— Tenez, je vous promets, moi, de vous tirer d’affaire. Êtes-vous content, maintenant ?
Léon Drapier ne paraissait, malgré tout, qu’à demi rassuré.
— Les apparences sont contre moi, soupirait-il.
Cela précisément ne semblait pas émotionner outre mesure le policier.
— Bah ! les apparences ! faisait-il, cela se change !…
Et comme Léon Drapier le regardait avec une émotion non dissimulée, M. Mix continuait, faisant évidemment preuve d’un extraordinaire sang-froid :
— C’est entendu, mon pauvre ami, que les apparences sont contre vous, mais c’est précisément parce que toutes les apparences vous chargent que je tiens votre innocence pour certaine. Or, du moment que je suis convaincu de votre innocence, je n’aurai aucun scrupule d’imposer ma conviction, le fût-ce par la force et par la ruse, au monde entier. Donc…
M. Mix s’interrompit, mais Léon Drapier le questionnait déjà :
— Donc ? faisait-il, qu’alliez-vous dire ?
M. Mix se leva.
— Donc, fit-il, en prenant son chapeau, nous changerons les apparences, et voilà tout…
Puis il interrogeait brusquement :
— Êtes-vous libre, ce matin ? Il faut que vous soyez libre.
Le directeur de la Monnaie était si bien affolé par les événements tragiques qui se déroulaient chez lui depuis quelque temps qu’il eut une réponse qui, en réalité, suffisait à prouver son inquiétude :
— Je suis certainement libre, déclarait-il, s’il le faut. Dans un cas pareil, on envoie tout promener.
— Naturellement, conseilla M. Mix. Eh bien, habillez-vous.
— Où allons-nous donc ?
Le policier Mix déclara froidement :
— Chez Paulette, chez votre ancienne maîtresse, chez cette malheureuse Paulette de Valmondois !
Vingt minutes plus tard, sans avoir trop eu le temps de se reconnaître et de réfléchir, Léon Drapier se trouvait dans un fiacre en compagnie de M. Mix, les deux hommes allaient rue Blanche.
Léon Drapier, toutefois, au fur et à mesure que la voiture avançait, manifestait de nouvelles inquiétudes.
— Mon Dieu, demandait-il, qu’allons-nous faire chez Paulette ? N’est-il pas très imprudent d’y aller ? Voyons, M. Mix, si jamais la police faisait une enquête et nous trouvait là ?
Mais à cette supposition, un sourire énigmatique passait sur le visage du détective.
— N’ayez aucune crainte, affirmait-il, cela ne se produira pas, d’ailleurs, je suis renseigné.
Une autre réflexion venait alors à la pensée de Léon Drapier.
— Comment ferons-nous pour entrer dans l’appartement ? interrogeait-il. Je n’ai pas les clefs de Paulette, et je pense qu’après le crime c’est la police qui les a emportées. Nous allons être à la porte.
M. Mix eut encore un sourire ironique.
— Bah ! nous verrons bien, répondit-il. Avec moi, vous savez, on ne reste pas à la porte…
Léon Drapier devait, en effet, s’en convaincre quelques instants plus tard. Le fiacre s’était arrêté rue Blanche, suivant les instructions du policier, deux numéros avant l’immeuble tragique.
Mix payait, affirmait à Léon Drapier avec une belle générosité que cela rentrait dans ses frais généraux, et qu’il le rembourserait à la fin de l’enquête, puis il donnait au directeur de la Monnaie ses dernières instructions.
— Inutile de risquer que l’on nous voie tous les deux. Entrez le premier, je vous rejoindrai dans une minute.
Quelques secondes plus tard, en effet, le policier rejoignait Léon Drapier sur le palier de l’appartement de Paulette.
Mix, en arrivant, posait sa main sur l’épaule du directeur de la Monnaie.
— Au fait, demandait-il, vous avez un revolver ?
— Oui, pourquoi ?
— Passez-le moi donc.
La physionomie de Léon Drapier marquait un tel étonnement, à cette demande, que le détective dut s’expliquer.
— Oh ! faisait-il, n’ayez crainte, ce n’est pas pour m’en servir, au contraire. Seulement, comme ce que nous allons tenter est quelque peu risqué et que nous sommes exposés à rencontrer quelque gêneur, j’aime autant que vous n’ayez pas d’arme sur vous.
Et Mix expliquait encore, goguenard :
— Vous êtes nerveux, impressionnable, vous pourriez vous émotionner, tirer sans le vouloir, et cela compliquerait singulièrement les choses…
Le revolver de Léon Drapier disparut dans la poche du détective qui était évidemment un homme prudent et devait conduire l’extraordinaire enquête qu’il menait suivant un plan bien arrêté.
Mix, d’ailleurs, ne perdait pas son temps.
À l’ébahissement de Léon Drapier, il sortait tranquillement de sa poche un petit outil dont l’acier miroitait.
— C’est une pince monseigneur, expliquait tranquillement le policier.
Il glissait l’instrument sous le vantail de la porte, effectuait une pesée, soulevait les targettes ; un instant plus tard, Mix ayant opéré avec une adresse de cambrioleur professionnel, les deux hommes étaient dans l’appartement de Paulette de Valmondois.
À ce moment, Léon Drapier questionna :
— Et que sommes-nous venus faire ici ?
— Rien, riposta Mix. Un tour… Nous sommes là, tout simplement, cher monsieur, pour changer les apparences, je vous l’ai dit.
Et Mix s’employait en conscience, en effet, à bouleverser ce qu’il appelait les apparences.
Il guidait Léon Drapier et lui faisait effectuer toute une série de besognes dont celui-ci était loin de soupçonner l’importance.
— Voyons, demandait le policier, vous écriviez à votre maîtresse de temps à autre ? Savez-vous si elle gardait vos lettres ? Savez-vous surtout où elle les mettait ?
— Ici, riposta le directeur de la Monnaie, dans ce petit secrétaire. Tenez, les voilà.
— Déchirez-moi tout cela, ordonna le policier. Jetez-moi tout cela dans la corbeille à papier.
Mix, quelques instants plus tard, demandait :
— Vous n’aviez pas, par hasard, des objets personnels, dans cet appartement ? des vêtements ? du linge ?
— Si, protesta Léon Drapier. J’ai un habit dans une armoire et quelques faux-cols.
— Brûlez ! Brûlez ! ordonna le policier.
Un feu flamba dans la cheminée ; quelques instants plus tard, Léon Drapier sacrifiait son habit.
Mix, alors, s’occupait à une autre besogne.
— Il serait fort intéressant, disait-il à son compagnon, que l’on pût imaginer un motif plausible au crime dont Paulette de Valmondois a été victime. Vous êtes au-dessus d’un vol, mon cher ami ; par conséquent, si l’on trouvait des traces de vol, cela certainement tendrait à vous innocenter. Savez-vous où Paulette mettait ses bijoux, son argent ?
— Dans l’armoire à glace, bégaya Léon Drapier.
— Fracturez-la ! Volez le tout ! Parbleu, vous rendrez au centuple ces choses à votre maîtresse lorsqu’elle sera rétablie !…
— Naturellement, concéda Léon Drapier.
Le directeur de la Monnaie, cependant, apparaissait quelques instants plus tard fort embarrassé lorsqu’il s’agissait d’écouter les conseils de Mix et, comme le lui avait enjoint le policier, de fracturer l’armoire à glace.
— Comment procéder ? demandait-il.
— Comme bon vous semblera ! ripostait le policier. Si je vous donnais des conseils, cela ne serait plus intéressant. La police devinerait un tour de main.
L’observation parut juste à Léon Drapier, qui s’escrima immédiatement contre l’armoire à glace et s’étant armé d’un fer à repasser, parvint à défoncer la porte.
— Mon Dieu ! murmurait de temps à autre le pauvre directeur de la Monnaie, quelle invraisemblable histoire !… Ah ! monsieur Mix, monsieur Mix, je me demande si vous me tirerez de là !
Une seule chose rendait d’ailleurs un peu confiance au directeur de la Monnaie. C’était précisément le calme profond de son compagnon, le sang-froid merveilleux dont semblait faire preuve le policier qui s’était chargé de l’innocenter.
Mix, les deux mains dans ses poches, allait et venait dans l’appartement. Il ne touchait à rien, mais il avait l’œil à tout. Et c’était perpétuellement des conseils qui ahurissaient Léon Drapier.