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Plus même, Fantômas savait que ce mur était creux, et que dans ce mur, caché entre ses deux flancs, il pourrait trouver une retraite insoupçonnable.

Et dès lors, Fantômas avait mûri un plan qui, jusque-là, semblait devoir parfaitement réussir.

Un ancien compagnon, un bandit qu’il savait prêt à tout, qui n’était autre que le Gréviste, avait reçu de lui des instructions formelles.

L’homme connaissait les travaux d’imprimerie. Il devait faire en sorte de se faire arrêter, d’être incarcéré à la prison de la Santé, d’être affecté aux ateliers dominant la cour de promenade, d’être prêt à faire tomber une lourde machine sur le mur creux au jour, à la minute où Fantômas le lui commanderait.

Le Gréviste n’avait pas failli à sa tâche.

Homme habile, il avait lentement descellé la lourde presse autour de laquelle il travaillait. Une savante combinaison de courroies de transmission lui avait permis, par une simple manœuvre, d’ébranler la machine et de la précipiter contre la muraille qu’elle renversait en tombant là où il le fallait.

Même le Gréviste avait essayé en choisissant l’heure propice – Fantômas lui laissant le choix – de tuer un gardien auquel il en voulait particulièrement.

Fantômas, dès lors, avait agi avec une extraordinaire rapidité. Tout d’abord par bravade, pour stupéfier ceux qui auraient à s’occuper de l’affaire, il arrachait à une mort certaine le gardien menacé. Puis tandis que l’homme roulait au loin, tandis que l’affolement s’emparait de tous, après avoir une seconde fait le mort, il s’était glissé derrière la machine, avait sauté, plus vif que l’éclair, sur le faîte du mur, par un bond prodigieux, et s’était laissé glisser à l’intérieur de ce mur.

Fantômas, dès lors, échappait à tous les regards. Entré dans le mur, caché mais étouffant presque, dérobé aux regards de tous, Fantômas n’avait plus qu’à ramper lentement pour s’écarter de l’endroit où la brèche avait été faite par la machine éboulée, et éviter ainsi d’être repris.

Il n’était pas sauvé, d’ailleurs. À l’intérieur du mur noir, Fantômas courait le risque d’être découvert par les maçons, qui, appelés d’urgence, allaient l’enfermer irrévocablement en rescellant les moellons éboulés. Fantômas devait le savoir, car il ne manifesta aucune hésitation, aucune frayeur. Tandis que le directeur le cherchait partout, tandis que l’affolement régnait à l’intérieur de la prison, le bandit, caché dans le mur creux, continuait de progresser pouce par pouce en prenant des précautions insensées. Le mur avait peut-être une dizaine de mètres de longueur, il mit près de trois quarts d’heure à les parcourir, mais quand il s’arrêta enfin, il soupira, joyeux, soulagé.

— Sauvé, murmura Fantômas.

La situation exacte, à ce moment, pouvait se résumer ainsi :

Tous les gardiens de la Santé le recherchaient. Juve était prévenu et il était lui-même, Fantômas, au centre presque de la prison, enfermé dans une muraille, ayant à la défoncer, si d’aventure il voulait vraiment s’échapper et non se suicider.

Pourtant, Fantômas avait répété plusieurs fois :

— Sauvé, je suis sauvé.

Or, au moment précis où le bandit, à l’intérieur de sa cachette, se félicitait et s’estimait hors de danger, il tressaillit violemment et prêta l’oreille.

Deux voix parvenaient jusqu’à lui. Deux hommes s’entretenaient à quelques centimètres évidemment de lui, appuyés peut-être contre le mur à l’intérieur duquel il se cachait. L’une de ces voix était inconnue de Fantômas, l’autre, c’était la voix de Juve.

Très calme, Fantômas prêta l’oreille.

— Il n’est pas possible qu’il soit loin, disait M. Malherbe.

Juve répondait :

— On ne peut rien affirmer avec un bandit de cette espèce, et le mot impossible n’existe pas pour lui. Toutefois, monsieur le directeur, je crois comme vous, d’après l’enquête que nous venons de faire en commun, que Fantômas ne peut pas être loin. Il a pu se cacher ici, dans la prison même. Et si vraiment il y est, ah dame, il lui faudra bien de la chance pour arriver à en sortir, étant donné les précautions prises, étant donné le nombre des policiers que j’ai amenés, et que j’ai postés partout.

Fantômas n’écoutait plus. Le misérable subissait une douleur épouvantable.

La cachette de Fantômas était si étroite que le bandit pouvait tout juste s’y dissimuler. S’il avait fait le moindre bruit, Juve et Malherbe l’auraient entendu comme il les avait entendus causer, et, dans cette position critique, alors qu’il ne pouvait se mouvoir, Fantômas sentit qu’une bête remuait dans l’ombre, une bête, un rat, un gros rat, un gigantesque rat d’égout qui courait sur lui, poussant de petits cris aigus et qui, bientôt, lui ayant effleuré le pied, le mordait cruellement. Que faire ? Se défendre c’était se livrer.

Fantômas, stoïque, serra les dents, se laissa mordre, sentit que son sang coulait, mais demeura immobile.

De l’autre côté du mur, Juve et Malherbe continuaient leur dialogue :

— Il faut d’abord, disait le directeur de la Santé, mettre au courant le Garde des Sceaux. Pour moi, c’est en somme une question de responsabilité. Je vais passer au ministère de l’Intérieur, et au ministère de la Justice. Est-ce que vous m’accompagnez, Juve ?

— Non. Attendez encore une heure, monsieur le directeur, je fais fouiller les caves en ce moment, je veux savoir le résultat de ces perquisitions.

Le directeur de la Santé s’éloigna en compagnie de Juve. Le bandit qui était livide, torturé par les morsures du rat, et qui avait eu la force d’âme de ne point bouger, respira profondément. Il se baissa alors et, au risque d’être plus cruellement mordu encore, ses doigts fouillèrent dans l’ombre. Il attrapa le rat, ses doigts se refermèrent sur lui. La bête eut beau se débattre, il l’étrangla lentement, impitoyablement, ne jetant le corps de l’animal au loin, qu’après s’être assuré qu’il était sans vie.

« J’ai eu peur, se disait Fantômas. Décidément on ne songe pas à tout, cette maudite bête a failli faire ce que ne sauraient faire Juve et tous ses policiers. »

D’un regard, Fantômas s’assura d’abord que les maçons avaient rebouché la brèche par laquelle il s’était introduit dans le mur creux. Il ne pouvait voir cette brèche de l’endroit où il se trouvait, mais il eût à coup sûr découvert, si elle était demeurée ouverte, une clarté, un rayon de lumière. Or, l’obscurité était absolue. « C’est le moment d’agir », répéta le monstre. Et à cet instant, changeant lentement de position, il sembla se préparer à un effort puissant. Fantômas, en effet, s’arc-boutait du dos et des bras aux deux murailles qui limitaient sa cachette. Il prenait un point d’appui sur ses genoux aussi, alors il banda ses muscles, un cri s’échappa de ses lèvres :

— Hardi, c’est pour être libre !

En face de lui, la muraille s’écroula, Fantômas venait de défoncer le mur, il roula sur le sol. Où était-il ?

Rapidement, il s’orienta, puis éclata de rire :

— Décidément, j’ai parfaitement combiné mon affaire, je suis bien dans la remise.

Fantômas était, en effet, dans une remise où se trouvait une somptueuse voiture automobile, une limousine salon, appartenant à M. Malherbe. Le mur qui fermait la cour des préaux d’un côté, fermait de l’autre, à l’une de ses extrémités, le fond de cette remise.

Fantômas eut un ricanement satisfait en se relevant.

— En un autre endroit, murmurait-il, j’aurais évidemment perdu mon temps à essayer d’enfoncer la muraille partout où elle est faite de briques et de moellons. Il n’y a qu’ici qu’elle est continuée par de simples carreaux de plâtre. Les architectes du gouvernement ont voulu faire des économies. Je leur dois des actions de grâce.

Il rit encore, étendit les bras, en homme que l’immobilité a terriblement fatigué, puis banda avec son mouchoir la plaie de son pied, qui saignait sur le sol.

— Inutile de laisser des traces derrière moi.

Debout, désormais, Fantômas écouta. Il collait son oreille au mur qu’il venait de défoncer.

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