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Quoi qu’il en soit, Fantômas traversa d’un pas tranquille le grand vestibule, somptueusement décoré, qui s’ouvrait au bas de l’hôtel. Il gagna un petit salon, richement éclairé, un petit salon mystérieux où il pouvait causer sans craindre un espionnage, car les fenêtres étaient munies de doubles volets extérieurs, clos, volets intérieurs clos aussi et, par surcroît de prudence, doublés d’épais rideaux qui joignaient à merveille.

Fantômas n’eut pas sitôt ouvert la porte, qu’il éclata de rire :

Le petit salon dans lequel il pénétrait était, en effet, luxueusement meublé. Aux murs pendaient des tableaux de prix. Au plafond où des peintres célèbres avaient brossé des fresques de toute beauté, un lustre fait de cristaux rares s’incendiait de mille reflets. Meubles, tables, chaises, fauteuils, précieuses vitrines, tout témoignait, dans la pièce, d’une recherche raffinée, d’élégance et de bon goût.

Or, cinq individus étaient réunis dans ce salon confortable, dont la seule présence faisait tache.

Ces cinq apaches, sales, crottés, misérables et faméliques, n’étaient autres que Mort-Subite, le Bedeau, le Barbu, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz.

À l’écart, se tenait Bouzille. Le chemineau était accroupi par terre, et surveillait amoureusement un bouchon surmonté de gros sous.

Aussi bien il n’y avait pas d’illusion à se faire sur l’occupation des apaches. Chaises et fauteuils avaient été reculés contre le mur et tout à loisir dans cette pièce luxueuse, ils jouaient le plus démocratiquement du monde, au bouchon [12].

Fantômas contempla la scène, amusé, puis attira l’attention des joueurs :

— Fort bien, messieurs, disait-il, vous passez le temps agréablement.

Tous tournèrent la tête, confus un peu, gênés par l’apparition du maître. Bouzille, seul, demeurait indifférent et calme.

— Oh répliquait le chemineau, pour ce qui est d’être occupé, on est occupé, mais pour ce qui est d’être occupé agréablement, on pourrait être plus agréablement occupé. On ne verse pas souvent chez toi, Fantômas. Le pays est d’un sec ! Bref, j’ai joliment soif.

Bouzille tournait évidemment à l’ivrognerie depuis quelque temps, mais Fantômas ne répondit pas au chemineau.

Il prit un louis de vingt francs dans sa poche et le jeta sur le bouchon.

— Touché, cria-t-il. À moi les enjeux ! Assez plaisanté comme ça. Au rapport. Allons, où en êtes-vous ?

Ce fut Œil-de-Bœuf qui s’avança :

— Patron, dit l’apache, on en est où l’on en est et il y a des chances pour que tu raques la galette promise. J’ai des renseignements à te donner sur la poule.

— J’écoute.

— Eh bien la poule, Fantômas, elle se contrefout de la guerre avec les Turcs [13]. Je l’ai suivie deux jours, elle rigolait comme une baleine tout le temps. Ah, et puis elle a un amoureux, tu sais !

— Son nom ?

— Paraît que c’est un cabot et qu’il s’appelle Dick.

Fantômas ne sourcilla pas.

— Bien, fit-il, c’est tout ce que tu sais ?

— Oui, c’est tout pour aujourd’hui.

— Et vous autres, vous n’avez rien à m’apprendre ?

Du regard Fantômas interrogea les autres apaches. À son tour Mort-Subite s’avançait :

— Pardon, faites excuse, j’ai quelque chose à t’apprendre, Fantômas.

— Dis-le alors.

— C’est que la poule se prépare à déménager d’Enghien, ça je le sais par le portier, qui m’a raconté que la nommée Sarah avait fait préparer ses malles.

Cette fois, le visage de Fantômas avait blêmi.

— Oh, oh, dit-il, en vérité, Sarah Gordon s’apprête à partir. Tu es sûr de cela ?

— Certain. C’est rond comme une galette, ferme comme une pierre de taille, et décidé comme un jugement de la cour d’Assises.

— Bien, j’aviserai.

Fantômas se tourna vers Bouzille qui écoutait ces renseignements, tout en s’occupant à ramasser les sous demeurés sur le tapis, et qu’il fit disparaître prestement dans ses poches immenses.

— Et toi, demandait-il, tu ne sais rien ?

Bouzille leva ses mains vers le Ciel, prenant la posture des mahométans qui invoquent Allah.

— Grands dieux, non. Moi, je ne sais rien de rien, déclara-t-il. D’abord, je n’aime pas surveiller les femmes.

Et prenant une mine dégoûtée, Bouzille répétait :

— Mon âme de chevalier s’oppose à de pareilles surveillances, voilà, Fantômas ! Pourtant, si tu payais d’avance, si tu me donnais encore deux louis, je te dirais quelque chose.

Fantômas, à la volée, envoya au chemineau une poignée de pièces d’or.

— Parle, commanda-t-il.

— Eh bien voilà, répondit Bouzille qui se relevait, je te dirai : adieu, Fantômas.

Et là-dessus, il prit la fuite à toute allure, claquant les portes derrière lui, avec la prestesse d’un renard qui craint d’être écrasé par un fermier mécontent.

Fantômas n’avait pas bougé. Il haussa les épaules, et considérant les apaches qui riaient en dessous, il éclata :

— Voilà donc, faisait-il, tout ce que vous avez pu apprendre en huit jours de surveillance ! Car il y a huit jours que je vous ai chargés, les uns et les autres, d’épier Sarah Gordon, de me tenir au courant de ses moindres faits et gestes. Ah, vraiment, je ne sais quelle bonté s’est emparée de moi pour que je ne vous châtie point comme vous le méritez. Vous êtes tous ici mes lieutenants, vous êtes mes compagnons d’armes préférés, je devrais compter sur vous. Belle affaire ! Vous n’êtes occupés qu’à lâchement profiter de ma propre fortune, mais vous êtes, au fond, incapables de me servir. Comme ils sont intéressants vraiment les renseignements que vous m’apportez ! Vous êtes des brutes, moins que des brutes, des chiens !

Il était superbe de colère, il insultait ses hommes, et ceux-ci, tremblants, effarés de sa subite colère, ne soufflaient mot.

Soudain, Fantômas appuya sur une sonnette, le domestique parut.

— Est-on là ? demanda-t-il.

— Oui, patron.

— Parfait.

Fantômas retraversa le petit salon. Il alla ouvrir une porte qui communiquait avec une autre pièce, et d’un geste, il fit signe de se grouper à ceux qui l’entouraient.

— Je vais vous montrer, dit-il, comment travaillent ceux que j’emploie désormais.

Il ouvrit. Un cri de stupéfaction monta du groupe des apaches :

Dans le salon qu’ils apercevaient maintenant, étendue sur le tapis, ligotée, immobile, inanimée en apparence, une femme. Une femme dont tous ils reconnurent la silhouette : Sarah Gordon.

Fantômas se retourna vers eux :

— Chiens, retournez à la rue d’où vous venez ! Je me suis heureusement méfié de votre paresse et de votre couardise. J’ai chargé deux autres compagnons de s’emparer de Sarah Gordon. Vous voyez qu’ils ont réussi. Je saurai désormais à qui accorder ma confiance.

Et, sur ces paroles menaçantes, Fantômas quittait le petit salon, claquant la porte sur lui, s’avançant vers la malheureuse Sarah, qui, plus morte que vive semblait incapable du moindre mouvement, et regardait le Maître de l’Effroi de ses yeux écarquillés, seuls visibles sous l’épaisseur de la voilette.

— Mademoiselle, déclara Fantômas, demeurant debout auprès de la pauvre Américaine, mademoiselle me reconnaissez-vous ? Dois-je vous dire que vous êtes aux mains de celui qu’on a nommé le Maître de l’Effroi ? Dois-je vous dire que vous allez expier désormais le mal que vous avez fait à ma fille ? Dois-je vous dire que quiconque s’attaque à Hélène s’attaque à moi, et que mes vengeances sont impitoyables ?

Il était encore terrible dans sa colère, il semblait faire un effroyable effort sur lui-même pour se contenir :

— Répondez-moi, ordonnait-il. Aviez-vous une seule raison valable pour vous attaquer à Hélène ? Ma fille, mon enfant, vous avait-elle jamais fait le moindre tort ? Quelle a été votre folie d’oser vouloir l’arrestation de la fille de Fantômas ? Répondez-moi.

Mais Sarah Gordon se taisait toujours. L’horreur devait la priver de l’usage de la parole.

Alors Fantômas reprit de plus belle :

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