— Monsieur le directeur…
— Oui, quoi donc ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Le gardien avait mis la casquette à la main, il était affreusement pâle.
— Monsieur le directeur, dit-il, ah c’est épouvantable ! En passant l’inspection des détenus, je viens de m’apercevoir… enfin… C’est-à-dire, Fantômas… Fantômas n’est plus dans son cachot.
Les portes de la Santé fermées, une enquête très sévère semblait prouver un quart d’heure plus tard que nul depuis l’accident n’était sorti du préau. Pourtant, Fantômas y avait été vu au moment même de la catastrophe.
Qu’était donc devenu le Génie du Crime ?
13 – LOIN DE LA SANTÉ
Fantômas n’est plus dans son cachot.
Le gardien n’avait pas crié l’extraordinaire nouvelle, qu’à la minute, un affolement nouveau bouleversait tous ceux qui se trouvaient à ce moment autour du directeur de la Santé.
Tout homme de sang-froid qu’il fût, le directeur de la Santé perdait la tête à ce moment.
Il bondit sur le gardien qui se tenait effaré devant lui, il l’empoigna par le collet, et le secouant d’importance :
— Vous êtes fou, qu’est-ce que vous dites ? Fantômas n’est plus dans son cachot ? Eh bien, où est-il alors ? ah ! çà, où est-il ? parlez donc, dites-le !
— Je ne sais pas.
Le pauvre homme n’en put dire davantage, car, sous l’empire de la colère, M. Malherbe, directeur de la Santé, le gratifiait d’une telle bourrade, qu’il allait rouler à quelques pas :
— C’est inimaginable ! C’est impossible ! s’exclama le pauvre directeur en levant les bras au ciel dans un geste désespéré. Il n’a pu sortir, pourtant !
Puis il se précipita comme un fou vers les grandes portes de la prison, redoutant presque de les trouver ouvertes, s’attendant presque à ce que, en dépit des consignes les plus sévères et les plus rigoureuses, Fantômas ait pu s’en aller tranquillement, sans rencontrer le moindre obstacle.
M. Malherbe fut tout de suite rassuré. Les grandes portes étaient closes, le portillon lui-même était fermé.
— Avez-vous vu sortir quelqu’un depuis vingt minutes ? demanda-t-il au concierge.
— Non, monsieur le directeur.
— C’est bien.
M. Malherbe, toujours courant, revint vers le poste-vigie installé à la sortie des préaux, où devaient se trouver trois gardiens suivant les règlements.
— Etiez-vous là au moment de l’accident ?
— Oui, monsieur le directeur.
— Avez-vous vu passer quelqu’un, fût-ce un gardien ?
— Monsieur le directeur, à peine le chambardement a commencé, que j’ai pris sur moi de refuser le passage à tout le monde. Il y a des gardiens qui sont entrés dans le préau, mais personne n’en est sorti. D’ailleurs, si monsieur le directeur se rappelle bien, lui-même a dû me demander la porte pour pénétrer dans la cour.
— C’est vrai, je me souviens, en effet, que la porte était fermée.
Il quitta le poste-vigie, courut à nouveau vers le groupe effaré des surveillants.
— Brigadier-chef ?
— Monsieur le directeur ?
— Vous savez que Fantômas s’est évadé ?
— Oui, monsieur le directeur.
— Je viens de m’assurer par moi-même qu’il n’a pas pu sortir de la Santé. Donc, il est caché quelque part, ici, autour de nous, tout près de nous. Il faut le retrouver coûte que coûte. Faites boucler tous les cachots. Prenez tous les gardiens et perquisitionnez partout. Allez !
Une fois cet ordre donné, M. Malherbe appelait son secrétaire :
— Dites au portier que je consigne la maison. Laissez entrer qui voudra, mais que personne ne sorte.
— Bien, monsieur le directeur.
— Vous viendrez ensuite me rejoindre dans mon bureau.
— Bien, monsieur le directeur.
M. Malherbe quitta son secrétaire et, quatre à quatre, regagna son bureau directorial, où, se saisissant du téléphone, il demandait la communication avec la Sûreté.
— Allô, l’inspecteur Juve ? Ah, c’est vous, j’ai de la chance. Venez tout de suite, Fantômas vient de s’évader.
Il raccrocha le récepteur, il se prit la tête à deux mains, réfléchit quelques secondes, puis, au comble du désespoir, repris d’une agitation fébrile, il sortit de son cabinet :
— Il faut qu’il soit quelque part, crénom de bonsoir. Mais où est-il ?
Revenu dans le préau, M. Malherbe inspecta minutieusement l’état des lieux.
La machine qui s’était écroulée du premier étage gisait sur le sol, brisée.
— Quel était le surveillant de garde à l’atelier des machines ?
— Moi, monsieur le directeur.
— Que s’est-il passé au juste ?
— Pas grand-chose. Les détenus venaient de reprendre le travail. Une transmission s’est embrouillée. J’ai entendu un hurlement. Probable que la machine était descellée. Une courroie s’est tordue, enfin, je ne sais pas, monsieur le directeur, comment ça s’est fait. Mais la presse a été arrachée, culbutée contre la cloison, lancée sur la toiture du préau, qu’elle a trouée. D’où elle est retombée dans la cour. Voilà tout.
Le gardien, sa déposition faite, se hâta de rentrer dans le rang, il ne tenait pas à s’exposer spécialement aux foudres directoriales. Mais M. Malherbe était bien en train, en vérité, de sévir. Il se moquait pas mal, à ce moment, des fautes de service qui avaient pu être commises. Ce qu’il voulait, avant tout, c’était retrouver Fantômas. Après on verrait.
Laissant donc les surveillants dans la cour, le directeur de la Santé bondit dans l’atelier d’imprimerie. Il n’y vit rien d’extraordinaire. La cloison, en effet, était éventrée. En se penchant par la brèche, on apercevait le trou fait par l’écroulement de la machine dans la toiture du préau. Le sommet du mur bordant les cours avait été légèrement démoli au cours de l’accident.
— Mon Dieu, murmura M. Malherbe, mais où peut-il donc s’être caché ? Comment a-t-il pu s’enfuir ?
L’évasion de Fantômas, si Fantômas s’était évadé, tenait du miracle.
L’homme n’avait pas pu s’échapper par l’atelier d’imprimerie, car l’atelier d’imprimerie constituait une sorte d’impasse, au fond de laquelle il se fût trouvé enfermé. Le mur démoli, d’autre part, n’était pas entièrement effondré, il n’y avait pas de brèche pouvant permettre le passage d’un homme.
Le faîte seul avait été atteint, et encore, à cet endroit-là, comme le mur s’adossait à une autre muraille, cela ne livrait aucun passage.
« Personne n’est sorti de la cour des préaux, se répétait M. Malherbe, donc il est là, mais où ? »
À cet instant, le directeur de la Santé était penché sur la brèche creusée dans le mur de la prison. Il aperçut une équipe d’ouvriers qui entrait.
Il dégringola en toute hâte, par l’étroit escalier, au-devant des arrivants :
— Vous venez de la part de l’entrepreneur ? demanda-t-il.
— Oui, monsieur, répondit le compagnon qui conduisait l’équipe.
— Eh bien, ne vous occupez pas de la toiture, ni de l’atelier mais bouchez-moi rapidement les dégâts occasionnés au mur.
— Bien, monsieur.
Un gardien accourait :
— Monsieur le directeur, l’inspecteur Juve vous attend.
***
Fantômas n’était pas loin. Fantômas, supérieur aux événements, prêt à tout, merveilleux d’audace et de sang-froid, était là, précisément où il voulait être, là où il avait décidé d’être, lorsque tout ce qu’il avait prévu serait consommé.
L’extraordinaire bandit, le Roi du Crime, une fois encore, venait de réussir la plus affolante des aventures.
Le Génie, véritablement, avait donné sa mesure en combinant l’évasion en train.
Lorsque Fantômas, en effet, avait décidé de se livrer à Juve pour que le policier s’attachât à poursuivre les assassins de lady Beltham, il avait eu l’audace, au préalable, de préparer minutieusement la façon dont il sortirait de la Santé, si besoin en était, à son heure et à son jour.
Le plan de Fantômas avait le mérite d’une simplicité extraordinaire. Il connaissait la Santé et la disposition intérieure des locaux de la prison. Il n’ignorait rien de la situation respective de l’atelier d’imprimerie, de la toiture du grand préau, du mur qui bordait ce grand préau.