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Fandor, les bras chargés de prospectus, de journaux, de lettres, qu’une ironique mention indiquait comme « urgentes », était monté à son appartement et s’était tranquillement installé assis en tailleur sur le plancher pour lire son volumineux courrier.

— Les lettres urgentes, avait commencé par déclarer Fandor, ont ceci de bon qu’elles n’ont plus aucun intérêt pour moi. Puisqu’elles étaient urgentes, c’est qu’il fallait les lire dans les deux ou trois heures de leur arrivée à mon domicile, or, elles me parviennent avec quinze jours de retard, donc, laissons-les de côté.

Les lettres urgentes repoussées, Fandor avait encore écarté les prospectus et les journaux, dont il se souciait peu. Deux ou trois lettres d’amis l’avaient médiocrement attiré d’autre part, et il avait encore évité de lire ces écritures familières.

En revanche, du tas des lettres, tombait une série de télégrammes qu’il se hâta de décacheter. Le premier lui arrachait une exclamation de surprise :

Ce télégramme disait :

Viens d’urgenceImpérial Hôtel Biarritz.

C’était signé : Juve.

— Oh, oh, s’exclama Fandor, et c’est daté d’hier. Il n’y a pas à hésiter, c’est bien ce que je disais à ma respectable concierge : il faut que je reparte.

Un second télégramme, daté de l’avant-veille et émanant aussi de Juve, était non moins mystérieux :

Je t’attends le plus vite possible à Beylonque, Landes. Arrive.

— Décidément, remarquait Fandor, Juve a besoin de moi. Le pauvre, il doit se demander pourquoi je ne suis pas arrivé plus tôt.

Une autre dépêche, une première, avait dû être envoyée au moment où l’affaire Granjeard avait trouvé sa solution :

F… disparu, Granjeard innocentés. Havard m’expédie éclaircir une affaire mystérieuse, je te tiendrai au courant. Juve.

Cette troisième dépêche en mains, Fandor perdit quelques minutes à réfléchir, à méditer. Puis, avec son impétuosité de caractère habituelle, il se redressa et commença par jurer, saisi d’une subite et ironique colère :

— Ah bien, elle est raide, celle-là, murmurait le jeune homme, et l’on m’y reprendra à me balader sur des toitures vitrées pour, de là, tomber dans des bras de femme-médecin. Cette sacrée M me Olivet, avec son histoire de jambe cassée, vient de me jouer un sale tour. D’après ce que je trouve ici, Juve est encore lancé dans une série d’aventures intéressantes, et tandis que je buvais des tisanes trop sucrées, il avait besoin de moi et il m’appelait. Bougre de nom d’un chien ! Et de plus, Juve me parle de Fantômas. Crédibisèque !

Au même moment on sonnait à la porte du petit appartement. Fandor courut ouvrir, un télégraphiste lui tendit une formule dont il déchira le pointillé en hâte. C’était une nouvelle dépêche de Juve.

Suis très inquiet de ne pas te voir, disait le policier, viens, il s’agit de F…, télégraphie si tu es malade.

Il s’agit de F… ?

Dans toute la dépêche, Fandor ne vit que cette ligne en apparence insignifiante. Mais F…, dans le langage convenu dont Juve et lui se servaient, désignait Fantômas. Si Juve télégraphiait à deux reprises différentes qu’il s’agissait de F…, c’est qu’une fois encore, le policier était sur la piste du bandit, c’est qu’aussi Juve avait réellement besoin de Fandor.

— Comment diable le prévenir ? songeait le journaliste, comment lui dire que j’arrive ?

Par mesure de sûreté, en effet, il était depuis longtemps entendu entre les deux amis que lorsqu’il s’agissait d’affaires policières, ils ne devaient jamais, l’un ou l’autre, se télégraphier, sauf à leur domicile parisien. D’après cette convention, Fandor ne devait pas envoyer de dépêche à Juve, et cela était assez naturel, car il était logique de redouter qu’un autre avant Juve prît connaissance du télégramme.

— Tant pis, murmurait Fandor, après avoir réfléchi, il m’attendra encore aujourd’hui, parbleu. Il y a un train ce soir, je serai demain matin, pas trop tard, auprès de mon vieil ami, et à nous deux…

Fandor n’acheva pas. Une hâte fébrile s’emparait de lui.

Quatre à quatre, il dégringolait ses étages, allait chercher sa concierge, l’appelait :

— Eh, jolie Madame, Vénus manquée, tâchez de vous grouiller un peu. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, je pars en voyage. Il faut faire ma valise, allez, hop ! Soyez aussi leste que vous êtes belle.

La brave femme qui était la concierge de Fandor n’était plus à s’étonner des écarts de langage. Elle savait de longue date que Fandor plaisantait toujours et que si, en apparence, il semblait se moquer d’elle, en réalité, il était bon garçon et tâchait de lui donner satisfaction chaque fois qu’elle avait besoin de lui.

— Voilà, voilà, Monsieur Fandor, je monte tout de suite ! Sortez les affaires dont vous avez besoin, je vais venir vous les ranger dans votre valise.

Fandor, en toute hâte, remontait ses étages. Mais quand, un quart d’heure plus tard, la brave concierge, ayant fini de préparer son dîner, monta rejoindre le journaliste, elle le croisait qui descendait quatre marches par quatre marches, traînant un lourd et grand sac.

— Seigneur, Dieu, Jésus, s’écria la pipelette, vous êtes donc prêt, Monsieur Fandor ? Vous avez donc fait votre valise ?

— Parbleu, répondit le journaliste, passant en trombe, j’ai tout pris et j’ai tout flanqué dedans au hasard. Dame, ça doit être une jolie salade. Mais ça n’a pas d’importance. J’ai un train dans une demi-heure, il ne faut pas que je le manque.

— Et vous allez loin ?

— Je ne sais pas.

— Vous reviendrez bientôt ?

— Je l’ignore.

— Mais vos lettres ? Votre courrier ?

— Zut !

Sur cette dernière réponse péremptoire, Fandor, qui avait atteint le bas de l’escalier, se hâta de sortir de chez lui. Il héla un fiacre, lui jeta l’adresse de la gare, puis enfin souffla un peu.

— Tout de même, murmurait Fandor, quand je pense que mon rêve est d’arriver à devenir gras, je crois qu’il serait bon que j’y renonce. Quelle vie, seigneur Dieu, quel métier !

À la gare, Fandor ahurissait la buraliste préposée à la distribution des billets :

— Donnez-moi un aller première classe pour Biarritz, demandait-il, je vais me faire réserver un wagon couchette, mais j’exige qu’il n’y ait avec moi ni curés, ni femmes. Tous les curés que j’ai connus, et je n’en ai d’ailleurs connu qu’un seul, étaient d’abominables bandits. Quant aux femmes, je suis si joli garçon qu’elles deviennent amoureuses de moi et cela me casse bras et jambes, ou plutôt non, les jambes seulement. Vous comprenez, Mademoiselle ?

La jeune préposée, évidemment, ne comprenait pas. Sans mot dire, elle donna à Fandor le billet que celui-ci réclamait, et Fandor la supplia, en réponse, de bien faire attention à ses paroles.

— Surtout, lui criait-il, surtout, ne vous mettez pas à m’aimer, cela ne servirait à rien, j’ai les deux jambes solides, et je suis très pressé. Bonsoir !

Fandor, à la vérité, était d’excellente humeur. Il adorait les voyages d’abord, et ce n’était pas un déplaisir pour lui, tout au contraire, que d’embarquer à bord du Sud-Express et de s’en aller jusqu’à Biarritz. Enfin, à Biarritz, Juve l’attendait, Juve l’attendait impatiemment même. Le policier, d’après ses propres dires, étudiait d’importantes affaires, se débattait avec des mystères compliqués, c’était largement suffisant pour que Fandor fut enchanté d’aller le rejoindre, pour qu’il se sentît guilleret et satisfait.

— Dans combien de temps le départ exactement ? demanda-t-il au chef de train.

— À trente-trois, Monsieur.

— Je le pense bien, ripostent Fandor, tous les trains partent à trente-trois ou à quarante-deux. Mais quelle heure est-il ?

— Trente et une, Monsieur.

— Décidément, je suis exact.

Dans l’une des luxueuses voitures du rapide, Fandor s’introduisait avec peine, car sa valise, fort lourde et fort encombrante, ne pouvait facilement passer par l’ouverture des petites portes et le long des couloirs étroits.

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