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M meDavis s’interrompait de réfléchir tout haut.

Instinctivement, elle avait tressailli comme si quelque chose d’anormal venait de se produire.

M meDavis, en effet, avait senti comme un souffle chaud lui passer sur la nuque. Elle avait cru entendre respirer.

Étrange sensation !

Elle jetait un rapide coup d’œil autour d’elle, la pièce était noire, bien noire, l’ombre ne révélait rien de suspect.

M meDavis réprima son léger tressaillement :

— Suis-je bête, fit-elle, on croirait que j’ai eu peur…

L’excellente femme songeait machinalement à ce moment à French, à son cher collègue, si mystérieusement disparu et sans vouloir se l’avouer à elle-même, elle éprouvait une certaine émotion à l’idée que cet homme auquel elle pensait nécessairement en développant des photographies assurément prises par lui, avait disparu, peut-être était-il mort au moment précis où il les avait prises !

Cette fois, M meDavis crut entendre un profond soupir :

— Qui est là ? qui va là ? proféra-t-elle, presque à haute voix…

Nul ne lui répondit.

M meDavis, haussant les épaules, furieuse contre elle-même, reprit ses travaux :

— Je suis sotte, disait-elle… et, nerveuse, une femme de mon âge ne doit pas se permettre de pareilles fantaisies… surtout une femme détective…

M meDavis s’absorba dans le développement d’un nouveau cliché, et l’attrait de ce document lui fit rapidement oublier ses vagues inquiétudes.

L’image qui apparaissait dans le bain révélateur était au plus haut point intéressante.

M meDavis voyait se silhouetter, en traits noirs et précis sur la gélatine rose, les angles nets d’une maison, puis, surgissant peu à peu – ombre à peine estompée d’abord, mieux précisée ensuite, – se dessinaient à une fenêtre, bien éclairée, en pleine lumière, les contours d’une femme grande et majestueuse dont les traits fins et distingués apparaissaient en négatifs.

— Par exemple, c’est M meGarrick ?

Impatiente de savoir, la femme détective tira du révélateur le cliché aux trois quarts développé, le regarda par transparence.

Soudain, la pellicule placée d’une certaine façon montrait à M meDavis le document en positif…

La femme appuyée au balcon de cette fenêtre était bien M meGarrick. M meGarrick, très reconnaissable, absolument identique aux portraits que l’on avait publiés d’elle dans les journaux…

— Quelle découverte, pensait M meDavis, ceci va prouver péremptoirement que notre pauvre ami Tom Bob, si abominablement condamné à mort, est innocent du crime qu’on lui reproche… j’en ai la certitude, ce document, c’est toute la revision de son procès… ces photographies ont été, en effet, prises postérieurement à la disparition de M meGarrick… postérieurement à l’arrestation de son mari, j’en ai pour preuve le numéro d’ordre que porte le rouleau de pellicule, rouleau de fabrication toute récente…

M meDavis, au comble de la satisfaction, allait plonger dans le bain de fixage le sensationnel document, lorsque, brusquement elle s’arrêta, interdite.

Au fond de la cuvette d’ébonite, où miroitait une eau rouilleuse, se reflétait une extraordinaire physionomie au milieu de laquelle apparaissait, d’un blanc éblouissant, deux globes d’yeux et une double rangée de dents d’ivoire.

Quelle était cette tête étrange qui se reflétait ainsi ? Instinctivement M meDavis leva les yeux et ne put réprimer un cri de surprise.

À la lueur de la lanterne rouge elle vit, ou devina pour mieux dire, devant elle, tout près, la silhouette majestueuse et colossale du nègre Job dont le regard la dévorait de convoitise.

M meDavis comprit dans un seul instant les bruits suspects qui l’avaient émue. Soupirs, respiration, c’était le nègre.

Le nègre qui se trouvait dans la pièce obscure, qui s’y était enfermé avec elle.

Que pouvait-il bien vouloir ?

M meDavis ne tarda pas à le savoir.

Soudain, elle sentit autour de sa taille se poser un gros bras robuste et vigoureux, cependant que le nègre l’attirait sur sa poitrine.

M meDavis n’était pas femme à s’émouvoir pour si peu, elle n’allait pas prendre au tragique l’événement peu surprenant, mais ridicule surtout. Certes, le nègre manquait de délicatesse dans sa façon de faire, mais peut-être, au fond, M meDavis n’était-elle pas autrement offensée à l’idée que, malgré son âge et ses formes déjà empâtées, elle avait encore pu inspirer cet amour…

Toutefois, M meDavis était une honnête femme.

Pour rien au monde elle n’aurait cédé au nègre.

Mais cette idée d’être aimée de Job, de Job, le grotesque personnage chargé de faire remarquer la boutique de Sigissimons rien que par sa silhouette invraisemblable, lui parut si comique qu’elle éclata de rire.

…Et M meDavis au fur et à mesure qu’elle se débattait, cherchait à s’arracher de l’étreinte de Job, défaillait presque à force d’avoir ri.

Le nègre, toutefois, ne se décontenançait pas et peut-être serait-il arrivé à ses fins si M meDavis, qui ne perdait aucunement son sang-froid, n’avait réussi à gagner la porte du cabinet noir et à l’ouvrir brusquement d’un vigoureux coup de pied.

Le jour pénétra alors à flots, inondant la pièce de lumière.

Le nègre, désespéré de cette solution inattendue, lâcha alors prise, se sauvait confus, honteux, roulant ses gros yeux en boule de loto et murmurant des paroles inintelligibles.

M meDavis ne s’attardait pas à le poursuivre.

Tandis que le nègre s’enfuyait, elle poussait un cri et rapidement se précipitait à nouveau dans le cabinet noir dont elle refermait la porte sur elle ; puis fiévreusement elle consultait la pellicule, non encore fixée qui représentait M meGarrick.

Hélas ! ce qu’avait craint M meDavis s’était produit. Le rayon de lumière blanche avait été fatal au document photographique, la pellicule était voilée, on ne reconnaissait plus rien de la maison, ni du balcon, ni de la jolie femme qui y était appuyée…

M meDavis ne put réprimer son dépit.

Elle en voulait, cette fois, au nègre, non pas tant d’avoir essayé de la violenter, mais de lui avoir fait perdre la meilleure preuve qu’elle pouvait produire de l’innocence de son collègue Tom Bob…

M meDavis, toutefois, ne s’attarda pas à déplorer un événement irrémédiable. Au surplus, elle éprouvait une consolation : sur la première des photographies, celle représentant le pont du navire, on reconnaissait parmi les passagers, d’une façon assez nette d’ailleurs, M meGarrick.

La femme détective appelait quelques instants après l’un des employés de Sigissimons.

— Monsieur Charley, disait-elle au jeune homme qui venait répondre, voici un document de la plus haute importance… combien de temps vous faut-il pour tirer une épreuve ?

L’employé, vêtu d’une longue blouse blanche et dont les mains étaient déjà encombrées de châssis, de verres, de photos à demi sèches, après un rapide regard déclara :

— Il faut au moins deux heures pour sécher ces pellicules, et autant pour tirer les positifs…

— C’est bien, coupa M meDavis d’un ton sec, veuillez me faire ce travail d’urgence, j’en ai le plus grand besoin.

***

Quelques instants après, M meDavis quittait l’atelier de Sigissimons.

La femme détective passa devant l’entrée du magasin où le nègre était venu reprendre sa faction. M meDavis se trouva alors dans Holborn Viaduct, fit avancer un cab, y monta.

***

— Vous avez demandé à me voir, madame ?

Celle-ci sans s’asseoir, répondit :

— Monsieur le coroner, je viens de faire une découverte importante. Tom Bob…, je veux dire Garrick, est absolument innocent du meurtre de sa femme…

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