Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Me reconnaissez-vous, maître Faramont ?

Ah certes oui, il la reconnaissait cette face glabre, énergique, ce masque dur et volontaire, ce visage d’homme penché sur lui.

— Fantômas ! souffla sous son bâillon le malheureux bâtonnier.

— Oui, maître Faramont, je suis bien, en effet, votre ancien client. Mes félicitations, vous allez bien ? Mon Dieu que vous faites donc sotte figure en ce moment.

Sans un mot, le bandit avait pris dans le coffret les billets de banque qu’il s’était fait si habilement remettre par l’avocat en le contraignant à ouvrir son coffre-fort et les avait empochés tranquillement. Son vol accompli, il se redressa et regarda autour de lui, sans se presser.

— Décidément maître Faramont, dit-il, vous ne m’aviez point menti lorsqu’en prison vous me disiez que vous adoriez les objets d’art. Il est très gentiment meublé, votre cabinet de travail. Non, ne protestez pas, je parle sincèrement, c’est gentil. Dommage que vous ayez tant d’objets faux, mais peut-être n’avez-vous pas le goût très sûr ?

Le bandit allait et venait dans la pièce, examinait les toiles pendues au mur, la tapisserie des fauteuils, les candélabres de la cheminée, les bronzes du bureau.

— Pas mal, répétait-il, pas mal !

Brusquement il revint vers la porte :

— Écoutez donc, maître Faramont. Si j’étais méchant, j’imagine que je n’aurais pas grand-peine à vous tuer en vous saignant tranquillement. Mais je ne suis pas méchant, votre bêtise vous protège d’ailleurs, je vous tiens pour un pauvre brave homme. Je vais donc vous épargner. Je vous épargnerai d’autant plus volontiers qu’en réalité ça ne me rapporterait rien de vous faire passer de vie à trépas. Non, je ne vous tuerai pas. À une condition toutefois.

Le bandit s’arrêta un instant, parut jouir de l’effroi où était sa malheureuse victime, puis dans un éclat de rire, il reprit :

— Je ne vous tuerai pas, maître Faramont. À une condition : c’est que si jamais je suis à nouveau incarcéré, vous accepterez encore de vous charger de ma défense. Etre défendu par vous, cela m’amuserait. Nos conventions sont faites, n’est-ce pas ? Oui ? Et bien alors, je n’ai plus qu’à m’en aller. Vraiment vous n’êtes pas poli. Vous ne cherchez même pas à me retenir. Il est vrai que dans votre situation… Enfin, je vous pardonne cela encore.

Fantômas venait de refermer le coffre-fort dans lequel il avait jeté négligemment les accessoires qui lui avaient servi à se grimer si utilement.

— Maître Faramont, déclara-t-il encore, vous ne m’en voudrez pas de prendre quelques précautions pour retarder autant que possible les recherches de la police que vous allez sans doute lancer sur ma trace.

Parlant ainsi, le Maître de l’Effroi étendit sur le sol une pelisse fourrée, abandonnée dans le cabinet de travail par un des invités du bâtonnier. Il enroula dans cette pelisse le corps ligoté de l’avocat plus mort que vif, puis par-dessus la pelisse, Fantômas entortilla encore un grand pardessus. Cela fait, il ficela soigneusement le malheureux bâtonnier roulé dans ses couvertures, d’une ficelle rouge à laquelle il ajouta, par coquetterie, un petit numéro.

— Je ne suis pas méchant, murmura Fantômas, je vous dépose à votre propre vestiaire.

Il cessa cependant de plaisanter ; dans le tas d’habits qui se trouvait devant lui, il choisit un pardessus de bonne coupe qui remplaça son paletot vert, prit un haut-de-forme étincelant, une canne à pomme d’or, puis, s’étant assuré que nul ne se trouvait dans l’antichambre, il s’éloigna, paisible.

Fantômas donna quelques coups de chapeau, distribua quelques sourires, sans que personne songeât à remarquer ce monsieur fort correct qui se retirait de bonne heure.

Fantômas, d’ailleurs, se conduisait en homme du monde. Il glissa un louis d’or dans la main du serviteur qui lui ouvrait la porte et s’informait s’il avait besoin d’une voiture :

— Merci, je rentre à pied.

Nul n’eût pu, à ce moment, deviner tout ce qu’avait d’ironique le sourire qui relevait ses lèvres.

— Charmante soirée, murmurait-il.

Il tâtait dans sa poche les cinq cent mille francs dont il venait de dépouiller le maître de la maison.

18 – FANTÔMAS ET FANTÔMAS ?

À peine avait-il franchi le trottoir qui s’étendait devant la maison de M e Faramont, que Fantômas, sifflotant un petit air joyeux, paraissait oublier complètement les préoccupations tragiques qui hantaient d’ordinaire son esprit.

Il n’avait alors  plus rien ni du détenu, qui était demeuré quelque temps au secret dans la cellule de la Santé, ni du formidable fugitif qui avait bondi du toit de la voiture emportant M. Malherbe et Juve, ni de l’audacieux escroc qui venait, par une ruse insensée, de contraindre le bâtonnier de l’Ordre des avocats, à ouvrir devant lui son coffre-fort et à lui remettre les cinq cent mille francs touchés à la Compagnie d’assurances.

C’était tout simplement un élégant qui s’éloignait au long des rues désertes, marchant d’un pas peu pressé, fumant un excellent cigare, trouvé dans un étui d’argent, au fond de la poche du pardessus dont il s’était emparé.

Fantômas alla de cette façon vingt minutes à peu près. Une horloge pneumatique, dont l’aiguille marquait la demie de dix heures, le fit tressaillir [11].

— Diable ! Je vais être en retard, murmura-t-il, et pourtant je ne voudrais pas faire attendre mes invités, puisque, ce soir, tout comme M e Faramont, j’ai des invités à recevoir.

Fantômas, dès lors, se pressa. Il héla un fiacre et, jetant négligemment son cigare, donna l’adresse au cocher :

— Avenue Malakoff, numéro 20, inutile d’entrer dans la cour.

Vingt minutes plus tard, le fiacre qui emportait le Maître de l’Effroi s’immobilisait à la porte d’un petit hôtel du meilleur goût. Fantômas paya, puis faisant tourner la jolie canne à pomme d’or qu’il avait volée quelques instants auparavant, sonna d’un doigt impérieux à l’une des petites portes percées dans la grille de fer forgé de la façade de l’hôtel. La porte s’ouvrit. Fantômas entra, referma derrière lui, pénétra dans l’immeuble.

Un domestique en livrée sombre accourait au-devant de lui :

— Vous allumerez dans mon cabinet, ordonna Fantômas. J’imagine que mes amis sont là.

— En effet, Monsieur le baron est attendu.

Fantômas réprima un sourire, regarda le valet de chambre bien en face, puis lentement articula :

— Imbécile ! Ce n’est pas la peine de faire des manières quand nous sommes seuls. Rien de suspect aujourd’hui ?

— Rien du tout, patron, répondait le larbin, sur un ton de voix changé, avec une familiarité qui n’excluait pas le respect.

Où donc était Fantômas ?

Chez lui.

L’extraordinaire bandit, en effet, sitôt qu’il s’était évadé de la Santé, s’était fait tranquillement conduire par l’automobile qui l’attendait devant la prison depuis quinze jours, d’après les ordres qu’il avait donnés lui-même, à cet hôtel, acheté sous un faux nom.

Fantômas n’ignorait pas qu’on se cache à Paris mieux qu’ailleurs, qu’il suffit, en général, de changer de position sociale, de prendre un nom supposé, pour déjouer les recherches de la police, et même les plus habiles détectives.

— Juve me cherchera partout et me trouvera, s’était dit Fantômas, sauf si je ne me cache pas.

Alors il avait pris froidement la résolution de recommencer à vivre au grand jour.

Fantômas, toutefois, cédant à un souci nouveau chez lui, avait changé quelque chose à sa manière habituelle. Maintes fois déjà, il avait eu recours à des noms d’emprunt pour dissimuler sa formidable personnalité, mais jamais encore il n’avait osé s’entourer de complices, ainsi qu’il le faisait cette fois-ci.

Dans l’hôtel de l’avenue Malakoff, il n’y avait, à vrai dire, que des complices du Tortionnaire. Le portier était un ancien bagnard, le chauffeur était Beaumôme et dans le domestique bien stylé qui venait de s’avancer au-devant de lui, Juve et Fandor eussent reconnu sans peine l’un des habitués du cabaret du père Korn : l’un des sinistres marlous du boulevard de la Villette. Pourquoi Fantômas avait-il poussé l’audace jusqu’à réunir dans son propre repaire des individus semblables ? Comment n’avait-il pas craint, en s’entourant de pareilles gens, d’attirer l’attention des agents de la Sûreté ? Il devait avoir de puissants motifs, de secrets desseins, de terrifiants projets, évidemment.

48
{"b":"176524","o":1}