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Mais la femme, une vigoureuse gaillarde, ne s’effarouchait pas devant cette menace :

— Essaye donc voir un peu de me toucher. Non par exemple, c’est-y malheureux d’entendre des hommes nous parler comme ça. Quand je te dis que c’est toué qui l’as perdu, grosse bête, tu ne sais plus que faire de tes mains, t’es tout le temps planté comme une citrouille et plus bête qu’un navet.

— Si c’est possible, si c’est possible, grommelait l’homme, qui, malgré tout, subjugué par l’autorité de sa femme, retourna ses poches, une à une.

Ce couple déplorait la disparition du porte-monnaie commun, qu’ils prétendaient l’un et l’autre ne pas avoir emporté.

Cependant, des petits groupes de ce genre se formaient de plus en plus nombreux au milieu du bal, et c’était à chaque instant, de nouvelles protestations, des lamentations, des cris de rage, des sanglots de désespoir.

Chacun, au début, s’était imaginé qu’il était seul dans ce cas, et qu’il ne devait s’en prendre qu’à sa négligence ou à sa distraction, mais au fur et à mesure, on comprenait qu’il avait dû se passer quelque chose d’anormal, et dès lors, chacun regardait son voisin avec méfiance.

Bébé s’en était aperçu. Mais, l’apache ne s’en préoccupait guère, sachant qu’il était, parmi ses copains, assez de gaillards audacieux et habiles pour dépouiller de tous les objets de quelque valeur qu’ils pouvaient porter sur eux, ces balourds de paysans.

Bébé avisa Rosa, dite Mirette, et lui fit signe :

— Amène-toi, ma gosse, lui murmura-t-il doucement, lorsque la jeune femme de chambre se fut rapprochée de lui, ça va être le moment de les dénicher, on va les mettre à jour les petits billets bleus. D’ailleurs, n’aie pas de crainte, il va nous en coller quelques-uns au bout des doigts. C’est égal, j’ai eu le nez creux d’obéir à Fantômas, si j’avais voulu me débiner avec toi et la galette, probable que le patron nous aurait vite rattrapés.

— Et, poursuivit Rosa, vois-tu qu’il t’ait arrangé comme il a arrangé ce pauvre Ribonard ? C’est égal, Fantômas, c’est un homme cruel.

— Ta bouche, interrompit Bébé, les femmes, ça a toujours des sentiments, de la pitié et des larmes pour ceux qui n’en méritent pas. Ribonard était un salaud, il a voulu nous monter le coup à tous, il a payé, c’est bien fait.

— Après tout, reconnut Rosa, c’est vrai, t’as raison c’est bien fait.

Machinalement, la jeune femme palpait son corsage :

— Ils sont là, toujours là, dit-elle, mais c’est égal, j’aime autant m’en débarrasser, j’étais pas tranquille avec ces papiers-là.

Bébé l’entraîna.

Mais, au moment où, avec sa maîtresse, l’apache s’enfonçait au milieu de la foule, une grande clameur retentit. Bébé, ayant retourné la tête, ne put retenir un juron de dépit.

— Ah nom de Dieu, fit-il, qu’est-ce qui se passe donc ? Il va y avoir du tabac, v’là les flics.

Devant l’entrée du bal public, venaient en effet de surgir les silhouettes imposantes et redoutables d’une demi-douzaine de gendarmes, devant qui fuyait la mère Toulouche, serrant dans ses bras deux gros sacs de toile contenant la recette.

Les gendarmes avaient des airs rébarbatifs et Bébé se douta aussitôt qu’ils n’étaient pas là uniquement pour faire observer le silence et la correction, mais bien qu’ils venaient avec l’intention d’effectuer une opération, une rafle, des arrestations peut-être.

À vrai dire, on vivait des heures troublées. Le pays n’était plus sûr pour les malfaiteurs, depuis les vols de Chambérieux et de Tergall, depuis l’assassinat du bijoutier, depuis la mort tragique de Ribonard. Mais Bébé n’eut pas le temps de réfléchir.

Une poussée le sépara de Rosa cependant qu’il était brusquement entouré de ténèbres. La lumière en effet venait de s’éteindre. L’Algérien Mahamoud, ayant vu rentrer la gendarmerie, s’était dit que l’essentiel était de faire du noir, afin de permettre aux uns et aux autres de s’évader plus facilement. Mais, les gendarmes et les quelques civils qui les guidaient, c’est-à-dire les agents de la Sûreté du Mans avaient prévu le cas. Mahamoud, à peine avait-il éteint le compteur à gaz, qu’il s’était glissé sous la toile de la tente et qu’il était ressorti dans le champ. Mais là, il s’aperçut que toute fuite était impossible. Le bal public était cerné, par un cordon de gendarmes. Ils étaient une quarantaine au moins. Certains tenaient des torches allumées, et d’autres mettaient le feu à de petits fagots qu’ils avaient disposés de distance en distance et dont les lueurs rougeâtres illuminaient le voisinage.

Bébé avait lancé un coup de sifflet strident. Et le jeune apache, procédant comme l’Algérien, se glissa dans l’intervalle laissé entre le bas de la tente et le sol, pour s’éclipser le plus rapidement possible, lorsqu’il fut brusquement appréhendé. On lui passa les menottes. Deux secondes après. Bébé, stupéfait de cette arrestation brusque, que rien ne permettait de prévoir, distingua à côté de lui le grand Bec-de-Gaz, tout pâle, le père Grelot, aux poches bourrées des porte-monnaie et des montres volés pendant la soirée, puis la mère Toulouche qui protestait, gémissait, renâclait, vainement.

Qu’était devenue Rosa ? La maîtresse de Bébé avait compris, elle aussi, qu’il se passait quelque chose de grave.

Depuis quelques jours, elle ne vivait plus. C’étaient des transes continuelles, de perpétuelles inquiétudes. Non seulement elle avait la responsabilité, vis-à-vis de son amant et de ses amis, de la bande des Ténébreux, d’une énorme somme d’argent, mais encore elle redoutait quelque indiscrétion, quelque maladresse qui pourrait renseigner la police et la faire découvrir comme étant la receleuse de l’argent volé à son propre maître : le marquis de Tergall.

Rosa, donc, demeurée dans la salle de bal, n’osait faire un mouvement, toute tremblante d’émotion qu’elle était, souhaitant simplement et par-dessus tout ne pas attirer l’attention sur elle, et pouvoir passer inaperçue.

Les gendarmes avaient rallumé les becs de gaz. Puis, on invita les assistants à se retirer, lentement, par couples, voire même un par un.

Ils déclinaient leurs noms et qualités au brigadier de gendarmerie posté devant l’entrée. Et celui-ci décidait, sur les conseils d’un monsieur placé derrière lui, qui se dissimulait dans l’ombre, de leur liberté ou de leur arrestation.

La plupart des personnes qui avaient été ainsi enfermées dans la salle, sous la tente, s’étaient retirées lorsque Rosa, affectant une allure dégagée, se présenta devant le brigadier.

— Après tout, se disait la jeune femme, je n’ai pas de raison de m’inquiéter, je suis du pays et connue, tout le monde sait que je suis la femme de chambre de la marquise de Tergall, personne ne peut soupçonner que je suis aussi et surtout la maîtresse de Bébé, que j’appartiens à la bande des Ténébreux, et que…

Le brigadier lui toucha le bras au moment eu elle passait :

— Et vous, mademoiselle ? fit-il, vos nom, prénoms, qualité, domicile ?

Payant d’audace, la pierreuse jeta avec un essai de sourire :

— Quoi, vous ne me reconnaissez pas, monsieur le brigadier, je suis pourtant de Saint-Calais comme vous. Vous savez bien, Rosa, la femme de chambre…

Elle n’acheva pas. Deux hommes s’étaient précipité sur elle. Deux agents en bourgeois, qui l’entraînaient à l’écart, la ligotaient. Terrifiée et espérant encore qu’il s’agissait d’un malentendu, la pierreuse protestait de toutes ses forces :

— Au secours. Vous me faites mal. Mais vous vous trompez. Je ne suis pas une rôdeuse, je suis domestique. Je suis Rosa la femme de chambre.

Elle s’arrêta net, pensant défaillir. Quelqu’un venait de dire aux agents qui la maintenaient, un homme qu’elle n’avait pu voir parce qu’il passait rapidement derrière elle :

— Déshabillez cette femme, qu’elle enlève son corset, elle a sur elle l’argent volé au marquis de Tergall.

À demi morte d’effroi, à demi suffoquée par la rage, la jeune femme, tandis qu’elle se révoltait contre la familiarité exagérée des agents de la Sûreté qui, l’ayant à demi dévêtue lui palpaient tout le corps, entendit l’un d’eux s’écrier, au moment précis où il trouvait, sous son sein gauche la liasse de billets de banque qu’elle dissimulait entre corset et chemise :

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