Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Zut, dit l’artiste, moi j’en ai assez de toutes ces manigances. Je te dis la vérité, Fantômas, et tu ne me crois pas. J’ai essayé d’avoir cette toile, je n’ai pas pu, une fois, deux fois. Crois-moi ou ne me crois pas, je n’y peux rien.

Sunds allait et venait dans son atelier, furibond :

— Voilà ce que c’est, répétait-il, on se donne un mal du diable pour satisfaire le client. On court le risque d’attraper dix ans de travaux forcés au moins, et après ça, on vous accuse de trahir. C’est à devenir neurasthénique.

Il allait continuer à se lamenter, à se plaindre, plaisantant déjà, car, au fond, Sunds était incapable d’une longue colère, lorsque Fantômas l’arrêta au passage, l’empoignant par le bras.

Le bandit, avec sa force herculéenne, attirait près de lui l’artiste en dépit de sa résistance :

— Sunds, dit-il, prends garde, tu n’as point l’air de savoir qu’il ne faut jamais lutter avec moi. Cela finira mal.

Il y avait en ce moment tant de cruauté froide dans l’attitude de Fantômas, sa physionomie respirait si bien la haine, que Sunds eut peur.

— Lâche-moi ! ordonna-t-il, brutal à son tour. Oui, cela finira mal, car si tu le prends sur ce ton, Fantômas, je le prendrai de la même manière. Ce que je disais tout à l’heure est vrai. J’en ai assez de ces manigances. Aussi vrai que je m’appelle Sunds, si tu ne me laisses pas tranquille, je vais raconter à la justice toute la combine, tout notre truc du faux tableau.

Le malheureux n’acheva pas. À peine avait-il proféré cette menace qui, à elle seule, prouvait combien peu l’artiste connaissait mal l’audace de celui qui était devenu son complice, que Fantômas bondissait sur lui, l’empoignait par le cou, l’étranglait à moitié, le renversait sur le sol.

— Qui me résiste meurt ! hurlait Fantômas. Ah, vraiment, tu parles de tout raconter à la police. Eh bien, nous verrons si les muets peuvent trahir. Car tu vas être muet, Sunds, muet pour toujours. Pas de bavards dans les cimetières.

Fantômas était à genoux sur le malheureux peintre, ses doigts l’étranglaient à moitié. Un instant, sa main desserra son étreinte, mais Sunds n’avait pas eu le temps seulement d’appeler au secours, que Fantômas avait tiré de sa poche un long bandeau de soie, qu’il portait toujours.

Il lui fallut moins d’une seconde pour bâillonner Sunds.

— Oh, oh, railla le Maître de l’Effroi, je crois que tu commences à te taire. Mais tu te tairas bien davantage dans deux heures.

Fantômas riait. Lentement, méthodiquement, il attachait les poignets de Sunds, il lui liait les jambes aux chevilles :

— Eh bien, imbécile, demandait-il, comprends-tu que j’avais raison en te disant que tout cela finirait mal ?

Sunds, à cet instant, était au comble de l’effroi : Que faisait Fantômas, que préparait-il ? À quelle diabolique besogne se livrait-il ?

Fantômas avait tiré au milieu de l’atelier une grande échelle qu’il appuyait au vasistas s’ouvrant sur le toit de la bâtisse :

— Sunds, annonça le tortionnaire, je n’aime pas les morts rapides. J’ai toujours la clémence d’accorder à mes victimes quatre ou cinq heures pour voir la mort en face et se repentir. Je te prépare un petit trépas qui te laissera tout le temps de réfléchir à la sottise dont tu as fait preuve.

Fantômas était revenu près de Sunds. Comme s’il eût soulevé un fardeau léger, il empoignait le corps de l’artiste, le jetait sur ses épaules. Fantômas, alors, gravit la haute échelle. Il ne semblait pas sentir le poids de Sunds, il agissait avec une parfaite liberté de mouvement.

Parvenu au haut de l’échelle, Fantômas ouvrit le vasistas, il se glissa sur le toit.

Il était six heures du soir. L’obscurité commençait. La ruelle près de l’atelier était déserte.

— Tout est fort bien, murmura Fantômas.

Il jeta Sunds sur le toit, le tira par les pieds, sans s’occuper des terribles blessures qu’il faisait au visage du malheureux, écorché aux aspérités des ardoises.

Fantômas roula Sunds jusqu’à la gouttière. Il y coucha l’artiste, en équilibre, le corps pendant à moitié dans le vide.

— Écoute-moi bien, déclarait le bandit, se penchant à l’oreille de sa victime, voici ce que je vais faire. À ton pied, j’attache une corde, cette corde rejoint la porte d’entrée de ton atelier, quand on ouvrira la porte, on tirera sur la corde, tu seras précipité dans le vide. Ne crois pas, Sunds, que ce soit tout. Il se pourrait que tu en réchappes. Somme toute, tu ne vas tomber que de cinq ou six mètres. Or, mon camarade, j’ai décidé ta mort. Écoute. Regarde : tu vois ce fil de fer ? Il est terminé par un nœud coulant, je le passe autour de ton cou, il y fera l’office d’un couteau de guillotine. Mon cher, quand tu dégringoleras dans le vide, tu te sentiras brusquement arrêté par ce licol tranchant. Le fil de fer n’est pas assez long pour que tu atteignes le sol. Tu seras suspendu et pendu si brusquement que j’aime à croire que tu auras la tête tranchée. Voilà ce qui t’attend, Sunds. Penses-y et demandes-toi s’il n’eût pas mieux valu me servir fidèlement ?

***

Pendant que cela se passait, qu’était devenu Fandor ?

Fandor, au sortir de l’atelier de Sunds, s’était précipité comme un fou dans les rues de Montmartre, cherchant à retrouver Hélène.

Ses recherches, malheureusement, étaient demeurées vaines et Fandor devait se résigner à comprendre que si la jeune fille l’avait reconnu, comme il était probable, au moment où il s’était précipité sur Sunds, elle n’en avait pas moins voulu s’enfuir, ne pas se montrer, ne pas se faire reconnaître.

« Peut-être, Hélène s’imagine-t-elle que je ne l’ai pas identifiée », pensait Fandor.

De guerre lasse, ayant battu les environs de l’atelier, Fandor s’était décidé à aller trouver Juve.

« Il faut que je le mette au courant, pensait le journaliste, il faut surtout que je lui rende ces fameux papiers, si miraculeusement retrouvés. Par exemple, je me demande comment Juve m’expliquera qu’ils étaient au fond d’une potiche, dans l’atelier de Sunds. Du diable si nous aurions pensé à cela. »

Rue Tardieu, Fandor eut la chance de trouver le policier à domicile.

Juve était à plat ventre par terre, et fumait avec conviction une pipe énorme. Il était d’une humeur massacrante :

— Qui va là ? demandait-il sans se retourner, comme Fandor ouvrait la porte de son cabinet de travail. Si c’est vous, Jean, allez au diable !

— Ça n’est pas Jean, c’est moi.

— Eh bien, vas-y quand même.

Fandor ne se démonta pas pour si peu.

— Mon vieux Juve, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez l’humeur agréable aujourd’hui. Enfin cela ne fait rien. Il paraît que je dois être mal reçu partout : en haut de la Butte, j’ai reçu une tripotée formidable, en bas de la Butte, je me fais envoyer au diable. Je vais tâcher de descendre sur les boulevards, peut-être qu’on ne m’y engueulera pas.

Juve, cependant, demeurait étendu. Sans même tourner la tête, il interrogea :

— Pourquoi as-tu reçu une tripotée au haut de Montmartre ? Et avec qui te l’es-tu flanquée ?

— Avec Sunds.

— Avec Sunds ? Qu’est-ce que tu fichais chez Sunds ? Il a eu raison de te fiche à la porte, cet homme, si tu venais l’embêter comme tu viens m’embêter.

— Juve, ce qu’il y a précisément d’injuste dans l’histoire, c’est que je suis aussi mal reçu par vous que par Sunds, or, je fais chez vous le contraire de ce que j’ai fait chez Sunds.

— Qu’y faisais-tu, animal ?

— Juve, j’ai pris chez Sunds, quelque chose… et ce quelque chose, je vous l’apporte.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Cela.

Fandor, d’un geste rapide, jeta les papiers d’Hélène à Juve.

Sur ce, il fit à son vieil ami, le récit de ses aventures.

— Et voilà, qu’est-ce que nous allons faire ?

Juve n’hésita pas.

— Ce que nous allons faire ? Aller trouver Sunds, parbleu ! Il y a gros à parier que c’est cet individu qui s’est glissé chez moi, en prenant ma tête pour voler les papiers d’Hélène, puisque en somme, c’est chez lui que tu viens de retrouver ces papiers. Sunds, c’est sûrement un complice de Fantômas.

55
{"b":"176524","o":1}