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Le détective sourit. Du geste, il interrompit le brave policeman : on pouvait compter du lui.

Changeant alors de ton, le policeman interrogea :

— Quand avez-vous besoin de moi, chef ?

— Dans sept jours et pour quarante-huit heures, particulièrement les 14 et 15 juin…

Les deux hommes allaient se quitter. Au moment où ils se séparèrent, le policeman lâcha un dernier mot :

— La nuit du 14 au 15 juin… c’est à cette date, n’est-ce pas, que doit avoir lieu l’exécution de Garrick ?

Shepard eut un haut-le-corps : décidément ce policeman était d’une rare intelligence, il comprenait à demi-mot… il devinait avant qu’on lui expliquât.

— Oui, dit Shepard, c’est en effet, pour l’exécution de Garrick que j’ai besoin de vous.

Puis il s’éloigna à grands pas, cependant que le policeman demeuré immobile sur le trottoir souriait silencieusement en le regardant partir.

20 – TOUS POUR UN, UN POUR TOUS

Garrick marchait de long en large dans l’étroite cellule où il attendait la mort…

Il faisait clair dans ce réduit qu’éclairait une petite fenêtre, parcimonieusement percée dans une muraille épaisse à enlever tout espoir d’évasion possible…

Le condamné pouvait juste faire quelques pas de la lourde porte à la muraille.

Pour tout meuble, une couchette de bois, un escabeau dont les pieds de fer étaient fixés au sol.

Les mains derrière le dos, le front sombre, la mine soucieuse, Garrick, en sa promenade écourtée, donnait l’impression d’un fauve en cage, perpétuellement soucieux de découvrir entre les barreaux un moyen d’évasion…

Il est plus facile de fuir la cage de fer qu’une prison britannique, et Garrick condamné à être pendu par le cou savait qu’il le serait, obligatoirement, nécessairement, sans rémission. Chaque moment, chaque mouvement du balancier hâtait la terrible minute. Chaque instant vécu dans l’angoisse de la mort prochaine rendait encore plus certaine la venue de celle-ci.

Et Garrick, inlassablement se répétait ces quelques mots qui finissaient par n’avoir plus de sens à son oreille, mais qui reprenaient toute leur valeur dans l’éclair d’une pensée :

— Je vais mourir.

Soudain, le condamné s’arrêta.

Se trompait-il ? Était-il victime d’une de ces hallucinations comme en ont les condamnés, précisément ? Mais non, il avait reconnu le pas du gardien. La clef grinçait déjà dans la serrure… La porte s’ouvrait :

— Garrick, visite de l’aumônier.

— C’est vrai, j’avais oublié, se dit Garrick. Faisons bonne figure.

Et à voix haute et calme :

— Vraiment ? demanda-t-il, l’aumônier de la prison, ou un autre ?

« Ah ! le Révérend William Hope !… Dieu soit loué ! qu’il entre !

Soudain la figure de Garrick s’était éclairée.

L’ombre d’un sourire avait même distendu ses traits tandis qu’il demandait qu’on fasse venir le Révérend.

C’est que pour Garrick, pour Garrick qui était Tom Bob, même si le bas personnel de la prison l’ignorait, le Révérend William Hope n’était pas seulement un aumônier quelconque… c’était surtout un collègue, un camarade, un ami presque.

Garrick allait avoir cette dernière consolation de pouvoir causer à cœur ouvert, une fois encore, avant d’aller tendre le cou à la corde de la potence.

Le gardien, toutefois, s’était retiré. Il avait soigneusement verrouillé la porte, Garrick entendait son pas s’éloigner puis se rapprocher. Les grincements de serrure se firent de nouveau entendre, la porte s’entrebâilla une seconde fois, le geôlier, respectant les formes, annonçait suivant l’usage :

— Garrick, voici l’aumônier, le Révérend William Hope ! Monsieur le Révérend, vous êtes autorisé à passer une heure avec le condamné. Dans une heure je reviendrai vous prendre, mais si vous vouliez vous en aller avant, vous n’auriez qu’à frapper trois coups contre la porte…

Puis le geôlier se retira, enfermant le Révérend William Hope en tête à tête avec Garrick.

À peine étaient-ils seuls que les deux hommes, les mains tendues, échangeaient une étreinte rapide :

— Mon bon ami murmura William Hope… Du courage…

— Du courage ? j’en ai, riposta Garrick-Tom Bob ; j’en ai à revendre, du courage… mais c’est affreux quand même…

Le Révérend William Hope, la tête basse, l’air profondément ému, laissait parler le prisonnier…

Il se dégagea enfin de la poignée de main que Garrick éternisait, repoussa le malheureux vers le lit, cependant que lui-même s’installait sur l’escabeau…

— Tom Bob, dit-il d’une voix tremblante, ne perdons pas de temps… les minutes sont précieuses… je viens ici en ambassadeur, je viens au nom de tous les membres du Conseil des Cinq. Tom Bob il ne faut pas que vous mourriez…

Garrick en entendant ces étranges paroles – car il était, en vérité, étrange que les membres du Conseil des Cinq eussent seulement pensé à sauver leur malheureux chef, certes, injustement condamné, mais hélas bel et bien condamné, irrémédiablement perdu de ce fait – Garrick avait pâli…

Il se leva…

— William Hope, vous venez au nom des Cinq ?…

— Oui !

— Alors, jurez-moi, sur votre honneur – c’est la dernière consolation que je puisse espérer – que pas un de nos collègues ne doute de moi ? qu’aucun ne se refuse à admettre mon innocence ?

Devant l’émotion de son chef, ne cherchant plus qu’à mourir avec une réputation intacte, le pasteur se sentit encore plus troublé…

— Vous ne comprenez pas, Tom Bob, l’importance des paroles que je viens de prononcer… Le serment, je vous le fais bien volontiers, mais, pour Dieu, il est inutile, puisque si je suis ici, c’est pour vous demander, à vous, Tom Bob, comment nous pouvons vous sauver ?

— Me demander cela ? à moi ?

— À vous ….

— William Hope, je ne vous comprends pas ?…

— Tom Bob, reprit le révérend, calmez-vous je vous en prie, calmez-vous, ce que je vous dis est simple et j’ai besoin de toute votre attention… Écoutez-moi, Tom Bob : ce matin nous nous sommes tous réunis… Tous, hélas, nous ne sommes plus très nombreux. French est mort sans aucun doute… notre pauvre Conseil des Cinq est réduit à trois membres : Shepard, Mistress Davis et moi… eh bien, nous trois, Tom, nous trois, vous m’entendez, voyant que vous alliez être irrémédiablement exécuté, que nous n’avions aucun moyen légal de vous tirer d’affaire, nous avons résolu, de vous sauver quand même… de vous sauver, Tom Bob, je le répète, quand même…

— Hélas, Hope, on ne peut plus me sauver…

— Tom Bob, ne parlez pas ainsi…

— Vous avez donc un plan, Hope ? un plan d’évasion ?

Le Révérend secoua la tête :

— Non ! avouait-il, non, Tom. Tenez, ce matin, nous avons discuté, trois heures durant, nous avons échafaudé les projets les plus fous, nous avons envisagé les combinaisons les plus téméraires… nous n’avons pu rien arrêter… Tom Bob, en conseil, nous avons décidé, nous, les chefs de la police anglaise, que nous ne voulions pas que vous mouriez… nous nous sommes, hélas, avoué, aussi, que nous ne savions pas comment empêcher votre mort… Si je suis ici, Tom, c’est que Mistress Davis, oui, Mistress Davis, c’est à elle que revient l’honneur de cette idée, Mistress Davis nous a dit : « Il n’est qu’un homme assez habile pour pouvoir trouver un moyen de faire évader Tom Bob, et cet homme, c’est Tom Bob lui-même… » C’est pourquoi Tom, je suis ici… Ce que vous déciderez, nous le ferons. Ce que vous demanderez, encore une fois, nous l’exécuterons. Nous voulons vous sauver la vie, mais vous seul pouvez nous guider… parlez, Tom Bob, ce sont vos ordres que je viens prendre ?…

Garrick était bouleversé. Il n’ignorait pas que ses collègues du Conseil des Cinq lui vouaient une admiration profonde et une affection vraie. Mais…

Certes. Mais de là à croire que ce sentiment résisterait aux épreuves et au doute le plus légitime !… Eh bien oui, ces défenseurs de l’Ordre, voilà que pour le sauver, ils n’hésitaient pas à se révolter contre la Loi… Et, à mesure que William Hope parlait, Tom Bob se sentait les yeux humides. Mais il fallait garder son sang-froid. C’était le moment ou jamais.

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