Cela tenait tout simplement à ce que Juve, ou pour mieux dire le policeman 416, était de service auprès du prisonnier Garrick, et qu’il était plus que temps de rejoindre son poste.
Telle était du moins l’opinion qu’auraient pu avoir la plupart des gens, en voyant le policeman se dépêcher à travers les couloirs.
Mais quiconque aurait entendu la conversation qu’il engageait quelques instants après avec le détenu, aurait estimé que le souci d’être à l’heure n’était pas la seule préoccupation qui hantait le cerveau de Juve.
Garrick et le policeman, en présence du gardien, s’étaient salués presque cordialement, affectant de se donner l’un à l’autre leurs qualifications officielles.
— Bonsoir Garrick, avait dit Juve…
— Bonsoir « 416 », avait répliqué Fantômas…
Mais sitôt qu’ils furent seuls, l’entretien changea de tournure. Rompant avec les banalités du début, car avec angoisse il sentait s’écouler les minutes, Juve déclara :
— Fantômas, je viens d’enquêter chez votre malheureuse amie Françoise.
— Eh bien ?
— Eh bien j’avoue que si j’ai quelque idée, et je suis bien persuadé que ceci ne vous étonnera pas, relativement à la culpabilité de Nini, je ne m’imagine point encore, comment, pratiquement, elle a pu empoisonner votre maîtresse… Pourtant je viens de faire une rencontre… Sortant de chez Françoise j’ai croisé Beaumôme, l’apache Beaumôme que j’ai fait arrêter provisoirement…
Fantômas paraissait profondément troublé :
— Vous avez arrêté Beaumôme, pourquoi Juve ?
— Il fuyait, emportant un paquet de linge…
— Un paquet de linge…
C’était d’une voix torturée, hésitante, que Fantômas venait de répéter les derniers mots du policier…
Juve ne s’y trompait pas. Certes, il ne comprenait pas encore l’importance exacte du paquet qu’il avait vu emporter par Beaumôme, mais il se doutait qu’en le signalant à Fantômas, rapidement il arriverait à savoir la vérité, la vérité que le bandit devinait, devait deviner, c’était sûr.
Fantômas, d’ailleurs, blême, décomposé, paraissait en proie au plus grand trouble. Après avoir tardé à reprendre l’entretien, il interrogea soudain, brutal :
— Eh bien, qu’attendez-vous de moi, Juve ?
— Une explication, Fantômas !… Vous m’avez dit de vous venger, de venger Françoise… Je suis persuadé que maintenant vous avez les moyens de m’y aider. J’ai fait retenir au poste Beaumôme, avant d’aller solliciter du Coroner un mandat d’arrêt, en ma qualité de policeman. J’ai voulu vous voir pour obtenir de vous une collaboration. Voyons, Fantômas : comment Nini et Beaumôme, car ils doivent être complices, ont-ils pu empoisonner Françoise ?
Une nouvelle hésitation se peignit sur le visage de Fantômas. Le bandit répugnait à aider Juve. Pourtant il se décida :
— Juve, déclarait-il, s’il ne s’agissait de venger Françoise, vous n’obtiendriez rien de moi. Mais on l’a tuée, elle qui était innocente, elle que j’aimais. En s’en prenant à elle, c’est à moi que l’on a déclaré la guerre… Soit. Ce n’est pas impunément que l’on me brave. Vous voulez l’explication de ce crime ? la voici. Nul ne comprend comment Françoise a pu être empoisonnée, je vais vous le dire, car je sais ce que Fantômas a fait jadis. Juve, poursuivit son interlocuteur, Fantômas jadis a eu l’occasion de tuer ou pour mieux dire de faire mourir par le poison quelqu’un dont il voulait se défaire, il s’est contenté pour cela de saupoudrer de façon répétée, les draps du lit de sa future victime avec de l’arsenic en poudre… Cette poudre par les pores de la peau, peu à peu, lentement a pénétré dans l’organisme. La victime, condamnée par Fantômas, est morte sans qu’on ait jamais su pourquoi… Juve, quelque chose me dit qu’on a empoisonné la pauvre Françoise Lemercier de la même manière… Juve, si vous m’en croyez, faites analyser les draps du lit dans lequel a expiré cette malheureuse.
Haletant, incapable de dissimuler son émotion, Juve, muet d’horreur, buvait littéralement les paroles de son adversaire.
Et, soudain, le voile se déchira. Il comprit que l’atroce machination dont avait été victime l’infortunée Françoise, devait avoir été manigancée, préparée comme le disait Fantômas. Fantômas, mieux que personne, savait toutes les manières de tuer. Ah, décidément, c’était un adversaire confondant, admirable, ça n’était pas seulement l’insaisissable Fantômas, c’était encore et toujours le Génie du Crime.
Il se ressaisit néanmoins.
— J’ai compris, Fantômas, merci. Je vais pouvoir faire maintenir Beaumôme en prison, vous serez vengé.
Et comme s’il eût été douloureux de n’arrêter l’apache que pour venger Fantômas, Juve ajouta :
— D’ailleurs, Beaumôme est aussi l’assassin de French. J’en suis sûr, j’en ai la preuve.
— La preuve !… Êtes-vous certain de ce que vous avancez, Juve ?
— Oui, certain…
Juve prit dans son portefeuille les documents qu’il avait volés chez Nini Guinon, les photographies prises par French, et qu’avait déjà dérobées, chez le photographe Sigissimons, le nègre Job, ce complice de la bande…
Or, sur ces photographies que Fantômas considérait anxieusement, apparaissait, à côté de lady Beltham, la silhouette caractéristique de l’apache Beaumôme. C’était ce voisinage, joint à mille autres détails, qui avait déterminé Juve à voir en Beaumôme l’assassin de French…
— Vous avez raison, dit Fantômas. Juve, vous êtes fort, très fort… presque aussi fort que moi. Je vous félicite de la manière dont vous avez mené cette enquête et réussi à démasquer le coupable, l’auteur de l’assassinat de French. Je vous félicite encore…
Mais Juve n’avait que faire de ces railleries.
— Suffit, coupa-t-il. Je suis maintenant armé pour faire définitivement le procès de Beaumôme, je vous quitte…
Juve allait, en effet, sortir de la cellule pour se précipiter au poste de police, lorsque Fantômas le retint :
— Un instant, Juve, vous oubliez nos bonnes conventions : donnant, donnant… Je viens de faciliter votre rôle et de vous mettre à même de maintenir sous les verrous un assassin que, d’ailleurs, je ne suis pas fâché de voir appréhender, il me faut un service en échange. Vous m’aviez promis de retrouver lady Beltham, vous ne l’avez pas fait…
— Pas encore, dit Juve, mais bientôt…
— Je veux mieux que cela ! répliqua Fantômas… Lorsque vous aurez trouvé lady Beltham, Juve, il faudra l’amener ici, ici même… Ne vous inquiétez pas des autorisations, je me charge de les obtenir par mes collègues. Lorsque lady Beltham sera là, nous déciderons elle et moi… entendez-vous bien, Juve, elle et moi, si elle doit ou non déclarer qu’elle est M meGarrick…
Juve hésitait.
Certes, il comptait bien retrouver lady Beltham dans le plus bref délai, mais pouvait-il accepter de la conduire auprès de son amant ? Devait-il réunir les deux bandits ?
C’était là favoriser la libération ou l’évasion de l’un, l’impunité de l’autre…
Car assurément, si Fantômas voulait voir lady Beltham, la voir dans la prison, c’est qu’il préparait Dieu sait quoi.
Juve hésitait…
Mais Fantômas, d’un dernier mot, leva ses scrupules.
— Juve, déclara-t-il, en me mettant en présence de lady Beltham, en me facilitant un entretien avec elle… c’est l’unique chance qu’il vous reste de retrouver Jérôme Fandor, décidez-vous ?…
— C’est entendu, déclara-t-il, j’amènerai lady Beltham…
Et Juve comprit que, de la sorte, il serait l’instrument qui permettrait à Fantômas de prouver son innocence, d’obtenir sa libération.
Fantômas ne manquerait évidemment pas de décider lady Beltham à reconnaître qu’elle était M meGarrick.
Toute l’accusation, dès lors, s’effondrerait et le monstre, pour une fois innocent et prisonnier, serait rendu à la liberté.
C’était indiscutable, évident.
— Eh bien, soit, s’était dit Juve, aussi bien vaut-il mieux que Fantômas ne soit pas exécuté sous le nom de Garrick… J’accepte le défi, Garrick libéré, innocenté, Tom Bob reprendra plus que jamais son importance, et je serai sur ses pas et, dès lors, je saurai le démasquer…