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— Sarah court un danger en ce moment ?

— Un danger de mort.

— Vous avez donné des ordres, Fantômas ?

— Je n’ai pas à vous répondre. Vous avez tenu votre promesse. Je tiens la mienne. Nous sommes quittes. Allons, dépêchez-vous, courez… Souvenez-vous, Dick, que dès à présent, j’estime que je ne vous dois plus rien, je me souviens seulement que vous êtes en lutte contre moi, et ceux qui luttent contre moi, je les tue.

Fantômas avait tiré de sa poche un revolver, il le braqua sur Dick :

— Je vous dois une leçon encore. Songez que j’étais armé, quoique vous ayez pu croire le contraire, j’ai toujours deux revolvers sur moi. Mais vous le voyez, j’ai tenu ma parole. Vous m’avez conduit vers les papiers de ma fille, je vous donne la vie de Sarah Gordon, et je ne vous tue pas immédiatement, nous sommes quittes vous dis-je, partez !

— Soit, nous sommes quittes en effet, Fantômas, et nous pouvons recommencer à être ennemis. Si nous nous retrouvons face à face, ne me ménagez point, car pour Dieu, je ne vous ménagerai pas. Adieu Fantômas !

— Au revoir, Dick Valgrand.

À peine Valgrand éloigné, le bandit éclatait de rire :

— Quel imbécile que ce jeune homme, murmurait-il. Le voilà qui se rend au cabaret du père Korn, persuadé qu’il va sauver Sarah. La belle histoire. De deux choses l’une. Ou il ne trouvera personne là-bas, ou le hasard voudra qu’il y rencontre le Barbu. Si le Barbu est au cabaret, si Dick lui présente la pièce percée que je lui ai confiée, l’affaire est claire, Dick Valgrand est un homme mort. Et maintenant, au travail.

Brusquement, Fantômas ouvrit la porte. Brusquement il entra dans l’atelier.

— Sunds, appela-t-il, c’est moi.

Fantômas avait-il donc des relations avec l’extraordinaire fabricant de vieux neuf ?

Le bandit s’étonna de ne pas obtenir de réponse :

— Tu n’es point là, Sunds ?

Dans un coin de l’atelier, Fantômas venait d’apercevoir le corps de l’artiste, étendu de tout son long.

Il se précipita vers l’homme écroulé, le releva, le porta sur le divan.

— Sunds, demanda-t-il, m’entends-tu ?

Mais Sunds restait évanoui.

Alors Fantômas avisa un flacon de rhum traînant sur une table, il entrouvrit de force les lèvres du blessé, y versa quelques gouttes de la puissante liqueur.

— Bon Dieu, que m’est-il arrivé ? demandait Sunds, ouvrant enfin les yeux.

— Je n’en sais rien, mais tu sembles mal en point, camarade.

Or, à ce moment, la mémoire revint au malheureux Danois :

— Tiens, c’est toi Fantômas ? Ma foi, tu aurais bien fait d’arriver cinq minutes plus tôt.

— Pourquoi ?

— J’ai reçu une tripotée numéro un. Ça je peux m’en vanter.

— De qui ?

— De Mathusalem.

— C’est Mathusalem qui t’a mis en cet état ? interrogea Fantômas. Qui est-ce Mathusalem ? Il vit encore ?

— Mathusalem ? C’est un vieux qui est un jeune. Voilà. C’est exactement la même chose que Daniel qui est une femme. Vrai, Fantômas, depuis quelque temps, je ne sais plus comment je vis. Je ne sais pas ce qui se manigance autour de moi, mais tout se complique bigrement.

Le pauvre Sunds se frottait toujours les membres. Levant les yeux, il finit cependant par remarquer le visage sombre et l’air irrité de Fantômas.

— Au fait, demanda-t-il, qu’est-ce que tu viens faire chez moi, toi ? Il était convenu entre nous, depuis l’affaire de Bagatelle, que tu ne remettrais pas les pieds dans mon atelier. Je ne comprends pas ta présence ici.

— Tu vas comprendre, déclara sardoniquement Fantômas. Es-tu en état de me répondre ?

— Assurément, je suis aussi en état de me frictionner avec de l’essence de térébenthine. Bon Dieu, cet animal de vieux m’a littéralement coupé la peau. Demain je serai noir et bleu. Drôle de drapeau.

Sunds était gai. Fantômas, brutalement le rappela à l’ordre :

— Tais-toi, ordonna-t-il, tu riras plus tard, si tu en as le temps.

— Ah ça, qu’est-ce qui te prend, Fantômas ? Tu n’as pas l’air de bonne humeur ?

— Où sont les papiers de ma fille ?

— Les papiers de ta fille ? Quels papiers ? Je ne connais même pas ta fille.

— Si, tu connaissais Daniel ?

— Daniel ? Allons bon. Voilà que Daniel était ta fille.

Mais Fantômas n’était pas en disposition d’esprit pour entrer dans des explications. Il répéta brutalement :

— Parle… Où sont les papiers de ma fille ?

— Je n’en sais fichtre rien !

— Et moi, Sunds, je te dis que tu dois le savoir. Ils sont cachés chez toi, ici.

— Ici ? fit Sunds d’un air incrédule.

— Ici, oui, dans une potiche.

Or, Fantômas n’avait point dit ces mots : « dans une potiche », que Sunds se redressait.

— Ah bon Dieu de bon Dieu, jurait l’artiste, mais alors, je comprends, je comprends tout ! Ce sont ces papiers que ramassait le vieux-jeune pendant que je cognais dessus, avec tant de plaisir. Eh bien, c’est du joli ! S’il y avait des papiers, Fantômas, ils étaient dans la potiche que tu vois brisée par terre, et s’ils sont quelque part maintenant, ils sont dans la poche de l’individu qui m’a si promptement roué de coups.

La déclaration que faisait Sunds était en tout point sincère.

Fantômas cependant, fronça les sourcils, prit un air plus terrible encore :

— Tu mens, jurait-il, je sais que tu mens ! Sunds, c’est toi qui as pris ces papiers.

— Mais non, ce n’est pas moi.

— Si, et le vieux dont tu parles n’existe que dans ton imagination. Tu me joues la comédie en ce moment. Peut-être m’as-tu entendu parler devant ton atelier avec Dick Valgrand, et as-tu décidé de me jouer la scène que tu me joues ? Oh, oh, Sunds, il faut avoir bien de l’audace pour tenter de me faire chanter, moi ! Rends-moi ces papiers immédiatement, ou apprête-toi à apprendre ce que j’ose dans ma colère.

Mais Sunds, sans se rendre compte peut-être de l’état d’énervement où était Fantômas, demeurait fort calme et fort souriant :

— Patron, ripostait-il, je me demande ce que tu as aujourd’hui. Une fois, deux fois, trois fois, je n’ai pas ces papiers. Si d’ailleurs quelqu’un doit se plaindre, c’est moi, Fantômas, et pas toi. Car enfin, d’après ce que tu me dis, je comprends que la correction que je viens de prendre, je l’ai prise à propos de ces maudits papiers, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Que diable, pourquoi donc aussi t’étais-tu amusé à les cacher chez moi, sans me prévenir ?

La bonne foi de Sunds était évidente. Mais la colère aveuglait Fantômas :

— Ce n’est pas moi qui ai caché ces papiers, hurlait-il, c’est ma fille, c’est Daniel.

— Dis donc, Fantômas, au fait, est-ce que par hasard le vieux Mathusalem, qui est jeune, ne serait pas un policier ?

— Laissons cela ! dit Fantômas. Je saurai plus tard si tu dis la vérité et je serai toujours en mesure de te châtier si tu mens. Il y a autre chose, Sunds, réponds-moi franchement, où est le tableau ? Je le veux. Il est temps que l’affaire nous profite.

Or, à ces mots, Sunds éclata de rire. Il retrouvait toute sa bonne humeur pour déclarer à Fantômas :

— Vrai, patron, tu exagères aujourd’hui. D’abord, tu me réclames quelque chose que je n’ai pas, et ensuite, tu me demandes autre chose que je ne peux pas avoir.

— Quelque chose que tu ne peux pas avoir ? Sunds, le tableau qui était à Bagatelle, remplaçant le fameux Pêcheur à la ligne, n’a aucune valeur. C’est une croûte. Il est inadmissible que tu ne puisses pas te le faire donner.

— C’est pourtant vrai. Cette croûte, comme vous dites, patron, a une valeur anecdotique, présente un intérêt documentaire. En tout cas, elle est célèbre maintenant, je n’ai pas pu me la procurer. Mais elle sera mise en vente prochainement par l’administration de l’Exposition. Ce n’est que partie remise. Nous l’aurons pour une bouchée de pain.

— Nous devrions déjà l’avoir. Tu me trahis, imbécile ! Je suis sûr que tu me trahis !

Or, à cette accusation, Sunds à son tour, se mit en colère.

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