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— Bec-de-Gaz, murmura-t-il, rapplique voilà Bébé.

Bec-de-Gaz accourait. Depuis quelques jours, on n’avait pas vu l’apache. Ribonard avait raconté dans l’entourage de Bec-de-Gaz l’extraordinaire entretien que Bébé et lui avaient eu quelques jours auparavant avec le Maître.

Le bruit avait couru que Fantômas allait avoir des monceaux d’or en sa possession, qu’un partage ne tarderait pas à avoir lieu.

— Eh ben, quoi de neuf ?

Bébé prit un air narquois :

— Du neuf ? y en a probablement. Mais qu’est-ce que t’attends, Bec-de-Gaz, pour me verser une chopine ? Il fait plutôt humide dehors, et un verre de rouge n’a jamais fait de mal à un honnête homme.

Le père Grelot, qui profitait de l’occasion pour se faire servir à boire, interrogeait curieusement :

— Dis voir. Bébé, connais-tu des détails sur le coup de Ribonard ? Il a été zigouillé, pas vrai ?

— ’Turellement, on y a fait son affaire, et c’est ben de sa faute aussi. Il a voulu monter le coup à Fantômas, et c’est pas des combines dans le genre de celle-là qui peuvent réussir. Faut pas le regretter, c’était en somme, un faux frère, il avait garé à côté tous les bijoux de Chambérieux. Ça lui apprendra.

— Les bijoux ? interrogea Bec-de-Gaz, qu’est-ce qu’ils sont devenus ?

— Ça, reconnut Bébé en baissant la tête, c’est ce qu’il y a de plus toquard dans cette affaire. Lorsque Ribonard est claqué, c’est arrivé à un si mauvais moment que les bijoux sont tombés de ses poches juste devant le nez du « curieux » de la localité. Oui, le juge d’instruction n’a eu qu’à étendre les mains pour les ramasser, et je vous prie de croire qu’il n’a pas perdu son temps avant de le faire.

— Où c’est, demanda le père Grelot, qu’il les a donc foutus ?

— Dans la tôle des jugeurs probablement, répondit Bébé. Ils ont des coffres-forts blindés et des armoires secrètes dans leurs boutiques. Ce serait un foin du diable, maintenant pour les rattraper.

— Tu comptes donc aller les reprendre ?

— Probable.

Mais comme le père Grelot lui demandait encore :

— Iras-tu tout seul ?

Bébé, modestement, avoua :

— Tout seul, non. Je n’ai pas le trac et je sais vous descendre un pante tout comme n’importe qui, mais dans c’t’affaire-là, je marcherai avec un copain.

— Je suis ton homme, suggéra Grelot, tu sais que je sais travailler.

— J’ai mieux que ça.

— Qui donc ? demandèrent ensemble, le professeur de vols et l’apache Bec-de-Gaz.

Bébé, à ce moment, regardait un coin obscur de la salle et semblait examiner minutieusement un personnage qui, tournant le dos, était accroupi derrière un amoncellement de barriques et dont on ne voyait que l’extrémité des membres.

— Je marche, fit-il tout bas, avec Lui.

Et Bébé désignait du doigt l’individu dissimulé dans cette sorte de cachette, il avait dit : « Lui » avec une telle emphase que ses deux interlocuteurs se regardèrent. Quel pouvait être ce personnage dont Bébé paraissait tant respecter la personnalité et en qui, cependant audacieux et capable, il semblait avoir une si grande confiance ?

Les apaches ne devaient pas tarder à le savoir. Bébé leur murmura à l’oreille :

— C’est Fantômas. Fantômas est là.

Insensiblement, dans la bande des rôdeurs qui pouvaient circuler aisément sans se faire remarquer, au milieu du bal, car la foule des clients devenait si nombreuse que l’on devait refuser des gens à l’entrée, le bruit se répandit que Fantômas était là. Mais ils étaient fort peu à connaître l’Insaisissable, et deux ou trois à peine, d’ailleurs, auraient osé s’approcher de lui, se seraient permis de lui adresser la parole.

Bébé, cependant, s’était dirigé vers l’endroit où se tenait le Maître. Quelques instants il avait écouté les propos que celui-ci lui avait tenu, puis il avait fait signe à Bec-de-Gaz et au père Grelot de se rapprocher. Les trois hommes, alors, étaient passés dans la soupente et sans souci du corps de Fleur-de-Rogue, qui gisait toujours immobile par terre, car la pierreuse était loin d’avoir achevé de cuver son vin, ils avaient causé dans le plus grand mystère.

Fantômas, enveloppé d’un grand manteau noir, avait, ce soir-là, recouvert sa figure de sa tragique cagoule, de telle sorte qu’on ne voyait rien de ses traits et que seuls ses yeux brillaient comme des braises à travers les orifices ménagés dans le masque.

— Oui, répétait Fantômas, l’affaire de Ribonard ne nous a pas profité, car le « curieux » s’est emparé de tous les bijoux. Pourvu, poursuivait-il en jetant un coup d’œil sur Bébé, qu’il n’en soit pas de même de l’argent pris dans la poche du marquis de Tergall.

— Ça patron, fit-il, rien à craindre, la galette est ici, sur place. Et dans la bonne cachette, vous pouvez m’en croire. Moi, je ne suis pas monteur de cou, ce que je dis je le fais. J’ai promis de rapporter le pèse aux aminches, ou pour mieux dire, à vous le grand patron, qui en ferez ce que vous voudrez. Vous comprenez bien que j’ai trop le respect d’un costaud comme vous.

— Où est-il cet argent ?

— Dans la salle, il y a une femme, la mienne, c’est Rosa, elle fait semblant de s’amuser à danser, mais vous pouvez être sûr qu’elle sait de quoi il retourne. On va la faire venir. C’est elle qui a les billets, ils sont glissés entre sa chemise et son corset. C’est moi-même qui les ai mis là hier soir. Je vous jure, que Mirette se ferait plutôt tuer que d’en laisser déchirer le petit bout d’un seul sans mon autorisation.

— Va la chercher, dit Fantômas.

— On y va patron, ne vous impatientez pas. Moi, je veux pas faire des coups à la Ribonard. Quand j’ai de la recette, c’est pour la communauté.

— Ouais, grommela Bec-de-Gaz, cependant que Bébé s’en allait, avoue donc que t’as plutôt la cosse et que l’exemple de Ribonard n’est pas fait pour te donner envie de l’imiter.

Fantômas fit mine de ne rien entendre.

Bébé, lorsqu’il rentra dans la salle, étouffa un juron. L’aspect de la foule qui la remplissait n’était plus le même qu’une demi-heure auparavant. L’affluence était tout aussi grande, mais la franche gaieté, l’entrain endiablé qui régnaient jusqu’alors avaient fait place à une nervosité inquiète, aune sourde colère qui se généralisaient. Les gens semblaient s’accuser entre eux, se faire de mutuels reproches, les couples les plus unis en venaient aux paroles désagréables, et il semblait que dans l’atmosphère surchauffée de cette tente mal éclairée eût soufflé soudain comme un vent de discorde.

Un gros garçon de ferme à la face ronde comme une motte de beurre et couverte de taches de rousseur, grognait en se tapant sur la cuisse :

— Puisque je te dis que je l’avions là, dans ma culotte, y a pas plus d’un petit quart d’heure, j’avions pourtant point dansé sur la tête, comment que c’est-y donc qu’elle aurait pu s’en sauver ?

Et, à ses voisins, le brave paysan expliquait qu’il s’agissait de sa montre d’argent qui avait disparu.

Mais une jeune laitière pleurnichait dans un coin.

— Mon Dieu, gémissait-elle, qu’est-ce que va dire ma mère ? Jamais j’oserons rentrer chez nous.

La pauvre jeune fille déplorait la perte d’une petite croix en or qu’elle portait autour du cou attachée par un ruban de velours.

— Sûr, ajoutait-elle, ma mère va croire que je l’ai donnée à Nicolas.

— Eh bien, puisque c’est ton promis, il n’y aurait que demi-mal.

— C’est vrai, poursuivait la laitière, mais voilà, Nicolas, lui, va s’imaginer que je l’ai donnée à un autre. Tu sais bien, à Justin qui me courtise, je te le dis, ça va faire une histoire épouvantable. Je n’ai plus qu’à périr dans la mare aux Oies, si je ne retrouve pas la croix de ma mère.

Deux paysans, mari et femme, s’apostrophaient rudement au milieu des badauds qui faisaient cercle autour d’eux.

— C’est toué qui l’a emporté.

— Puisque je te dis que c’est toué.

— Ah, n’insiste pas, jurait l’homme, ce que je sais je le sais. Et si tu continues à me tracasser, sûr comme j’ai fait cette année deux récoltes de blé, je te flanque une baffe devant toute la société.

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