moi ? J’embrouille tout. Quand j’aurai tout embrouillé, il est évident que l’on ne comprendra rien à ce qui s’est passé. Et, quand on n’y comprendra plus rien, on ne pourra pas vous soupçonner…
Mix, en réalité, embrouillait en effet les choses de façon extraordinaire. Quelques instants plus tard, comme il indiquait à Léon Drapier qu’il était temps de se retirer si l’on ne voulait pas s’exposer à une rencontre avec la magistrature officielle, susceptible de venir perquisitionner à midi, Mix continuait :
— Et maintenant, toute la lyre !… Nous allons faire les traces d’un nouvel attentat !
Le policier allait cérémonieusement fermer la porte de la chambre de Paulette, puis il tirait de sa poche le revolver que lui avait confié Drapier et, tranquillement, lâchait cinq coups dans les battants de bois après s’être assuré toutefois que l’arme était de petit calibre et n’allait pas faire un bruit tel qu’on pût s’en émouvoir dans l’immeuble.
— Voilà ! déclarait alors Mix en se frottant les mains. Si maintenant la magistrature arrive à vous faire endosser la responsabilité de ce crime-là, je veux bien être pendu !…
Les deux hommes sortirent de l’appartement sans encombre, Mix était arrivé, habile d’une manière remarquable, à fermer la porte qui ne présentait même point de traces d’effraction.
— Où allons-nous, maintenant ? demanda Léon Drapier.
Le pauvre homme était toujours quelque peu ahuri.
L’extraordinaire enquête que venait de faire en sa compagnie le policier Mix avait achevé de lui faire perdre le peu de sang-froid qui lui restait. Il sursauta en écoutant la réponse du policier :
— Bon ! disait Mix, nous venons de régler une première affaire, nous venons d’embrouiller à merveille la tentative d’assassinat dont a été victime votre maîtresse ; reste encore le crime de votre valet de chambre. Nous retournons chez vous, cher monsieur, nous allons faire à votre appartement exactement ce que nous avons fait ici. Mêler tout, brouiller tout, rendre tout indéchiffrable !…
Léon Drapier, cependant, sursautait encore :
— Mais, protestait-il, cela n’est pas possible, à la fin !… Votre audace me bouleverse !… Monsieur Mix, vous ignorez que, chez moi, tout a été mis sous scellés, il y a les scellés sur la porte de la pièce où l’on a retrouvé le cadavre…
— Eh bien ? demanda Mix.
— Eh, bien, l’on n’entre pas !…
Mix, pour toute réponse, haussait les épaules, et fouillait dans sa poche de façon significative.
Il en tira une bande de toile, de la cire rouge, une sorte de cachet aussi.
— Les scellés, mon cher monsieur, expliquait Mix, cela s’enlève et cela se remplace. Vous voyez que j’avais prévu la difficulté et que j’ai le matériel nécessaire !
Mix éclatait d’un petit rire discret, probant témoignage de sa parfaite tranquillité d’âme, il frappait brusquement sur l’épaule du directeur de la Monnaie.
— Mais ne vous faites donc pas de mauvais sang ! affirmait Mix. Puisque je vous dis qu’on trouvera le coupable et que je vous sauverai !
Cet étrange et audacieux policier parlait avec un tel sang-froid, une si complète assurance que Léon Drapier finit par hocher la tête, répondant à voix basse :
— Ah ! monsieur Mix, cher monsieur Mix, je serais joliment content si vous pouviez dire la vérité, et je vous remercie de tout mon cœur de ce que vous faites pour moi !…
X
Au zanzibar
— Et alors, père Martin ? Quel numéro c’est-il, celui-là ?
— Comment, père Jules ! Vous n’le r’connaissez pas ? C’est le numéro quatre…
— Ah oui ! Celui que vous avez depuis six mois !…
— Celui-là même, père Jules. Et, entre parenthèses, j’espère bien l’garder six mois encore !
Jules, le facteur, en écoutant cette réponse, ne retenait pas un grand éclat de rire joyeux.
— Farceur !… faisait-il. Vous n’allez pourtant pas me jurer que vous pleureriez toutes les larmes de votre corps si le numéro quatre allait faire un tour au cimetière !…
L’idée devait être plaisante, car le père Martin éclatait de rire, d’un grand rire de brave homme.
— Ma foi, ripostait-il, le fait est que j’me moque pas mal qu’ils claquent, en général, mes numéros !… Mais en ce moment, tout de même, cela me ferait deuil de voir filer celui-là… L’Assistance devient d’plus en plus sévère, y a des tournées d’inspection, et j’ai comme une idée qu’y va falloir qu’on soit un peu sérieux dans le pays !
Il riait encore, puis il proposait :
— Un verre de vin, père Jules ?
— Si vous voulez, père Martin !
Le père Martin leva son énorme main calleuse et, d’une gifle formidable, éveilla l’attention du numéro quatre.
— Allez, ouste !… deux verres, et la bouteille ! Tu m’comprends, hein ? Tâche voir à filer droit !
Le numéro quatre était un garçonnet de six à sept ans qui avait bien la plus délicieuse figure que l’on pût imaginer. C’était un véritable chérubin à la chevelure blonde, toute bouclée, aux grands yeux bleus innocents, à l’air intelligent, qui sans doute eût été un charmant enfant s’il n’avait paru vivre perpétuellement dans une angoisse profonde, le bras à demi levé à la hauteur du visage, et cela pour éviter, autant qu’il le pouvait, les gifles, les taloches dont il était incessamment gratifié.
— Allez, file, numéro quatre !
Le père Martin commandait dur, et le numéro quatre n’avait garde de se faire répéter deux fois l’ordre.
Il disparaissait à l’intérieur de la maisonnette, courant aussi vite qu’il le pouvait, cependant que le facteur, s’adossant à une haie, soulageant un peu ses reins fatigués en déposant son énorme boîte à lettres, demandait d’une voix sympathique :
— Et ça va-t-il comme vous voulez, le commerce ? Ça rentre-t-y les échéances ?
— Peuh !… Vous savez… c’est bien aléatoire !
Le père Martin, désormais, faisait une moue désabusée, cependant qu’un pli soucieux barrait son front d’une ride de mécontentement.
— Pour ce qui est d’avoir des gosses, avouait-il, y en a ! Pour ce qui est de ne pas être trop embêté par l’Assistance, on peut reconnaître qu’on n’est pas trop embêté… Seulement, dame, voilà… C’est précisément tout de l’Assistance en ce moment qu’on a, et dame, ça ne paye pas gros !