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William Hope avait raison : les minutes étaient précieuses… elles étaient comptées maintenant, il ne fallait pas les gaspiller…

— Révérend ! mon cher Révérend ! faisait simplement Tom Bob, je ne sais pas s’il est un mot au monde, dans n’importe quel langage que ce soit, pour dire merci à vous à Shepard et à Davis…

— Laissons cela, ce que nous ferons, ce que nous devons faire, nous le faisons parce que c’est notre devoir. Vous n’avez pas à nous en remercier, Tom Bob… dites-nous seulement…

Et William Hope ajouta en souriant :

— Oubliez que vous êtes le condamné Garrick, souvenez-vous que vous êtes le détective Tom Bob…

Or, le Révérend William Hope, parlant ainsi, employait précisément les mots qui pouvaient le mieux rappeler au sang-froid le condamné…

— Vous avez raison, Hope. Toutefois, encore un mot. Avant même que j’accepte de discuter avec vous quoi que ce soit, je tiens à vous dire que si je me décide à user de votre concours, ce n’est pas parce que vous êtes mes collègues, mais parce que je suis innocent, parce que je n’ai pas tué ma femme.

— De grâce, dit Hope, Tom Bob, parlons utilement, je n’ai peut-être plus que quelques minutes à rester avec vous… Votre innocence, personne n’en doute. Hélas, nous savons moins comment vous faire échapper d’ici… si l’on s’échappe d’une prison comme Pentonville.

Mais cette fois, Tom Bob sourit.

— Mon cher ami, vous n’y songez pas. On ne sort pas de cette prison. On ne quitte cette cellule que pour aller à la potence…

— Tom Bob, il n’est pourtant pas possible que nous vous laissions tuer, vous que nous savons innocent ?… il n’est pas possible, surtout, que vous, vous le roi des policiers, vous qui avez donné tant de preuves d’extraordinaire habileté, vous, enfin, Tom Bob vous ne trouviez pas moyen, avec notre aide, de sauver votre tête.

— C’est pourtant difficile, Hope…

— Ah ! ne parlez pas ainsi ! Vous désespérez…

— Je n’ai pas dit ça.

— Tom Bob, vous avez donc trouvé le moyen ?

Tom Bob se levait, marchait quelques secondes dans sa cellule…

Soudain, il interrogea :

— Hope, vous me répondrez franchement, n’est-ce pas ?

— Certes… mais que voulez-vous dire ?

— Vous n’essayerez pas de m’abuser d’un espoir trompeur ?… vous me direz la vérité ? toute la vérité ?… quelle qu’elle soit ?… même si elle doit signifier que je suis irrémédiablement perdu ?…

— Je vous dirai toute la vérité, Tom Bob… parlez ?

— Alors, avant tout Hope, dois-je ne compter que sur vous, sur mistress Davis et sur Shepard ?

— Je ne vous comprends pas ?

— Que pense le lord Chief-justice ?

— Il pense… il pense… Mon pauvre Tom Bob, il ne faut pas attendre un secours de ce côté…

Tom Bob baissa la tête, accablé…

Il avait presque espéré que le haut magistrat était au courant du projet d’évasion, qu’il l’autorisait, l’inspirait peut-être, fermait les yeux, de toute manière.

— Bien ! fit le condamné. Je ne compte donc que sur vous trois…

— Oui, sur nous trois, mais sur nous trois qui vous sommes dévoués jusqu’à la mort.

— C’est bien à elle que vous allez m’arracher, et j’espère qu’il n’en résultera rien de fâcheux pour vous…

— Vous avez donc un plan ?

— Oui…

— Réalisable, Tom ?

— Réalisable… Mais commençons par le commencement. Qui assistera à mon exécution ?

— Mais il ne faut pas que l’on vous exécute…

— Non, il faut que l’on m’exécute… Tenez, Hope, si vainement vous avez cherché, au Conseil des Cinq, le moyen de me sauver c’est que vous n’avez pas admis cette vérité première, cette vérité évidente, cependant : on ne sort d’un cachot comme celui-ci que pour aller à la potence…

— Mais alors… alors, fit-il, il est trop tard… beaucoup trop tard pour rien tenter ?…

— Vous vous trompez Hope…

— Tom… vous ne supposez pas qu’un coup de force… Ce serait impossible.

— Je ne vous propose pas un coup de force…

— De la ruse alors ? ah ! Tom ! vous me faites peur. Je vous l’ai dit, il n’y a que nous trois à comploter… Ne comptez pas sur le bourreau, même, nous ne sommes pas certains de le gagner…

— Je ne compte pas sur le bourreau…

— Expliquez-vous.

— Hope, un prochain matin on viendra me chercher pour me pendre, c’est inévitable, on me pendra… Mais cela, je m’en moque. Ce que je ne veux pas, c’est mourir d’être pendu…

— Je ne vous comprends pas.

Et une étrange terreur avait pris soudain le Révérend que Tom Bob eût perdu la raison, car maintenant Tom Bob riait… Oui, il riait cet homme qui, à l’aube devait marcher à la potence…

— Je suis en pleine possession de mon sang froid, déclara Tom Bob, qui lisait dans la pensée du Révérend et je ne dis rien de déraisonnable… donc, je me résigne, Hope, à être pendu, mais je ne veux pas mourir de cette pendaison.

— Mais comment empêcher…

— C’est infiniment simple. Voyons, mon cher Révérend, vous savez comment les choses se passent, n’est-ce pas ?… le bourreau vient me chercher… on m’emmène jusqu’à la potence, on me passe le nœud autour du cou, la trappe bascule, je roule dans le vide… comme je tombe de très haut et que la corde m’arrête dans ma chute, je me brise l’échine… Mort immédiate… bien !… une fois que je me suis brisé l’échine, le bourreau remonte sa corde et l’on me laisse ainsi pendu selon les prescriptions légales, pendant une bonne heure, ce qui fait que si par hasard je ne m’étais pas brisé les reins, je serais étranglé… mon Dieu Hope, cela signifie tout simplement, en somme, que j’ai deux fois à éviter la mort.

— Parlez… parlez, dit Hope, il me semble que je vis un cauchemar…

— Mon cher Hope, pour éviter ce qui paraît inévitable, que j’aie les reins brisés, il suffit tout bonnement et c’est un jeu pour des policiers comme vous, que le bourreau ne s’aperçoive pas qu’on a remplacé la corde choisie par lui, par une corde plus longue. De la sorte quand on basculera mon corps dans le vide, au lieu de rester suspendu brutalement dans le vide, je tomberai sur mes pieds… et certes il y a un grand risque, à ce moment, que je me casse les jambes, mais enfin je ne me romprai pas la colonne vertébrale… C’est toujours ça de pris. Vous me suivez ?

— Très bien ! affirmait William Hope… je sais que tout à l’heure le bourreau va venir précisément pour vous voir et calculer la longueur de la corde qu’il doit employer… Il est facile, en effet, de changer cette corde, d’en mettre une plus longue… malheureusement, comment empêcher, lorsque vous aurez ainsi une première fois échappé à la mort, mon cher Tom Bob, que vous ne soyez étranglé, après, lorsque le bourreau, même s’il ne s’aperçoit pas que vous êtes tombé sur le sol au lieu de rester suspendu dans le vide, tirera à nouveau sur sa corde et remontera votre corps pour le laisser pendu, une heure durant ?

— C’est, en effet, le plus difficile… non pas que la difficulté soit d’éviter la strangulation… cela c’est enfantin… Mais il faut qu’on ne s’aperçoive pas de la supercherie… en d’autres termes, là il faut une complicité…

— Hélas.

— Hope, coûte que coûte il faut que le policeman qui, pendant que je serai pendu, veillera mon corps jusqu’à ce que l’on vienne le décrocher, soit un complice… Hope ce sont les membres du conseil des Cinq qui sont chargés de désigner cet homme, il faut…

Le pasteur interrompit le condamné :

— Dieu soit loué ! dit-il, cet homme est déjà désigné, ce policeman a été choisi par Shepard, c’est un policeman qu’il connaît, il le gagnera… mais Tom Bob, comment faire pour que vous ne soyez pas étranglé ?

— Parce que, Hope, quand on viendra me chercher vous m’apporterez un mince tuyau de caoutchouc que j’avalerai, qui renforcera, si je peux m’exprimer ainsi, ma trachée-artère, qui empêchera celle-ci d’être comprimée par le nœud coulant, qui me permettra en somme de respirer… C’est un vieux truc, bien connu, Hope, il est certain, il est efficace et je vous le répète, il me sauvera, si…

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