— Allons, murmurait M e Faramont, voici une bonne affaire de faite, ce soir pour notre réception, j’aurai l’âme en repos.
***
Il fallait en effet à M e Faramont une âme en repos pour la réception du soir, car, dès six heures, celle-ci s’annonçait exceptionnellement brillante, réussie en tout point.
Dans les grands salons de l’appartement où M me Faramont, bien que le cœur lui en saignât, car elle était un tantinet avare, ou bonne ménagère, avait allumé toutes les lampes électriques, une foule nombreuse se pressait, qui s’ennuyait d’ailleurs considérablement, mais gardait un ton de bonne compagnie, conversait à voix basse, répondait d’un sourire aux flatteries qui s’échangeaient et dégustait aussi avec satisfaction les verres de citronnade et d’orangeade que passaient sur des plateaux plusieurs maîtres d’hôtel, des extras loués pour la soirée.
Or, vers dix heures et demie, au moment même où Jacques Faramont finissait enfin par rejoindre un attaché du ministère dont il espérait fermement obtenir les palmes, le bâtonnier vit s’avancer vers lui sa grosse cuisinière qui prenait un air mystérieux.
M e Faramont vit rouge. Il n’eût voulu pour rien au monde que la vieille bonne parût dans le salon. Il était d’usage qu’elle demeurât dans la cuisine, occupée à rincer les verres et qu’elle ne se montrât pas.
D’où provenait ce manquement aux ordres donnés ?
M e Faramont attira la vieille bonne dans un coin :
— Rosalie, qu’est-ce qu’il y a ?
— Monsieur m’excusera, mais j’ai pensé que je devais prévenir Monsieur. Il y a un bonhomme qui demande Monsieur.
— Un bonhomme ! reprenait-il. Vous êtes folle, Rosalie, de parler ainsi. Un bonhomme…
— C’est bien un bonhomme, dit-elle, il a un chapeau melon marron et un pardessus vert. Il m’a donné sa carte pour monsieur.
Elle tendit un petit carton dont M e Faramont se saisit. Le bâtonnier, toutefois, ne retrouva pas son lorgnon, il s’en consola en passant sa main sur la carte, cherchant d’un geste instinctif si celle-ci était gravée ou imprimée. Il eut un froncement de sourcils, la carte n’était qu’imprimée.
— Rosalie, je n’ai pas mon lorgnon, lisez-moi cela.
La cuisinière épela :
— Durandpaul, en un seul mot, Monsieur.
— Il n’y a pas de titres ?
— Si, monsieur, si, il y a écrit en dessous : « Détective ».
— Et là, au crayon, qu’est-ce qu’il y a d’écrit ?
— « Voudrais voir monsieur le Bâtonnier pour affaire très urgente et très importante. »
M e Faramont avait pâli un peu. Que pouvait lui vouloir un détective ? Il jeta un regard anxieux sur ses salons encombrés de monde. Mais nul ne semblait faire attention au colloque qu’il avait avec sa vieille bonne.
— Faites entrer ce monsieur dans mon cabinet, ordonna M e Faramont, je le rejoins immédiatement.
Le cabinet du bâtonnier avait été transformé en vestiaire. Les meubles, les chaises, étaient recouverts de vêtements ceinturés de ficelles roses auxquelles pendaient de petits numéros de carton. La pièce était comme ouatée de silence. M e Faramont en y entrant, aperçut tout de suite le détective qui l’attendait.
— Vous me demandez. Monsieur ?
— J’ai le plaisir de parler à Maître Faramont ?
— Oui, Monsieur. Qu’y a-t-il pour votre service ?
Le visiteur au lieu de répondre directement à M e Faramont traversa la pièce et tranquillement alla fermer la porte que le bâtonnier avait laissée entrebâillée derrière lui :
— Il faut que personne ne nous entende, dit-il.
La porte fermée, le visiteur revint vers M e Faramont et, à brûle-pourpoint :
— Asseyez-vous donc.
— M’asseoir ? Pourquoi ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
L’attitude étrange vraiment de ce Durandpaul commençait à impressionner désagréablement le bâtonnier. L’autre, pourtant, ne paraissait point s’en apercevoir. C’est avec un calme parfait qu’il revint se camper en face de M e Faramont :
— Asseyez-vous, répéta-t-il. Il vaut mieux que vous ne soyez pas surpris debout.
— Surpris debout ? répéta M e Faramont. Ah ça, que que voulez-vous dire ? Qui êtes-vous ?
Durandpaul, puisque tel était le nom du personnage, salua et déclina ses qualités :
— Inspecteur de police, pour vous servir, monsieur Faramont, inspecteur aux gages de la société L’Épargne.
Comme si un courant électrique l’avait galvanisé à l’improviste, M e Faramont se redressa.
— De la Société L’Épargne ?
Vous avez touché une assez forte somme à nos guichets aujourd’hui et en conséquence, j’ai été chargé de vous suivre depuis la Compagnie jusqu’à votre domicile afin de veiller à votre sécurité et d’éviter que l’on ne vous volât les cinq cent mille francs touchés.
— Par exemple, s’exclama l’avocat, et moi qui avais si peur ! Ah, c’est extraordinaire, votre compagnie est véritablement la meilleure des compagnies. Cette précaution me touche infiniment. Elle a été inutile puisque…
— Elle n’a pas été inutile. Vous avez été volé, monsieur Faramont.
— Volé ? Volé ? répétait-il. Non, non, vous vous trompez. Je n’ai pas été volé. En arrivant j’ai immédiatement compté et recompté mes billets, avant de les enfermer dans le coffre-fort que voici. Vous vous trompez.
Mais Durandpaul, gravement, déclarait :
— Je ne me trompe pas, monsieur le Bâtonnier, vous avez été volé, bien volé, on vous a pris les cinq cents billets de mille francs qui vous ont été remis à nos guichets. Oh rassurez-vous, le voleur est arrêté, c’est même parce que je me suis occupé de son arrestation que je viens vous avertir en retard. Mais vous avez été volé, bel et bien volé.
Durandpaul, visiblement, était convaincu de ce qu’il disait. La bâtonnier haussa les épaules, amusé :
— Allons donc, répéta-t-il, je suis sûr que vous vous trompez et vous avez dû faire une arrestation injustifiée. Les billets sont là, là, vous dis-je. Dans mon coffre-fort.
— Les billets ne sont pas là, assura tranquillement l’inspecteur, ou plutôt les billets qui sont là, Maître Faramont, sont faux. Le coup a été merveilleusement fait. On ne s’est pas contenté de voler votre pochette à billets, ce dont vous vous seriez évidemment aperçu, on a fait mieux, on l’a remplacée par une autre bourrée de papiers de la Sainte Farce. Les billets qui sont dans votre coffre sont faux, car les vrais se trouvent en ce moment au commissariat de police d’où je viens.
— Ce n’est pas possible. Et d’ailleurs nous allons bien voir !
Il avança vers son coffre-fort, se mit en devoir d’ouvrir celui-ci cependant que l’inspecteur de police, sûr de son fait évidemment, répétait lui aussi, imperturbable :
— Nous allons voir en effet, M e Faramont, qui de nous deux est dans l’erreur.
Les serrures du coffre grincèrent. M e Faramont prit le coffret où il avait, quelques instants plus tôt, serré les billets de banque. Il souleva le couvercle en demandant :
— Vous n’allez pas me soutenir, voyons, que ces billets ne sont pas de vrais billets de banque ?
Mais l’avocat n’en croyait pas ses oreilles :
— Imbécile ! venait de lui dire Durandpaul.
D’ailleurs, Faramont père ne devait pas en entendre davantage.
L’inspecteur de police s’était précipité sur lui. M e Faramont n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait qu’un bâillon se serrait autour de son visage, qu’une mince mais solide cordelette de soie lui liait mains et pieds.
Incapable de se défendre désormais, le bâtonnier gisait sur le sol de son cabinet de travail et alors, de ses yeux que la peur congestionnait, M e Faramont assista au plus extraordinaire des spectacles.
— Imbécile, répétait Durandpaul, le piège le plus grossier suffit.
Durandpaul, à ce moment, tirait sur sa barbe qui se détachait, arrachait sa perruque, ses sourcils postiches et, prenant son mouchoir, enlevait de son visage une couche épaisse de maquillage.