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Pourquoi donc M me Olivet voulait-elle ainsi le retenir chez elle ?

Parbleu, la chose était simple à comprendre, du moment qu’elle était amoureuse. Fandor, non seulement par crainte des assauts redoutables qu’il avait à subir, désirait s’en aller au plus vite, mais encore il était inquiet, préoccupé. Qu’était-il advenu de Juve, de Fantômas, et surtout d’Hélène ?

Le journaliste n’en savait rien. À plusieurs reprises, il avait demandé à M me Olivet de lui faire venir son courrier, M me Olivet avait répondu que la commission était faite, et qu’il n’y avait pour Fandor, à son domicile, ni lettres ni télégrammes.

— C’est invraisemblable, pensait le journaliste, quelqu’un capte mon courrier, et il n’en avait que plus envie de partir.

Fandor, ce jour-là, après sa dernière expérience, qu’il considérait comme concluante, et convaincu que sa guérison était désormais chose faite, s’était décidé à quitter M me Olivet, à renoncer à l’hospitalité qu’elle lui avait offerte, voire même imposée.

— Ce soir, songeait Fandor, au plus tard demain, je quitterai cette maison.

Le journaliste, toujours seul, avait machinalement déplié un journal et, d’un œil distrait, en parcourait les colonnes, lorsqu’un petit entrefilet perdu dans les faits-divers attira son attention.

Il était dit en substance, dans cet article, que l’inspecteur de la Sûreté Juve avait, depuis quarante-huit heures, éclairci le mystère qui préoccupait les paisibles populations du département des Landes.

Juve avait identifié, dans une maison isolée du voisinage de Beylonque, les restes d’une femme et reconnu qu’ils appartenaient à une pierreuse de Paris connue, croyait-on, sous le nom de Fleur-de-Rogue.

C’était la première fois que Fandor, depuis quinze jours, découvrait dans les journaux quelque chose se rattachant aux intrigues auxquelles il songeait.

Après avoir lu ces lignes, Fandor tressaillit. N’avait-il pas appris, quelques jours avant sa chute intempestive dans la demeure de M me Olivet, que Fleur-de-Rogue avait subitement quitté Paris en compagnie d’Hélène, qui emmenait avec elle, disait-on, le fils de Didier Granjeard et de Blanche, pour le mettre à l’abri ? Or, voici qu’on apprenait que Fleur-de-Rogue était morte, morte peut-être assassinée. Qu’était-il advenu, dans tout cela, d’Hélène ? Fandor, cette fois, n’hésita plus.

— C’est fou, c’est lâche, grommela-t-il, de m’être ainsi laissé aller à cette inaction. Je ne suis pas plus malade que le Pont-Neuf, ma jambe est plus solide que l’Arc de Triomphe. Ne restons pas ici une minute de plus. J’ai déjà perdu trop de temps. Il se passe sûrement quelque chose d’extraordinaire, comment se fait-il que je n’aie pas de nouvelles de Juve ? Ah, coûte que coûte, avant ce soir je serai fixé.

Ne prenant plus la peine d’éviter de faire du bruit, de dissimuler ses agissements, Fandor, désormais, avec une activité fébrile, faisait en hâte une toilette sommaire, puis arracha le pansement de ouate et de plâtre qui lui comprimait la jambe.

— Au diable toutes ces saloperies, hurla-t-il, et fichons le camp. Bon, grogna le journaliste, voilà Valentine.

C’était en effet M me Olivet qui entrait.

— Mon Dieu, que faites-vous ? s’écria-t-elle, stupéfaite.

Le journaliste était si furieux à ce moment-là, si furieux soudain que s’il n’avait écouté que ses instincts, il aurait écarté de son chemin M me Olivet, en la bousculant sans la moindre vergogne. Mais Fandor était un homme du monde, et, de plus, il ne pouvait oublier, avec un sentiment de gratitude la cordiale et généreuse hospitalité qu’il avait reçue chez M me Olivet, après s’être introduit dans son domicile d’une manière si bizarre et si anormale qu’elle aurait mérité une réception à coups de trique ou à coups de revolver.

Fandor prit un air dépité :

— Hélas, Madame, fit-il, je suis désespéré d’avoir si mal suivi vos conseils. Mais je me suis senti mieux, beaucoup mieux, et alors…

— Alors quoi ? interrompit M me Olivet, d’une voix vibrante d’émotion.

— Alors, déclara Fandor, j’ai résolu de m’en aller.

Il s’attendait à quelque protestation, tant de la part de la femme amoureuse que de la part de la femme-médecin. Cette dernière disparaissait entièrement pour céder toute la place à la première.

M me Olivet entra dans la pièce, obligeant Fandor à y reculer avec elle, puis elle ferma les yeux, vacilla, se laissa tomber dans les bras du journaliste.

— Mon Dieu, soupira-t-elle, mon Dieu, quel effroyable coup, quelle terrible surprise.

Fandor pensait :

— Cette pauvre Valentine, ce qu’elle est lourde, que vais-je en faire ?

Le canapé qu’il avait occupé si longtemps était disponible. Fandor y fit s’allonger l’infortunée Valentine. Celle-ci était évanouie, le journaliste lui tapa dans les mains, s’agenouilla auprès d’elle :

— Remettez-vous, Madame, remettez-vous, Valentine, je vous en prie.

Mais, brusquement, M me Olivet revint à elle, prit de ses deux mains la tête de Fandor, l’attira près de ses lèvres, et déposa sur le front du journaliste un tendre, un long baiser. Puis, elle murmura, toute rouge :

— Pardonnez-moi, je vous en prie, surtout, oubliez cela. Je suis déshonorée.

— Mais non, mais non, déclara Fandor, pas encore.

— Oh, fit M me Olivet, ce n’est pas au sujet de ce que vous pensez que je m’estime déshonorée. Mais je vous ai menti, et désormais, je ne puis plus le cacher, c’est un secret qui m’étouffe, Fandor, écoutez-moi. Jamais vous n’avez eu la jambe cassée, jamais vous n’avez eu de fracture, et le pansement que je vous ai imposé, l’immobilité à laquelle je vous ai condamné, n’avaient qu’un seul but, un seul : vous garder avec moi, auprès de moi, longtemps, le plus longtemps possible. Voilà ce que j’ai fait, me pardonnerez-vous ?

De grosses larmes coulaient le long des joues de M me Olivet. Fandor, ému par l’amour naïf et sincère de cette femme au cœur tendre, répondit doucement.

— Vous avez eu tort. Madame, de jouer ce jeu-là avec moi, car l’inaction à laquelle vous m’avez condamné sera peut-être cause de malheurs irréparables. Sachez que je ne m’appartiens pas et que si mon cœur est pris ailleurs, j’ai, d’autre part mon devoir à remplir, et que ce devoir est d’être perpétuellement sur les traces de l’insaisissable Fantômas. Je suis obligé de partir et je pars, mais, si je vous pardonne bien volontiers, Madame, à mon tour, je vous demande pardon d’avoir si longtemps abusé de votre hospitalité, pardon aussi d’avoir encouragé, par mon attitude, vos sentiments, d’avoir été, si j’ose dire, coquet avec vous, coquet comme une femme.

Lentement, Fandor porta à ses lèvres la main tremblante de M me Olivet, il y déposa un respectueux baiser. Puis, pour interrompre cette scène pénible, Fandor brusquement tourna les talons, sortit. D’une voix pleine d’angoisse, M me Olivet lui cria :

— Vous reviendrez me voir, dites ? Promettez-moi que vous ne m’abandonnerez pas ainsi.

Fandor ne répondit pas, il était loin.

15 – UN VOYAGE QUI FINIT MAL

Fandor était chez lui, échappé à l’amour malencontreux de M me Olivet. Le journaliste, heureux de retrouver la liberté de ses mouvements dont il avait été privé bien malgré lui, s’était hâté de rentrer à son domicile particulier où sa concierge, effarée de l’apercevoir, se répandait en exclamations :

— Comment, vous voilà ? Et, au moins, je pense que vous allez rester ici maintenant ? J’ai des piles de lettres pour vous. Vous ne repartez pas ?

Fandor avait éclaté de rire :

— Exquise et délicieuse Madame, s’était-il borné à répondre, dans exactement quarante-deux minutes, vingt-cinq secondes et trois cinquièmes, j’espère avoir à nouveau quitté mon domicile et m’être rendu à la gare. Cela dit, donnez-moi mes lettres, et à tout à l’heure.

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