— Si quoi ?
— Si, continuait Tom Bob le policeman qui veillera mon corps à ce moment, veut bien ne pas entendre ma respiration, probablement haletante…
Tom Bob allait encore parler, donner des détails et des explications peut-être nécessaires, lorsque la porte de sa cellule s’ouvrit : l’heure accordée à l’aumônier pour s’entretenir avec le condamné à mort était écoulée, le geôlier venait chercher le révérend…
C’est à peine si William Hope eut le temps de souffler à Tom Bob :
— Bien… bien… j’ai compris… Soyez sans crainte… il sera fait comme vous voulez, la corde sera truquée, je vous jure que l’on vous pendra avec elle… Nous vous sauverons…
Déjà le geôlier entrait…
Il convenait avant tout de ne point éveiller la défiance de cet homme…
William Hope n’eut garde de laisser voir son émotion.
Debout devant celui qui redevenait Garrick pour le gardien, William Hope leva une main dans la direction du ciel et l’air inspiré, la face grave :
— La miséricorde du Seigneur est infinie, dit-il, repentez-vous de vos fautes, et espérez, mon fils.
Donnant la réplique à merveille, Garrick répondit d’une voix grave :
— Oui, j’espère… j’espère la miséricorde du Seigneur…
Mais à ce moment il se produisit un incident surprenant.
Tandis que le révérend échangeait avec le condamné un ultime adieu, le geôlier qui s’était arrêté sur le seuil de la cellule s’effaça, se recula visiblement pour permettre à deux inconnus, qui se trouvaient dans le couloir communiquant au cachot, d’observer le condamné.
Tournant le dos à la porte, le révérend William Hope ne vit rien.
— Adieu, mon fils ! dit-il.
Et il s’éloigna…
Mais, hélas ! si William Hope n’avait pas vu, Garrick, lui, avait aperçu ces curieux…
Et, tandis que le geôlier, refermant la porte de la cellule, s’éloignait, Garrick-Tom Bob, comme une masse, s’écroulait sur son lit…
***
— Cette fois, je suis perdu !
… Il y avait bien deux heures que la visite de William Hope s’était terminée, et Garrick se relevait seulement du lit où il s’était laissé tomber, au moment où, par l’entrebâillement de la porte, il avait aperçu les deux inconnus qui le dévisageaient curieusement…
Il y avait deux heures de cela et, pourtant, Garrick-Tom Bob-Fantômas, cet homme qui avait donné tant de fois les preuves de son effarant sang-froid, de sa superbe maîtrise sur lui-même, tremblait encore, remué, ému autant qu’on peut l’être.
— C’est lui… c’est lui… répétait il, je l’ai reconnu ….
Qui avait-il donc reconnu ?…
Certes, des deux hommes que Garrick avait entrevus, l’un était au moins un sinistre personnage, le bourreau, le bourreau qui, comme l’avait annoncé William Hope, était venu dans la prison examiner l’homme qu’il devait exécuter le lendemain…
Mais son compagnon, un simple policeman, n’avait rien d’effarant.
Un policeman ? qu’était-ce qu’un policeman de si terrible ? William Hope n’avait-il pas dit que c’était précisément un ami de Shepard, qui aiderait le bourreau ? Ce devait être ce policeman…
Et le bourreau ? Sa seule vue devait-elle à ce point émouvoir Garrick, puisque Garrick, quelques instants avant, avait combiné tout un plan d’évasion ?
Le condamné pourtant ne se remettait pas de son émoi…
Il répétait, toujours presque machinalement :
— Je suis perdu… maintenant, je suis perdu…
Mais soudain, il se leva, il sauta d’un bond à la porte de sa cellule qu’il heurta violemment…
Un gardien accourait, le judas s’entrouvrait :
— Qu’y a-t-il ?
Garrick implora :
— Faites prévenir d’urgence le révérend William Hope que j’ai besoin de lui parler !
Le gardien secouait la tête :
— C’est impossible ! disait-il. Et d’ailleurs, vous venez de le voir ?…
Garrick insistait encore :
— J’ai une commission, une commission urgente à lui donner… ah ! par pitié ! on peut bien le prévenir ?… c’est ma dernière volonté… Je veux le voir, je veux le voir.
— Tant pis, dit le gardien, que vingt ans de métier avaient endurci.
21 – L’OUVERTURE AU ROI
C’était le lendemain matin, dix heures sonnaient…
— Garrick, annonça le gardien, en ouvrant la porte de la cellule dans laquelle vivait Fantômas depuis de longues semaines déjà, Garrick, je vous amène un compagnon pour vous distraire…
Fantômas eut un sursaut. Derrière le gardien apparaissait la silhouette robuste et majestueuse d’un policeman…
Le gardien poursuivit :
— Un compagnon pour vous distraire, Garrick, l’autorité supérieure vient d’ordonner qu’il passera plusieurs heures avec vous. Vous êtes autorisé à jouer aux cartes, le policeman est d’ailleurs grand amateur…
Fantômas ne bronchait toujours pas.
Le policeman pendant le discours du gardien s’était lentement introduit dans la cellule. Le petit jour qui perçait à travers le vitrail dépoli, l’éclairait en plein visage.
— Salut, murmura Garrick d’une voix qu’il s’efforçait de rendre forte, afin de dissimuler son émotion…
— Salut, répondit le policeman…
Le gardien cependant avait fait mine de sortir :
— Je n’ai plus qu’à vous laisser, déclara-t-il…
Puis il ajouta :
— Ah ! j’allais oublier le plus important… le jeu de cartes… excusez-moi je reviens dans une seconde…
Le brave homme sortit.
Le condamné et le policeman demeuraient en présence immobiles, debout, l’un devant l’autre, se mesurant du regard.
Fantômas rompit l’entretien :
— Je suis Garrick, déclara-t-il, et vous policeman, quel est votre nom ?
Un léger sourire erra sur les lèvres du nouveau venu :
— Mon nom, articula-t-il lentement est inscrit sur le col de mon vêtement, je suis le policeman 416…
Au tour de Fantômas de sourire. Mais soudain, il rendit à sa physionomie son air d’impassibilité hautaine :
Le gardien rentra dans la cellule, il apporta un jeu de cartes, puis il se retira :
De nouveau, les deux hommes étaient seuls.
Quelques instants ils se regardèrent encore en silence : ils étaient l’un et l’autre affreusement pâles. Garrick cependant, surmontant son émotion, se disposait à faire les honneurs de sa cellule.
Avant de s’installer sur le bord de son hamac, il plaça l’escabeau, le montra au policeman.
— Asseyez-vous, dit-il, je vous en prie…
Sans mot dire le 416, posa à terre son casque en cuir bouilli, lâcha un cran de son ceinturon, et accepta l’offre du prisonnier…
Fantômas reprit :
— Nous n’avons rien à nous dire, n’est-ce pas ? Par conséquent, jouons…
D’une main qui ne tremblait pas, il étala le jeu de cartes devant son partenaire. Les deux hommes en silence coupèrent pour savoir qui donnerait.
Le sort désigna le policeman.
D’une main qui ne tremblait pas non plus, celui-ci distribua les cartes. Il retourna le roi.
Garrick ne put s’empêcher de pousser une exclamation de surprise :
— Mes compliments fit-il, vous avez de la chance, le roi et le roi de pique… mes compliments vous dis-je…
Le policeman considéra son jeu sans rien dire.
C’était à Garrick de commencer.
À ses attaques, le « 416 » répondit en faisant les deux levées avec la dame et le valet d’atout.
Garrick, hochant la tête, grommelait de brefs monosyllabes :
— Bon… bien, pas mal… vous allez peut-être faire le point… vous avez sans doute encore beaucoup d’atouts, policeman ?…
Mais à l’invite du « 416 » qui jetait une dame de cœur, le prisonnier répondait en prenant avec le huit de pique, puis, coup sur coup, possédant encore le neuf d’atout et le dix, il s’assura les deux dernières levées.
Cela lui en faisait trois en tout.
Si le policeman marquait un point pour avoir retourné le roi, le condamné en marquait un autre pour avoir gagné la première manche.
— Nous sommes quittes, s’écria Fantômas…
— Nous ne faisons que commencer, la lutte s’engage, il est difficile de prévoir quelle en sera l’issue…