Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Il montrait Fantômas à Sarah.

Sarah contempla Fantômas et, sans doute, l’Américaine eut peur d’avouer qu’elle reconnaissait parfaitement le Maître de l’Effroi, à qui elle avait eu si tragiquement affaire à Enghien, car elle répliqua faiblement :

— Non, monsieur, je ne connais point cet homme.

— Alors vous n’avez pas vu Fantômas à Ville-d’Avray, madame ?

— Non, monsieur, affirma Sarah, je n’ai pas vu cet homme.

— Vous avez dû le voir en cagoule, madame. Vous l’avez vu en manteau noir, mais vous n’avez pu distinguer ses traits, sans doute ?

Sarah Gordon, trop émue, ne répondit pas. Quant à Fantômas, il ne connaissait rien des affaires de Ville-d’Avray, et il se demandait naturellement à quoi le magistrat faisait allusion.

Seul, M e Faramont souriait, satisfait, semblait-il. Quant à Sarah Gordon, frémissante, elle paraissait tituber de vertige, émue au plus haut point.

Germain Fuselier voulut interrompre cette scène.

— Madame, je vous remercie, déclarait-il, vous pouvez vous retirer. Toutefois j’aurai peut-être à vous entendre à nouveau et, par conséquent, je vous prie de vous tenir à ma disposition.

Sarah Gordon partie, M. Fuselier ordonna :

— Gardes, reconduisez le prisonnier, l’interrogatoire est terminé.

Mais Fantômas, tandis que les gardes l’entraînaient, lui jeta :

— Monsieur le juge, je ne suis plus prisonnier.

***

Dix minutes plus tard, dans le cabinet du magistrat, une discussion animée avait lieu entre M. Fuselier, Juve et M e Faramont.

Les trois hommes n’étaient pas d’accord.

— Messieurs, déclarait le bâtonnier d’un petit ton tranquille, j’imagine que maintenant, vous êtes de mon avis. Nous tenons enfin une certitude, et une certitude intéressante. M me Sarah Gordon a certainement vu Fantômas à Ville-d’Avray et ne reconnaît pas Fantômas, alors qu’il est en prison. Donc, le Fantômas qui est en prison est un faux Fantômas. Autrement dit, ce n’est pas Fantômas.

— Permettez ?

— De plus, monsieur Juve lui-même, poursuivait l’avocat, est obligé de constater que, bien que Fantômas soit incarcéré, semble-t-il, les événements les plus étranges, les plus mystérieux phénomènes continuent à se produire. Les affaires de Ville-d’Avray viennent donc à l’appui de ma thèse, elles prouvent que mon client n’est pas Fantômas.

— Mais, bon Dieu, jura le policier, donnant enfin libre cours à son énervement, mais, bon Dieu, vous ne songez pas à ce que vous dites, maître Faramont ! C’est bien de Fantômas qu’il s’agit, puisque lui-même, lui-même, entendez-vous, reconnaît qu’il s’est livré.

À ce moment, Fuselier n’écoutait plus. Le juge se répétait cette question :

— Pourquoi Fantômas vient-il de dire qu’il n’est plus prisonnier ?

***

Ce même soir, une heure plus tard, Fantômas était conduit par ses gardiens dans le préau de la Santé pour la promenade habituelle.

Or, à peine Fantômas était-il arrivé dans le préau, qu’un autre détenu qui était le Gréviste s’approchait de lui :

— Quand ? demanda l’homme.

— Aujourd’hui.

— Le plus vite possible, alors ?

— Tout à l’heure, si tu le peux.

— C’est bien, ce sera fait dans cinq minutes, et je te promets, Fantômas, qu’il n’y aura rien à reprendre à mes dispositions.

— Bien, merci. Fais vite alors.

— Dans cinq minutes, je te dis. Fantômas, tu trouveras le moyen d’être près de la fontaine au moment où le gardien 113 fera la distribution de gobelets.

— Près de la fontaine, répéta Fantômas, ou contre ?

— Près, sapristi.

— Bien.

Le front du bandit avait repris sa sérénité. Le Gréviste et lui n’échangèrent pas un mot de plus. Or, moins de quatre minutes plus tard, un double coup de sifflet retentissait dans la cour. Un gardien venait de s’approcher d’une sorte de fontaine dressée au fond du préau. Il tenait attachés par une chaîne une grande quantité de petits gobelets qu’il distribuait aux détenus qui s’approchaient l’un après l’autre, c’était là ce que l’on appelait la distribution de cantine, ces gobelets étaient pris par les détenus qui avaient demandé à s’acheter un peu de vin sur les fonds amassés par leur travail dans les ateliers de la prison.

Fantômas s’approcha du gardien qui faisait la distribution de ces gobelets. Il ne s’appuya pas, d’ailleurs, à la fontaine.

— Voici l’instant, murmurait Fantômas.

Quelques secondes plus tard, Fantômas s’exclamait :

— Diable, c’est le gardien 113 qui est là. Celui que le Gréviste ne peut pas souffrir. Oh ! oh !

Un nouveau coup de sifflet troua l’air. Les détenus, parmi lesquels se trouvait le Gréviste, se mirent en rang et, sous la conduite des gardiens, se dirigèrent vers les ateliers d’imprimerie situés au premier étage de la prison en bordure du préau.

Fantômas ne sourcilla pas. Il se recula un peu, et parut même plier les jarrets comme s’il se fût apprêté à bondir.

Dans la cour, les autres brigades des détenus continuaient à se promener. Tous ne sortaient pas en même temps. Tous ne rentraient donc pas à la même minute.

La distribution des gobelets d’ailleurs n’était pas achevée.

Quelques minutes passèrent.

Et puis soudain, à l’improviste, au milieu d’un grand vacarme, un événement extraordinaire survint. Juste au-dessus de la fontaine, une grêle de pierres, de moellons, de briques s’abattit avec fracas. Puis, comme dans un éclair de pensées, en une fraction de seconde, une énorme masse noire, une pesante machine d’imprimerie, balancée par une combinaison de courroies, creva la muraille du premier étage, tomba sur le préau, enfonça la toiture, démolit un mur et roula sur le sol.

À l’instant même où la machine crevait la muraille et roulait dans l’espace, avec une folle témérité, Fantômas s’était élancé.

Repoussant devant lui ceux qui gênaient ses mouvements, il avait bondi jusqu’au gardien adossé à la fontaine qui allait immanquablement être écrasé sous le poids de la machine qui s’affalait.

Et Fantômas alors, saisissant cet homme d’une poigne puissante, l’agrippait au collet et au bras ; le rejetant en arrière, il l’arrachait à la mort et roulait avec lui parmi les décombres sur le sol du préau.

Dans la cour, des hurlements d’effroi retentirent.

La sonnette d’alarme se fit entendre. Lés gardiens accoururent de toute part. Les condamnés et les détenus se reculaient au fond du préau. Fantômas, seul, demeurait en avant, inerte eût-on cru, près du gardien qu’il venait de sauver.

Alors, dans le brouhaha, des ordres éclatèrent. Le directeur de la prison accouru avec tous les gardiens-chefs, tous les surveillants, se multipliait. En un instant, les détenus stupéfaits furent réintégrés dans leur cellule. Dans la cour vide, seuls les gardiens demeuraient en compagnie du directeur de la prison, homme de sang-froid, fort intelligent.

Il commença par inspecter les lieux, par examiner la machine affalée sur le sol, brisée en mille morceaux, puis, la toiture du préau, le mur enfin, dans lequel une large brèche avait été creusée :

— Tout cela est réparable, déclarait le directeur de la prison, et vraiment il faut se féliciter qu’il n’y ait que des dommages matériels, c’est miracle qu’il n’y ait pas eu d’accident de personnes. Enfin, nous allons ouvrir une enquête et savoir exactement les causes de cet extraordinaire accident. Au fait, où est le surveillant-chef ?

— Me voici, monsieur le directeur.

— Bien ! Mon ami, vous allez vous rendre immédiatement chez les maçons chargés de l’entreprise de la prison et vous demanderez des ouvriers d’urgence. Pour la toiture, ce n’est pas pressé. Mais j’entends que demain au plus tard, ce mur soit refait. Évidemment, il n’y a pas de danger d’évasion, mais les détenus en descellant les pierres de la muraille pourraient se procurer des projectiles. Allez.

— Bien, monsieur le directeur.

Le directeur de la Santé allait même se retirer fort satisfait, ainsi qu’il venait de le dire, de n’avoir aucune catastrophe grave à déplorer et véritablement émerveillé qu’il n’y ait point eu d’accident de personnes, lorsqu’un gardien haletant accourut jusqu’à lui :

34
{"b":"176524","o":1}