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Le coroner ne bronchait pas, un pli soucieux s’imprima sur son front.

— Encore cette affaire, dit-il avec un air ennuyé ; Garrick, madame Davis, a été condamné en dernier ressort…

M meDavis ne se laissa pas émouvoir par l’indifférence du magistrat.

— La révision s’impose, monsieur, affirma-t-elle… elle s’impose absolument…

La femme détective alors, racontait par le menu au coroner les découvertes sensationnelles qu’elle venait de faire ; d’abord l’appareil ayant appartenu à French et ensuite les photographies… la photographie tout au moins qui lui restait, qu’elle avait trouvée dans cet appareil.

Le coroner semblait sortir peu à peu de son apathie naturelle.

Assurément, il était bien évident qu’en principe il lui déplairait de revenir sur cette affaire terminée, juridiquement parlant, mais le magistrat instructeur était aussi un honnête homme, et quoi qu’il pût lui en coûter d’ennuis personnels et de complications dans son existence, il ferait le nécessaire pour permettre aux partisans de l’innocence de Garrick de fournir à la justice et aux pouvoirs publics toutes les preuves de cette innocence.

— Apportez-moi donc ces photographies, demanda-t-il, lorsque M meDavis eut achevé son récit, je les soumettrai au lord chancelier, et peut-être jugera-t-il de son devoir de renvoyer à nouveau devant le jury le procès de Garrick…

M meDavis ne s’était pas fait répéter cette invitation. Regagnant rapidement son cab, elle se fit reconduire au magasin du photographe Sigissimons.

***

Depuis une heure, depuis que M meDavis était partie, le nègre Job paraissait en proie à une extrême émotion. Il allait et venait de long en large devant le magasin. À deux ou trois reprises, il avait abandonné son poste, était rentré furtivement dans les ateliers, s’était introduit dans le cabinet noir.

Au moment où il sortait de cette pièce, Charley le rencontrait, le nègre devenait tout gris, ce qui est pour les gens de sa race la façon de rougir :

— Que fais-tu là, Job ? interrogeait Charley.

— Rien du tout, moussié Charley… moi pas faire mal…

L’employé ne remarquant pas le trouble du nègre ne se préoccupait pas autrement de cette réponse embarrassée.

Cependant, le nègre, après avoir hésité quelques secondes, articulait :

— Moussié Charley…

— Qu’y a-t-il, Job ?

— Moussié Charley, vous dire au patron… que moi peux pas rester ici… bien content pourtant gagner les shillings, mais pas bon travail pour nègre… et puis Job est ennuyé avoir fait des bêtises avec M lleDaisy… voulu l’embrasser… bien méchant, n’est-ce pas ?… vilain noir… vilain singe…

Le nègre, que Charley désormais considérait avec ahurissement, se dépouilla en hâte de la grande houppelande verte qui constituait son uniforme.

— Moi, rendre le manteau doré, déclara-t-il, non sans regret.

Puis bondissant vers la sortie, après avoir encore jeté sa casquette aux pieds de Charley, il gagna la rue à toute allure et se mêlait à la foule des passants.

Le jeune employé de Sigissimons, Charley, n’était pas encore revenu de sa stupéfaction, il n’avait pas encore compris la soudaine décision du nègre qui, somme toute, se sauvait sans même avoir songé à réclamer sa semaine, que M meDavis, connue dans la maison du photographe sous le nom de M lleDaisy, revenait de chez le premier ministre.

Elle monta, aperçut Charley :

— Où en sont mes photographies ? demanda-t-elle aussitôt.

L’employé leva les bras au ciel :

— Je les ai oubliées, dit-il, mais n’ayez pas peur, miss, on va rattraper le temps perdu…

— Je vous en prie, supplia M meDavis, faites vite, c’est très pressé…

Tout en répondant :

— On y va… on y va…

Charley s’introduisait dans le cabinet noir… Il y prolongeait son séjour…

— Mademoiselle Daisy ?

— Qu’y a-t-il, Charley ? répondit M meDavis…

— Où avez-vous mis votre cliché ? je ne le trouve pas…

M meDavis, sinistrement inquiète, se précipitait à son tour dans le cabinet noir. En vain fouilla-t-elle avec l’employé les coins et recoins de la pièce, la précieuse pellicule représentant M meGarrick sur le pont du navire demeurait introuvable.

— Mon Dieu !… Mon Dieu !… s’écria la femme détective, quelle malchance s’acharne sur nous…

Mais elle poussait un ah ! de stupéfaction. Dans la salle voisine elle apercevait, gisant sur le plancher, la somptueuse défroque du nègre Job.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-elle…

En deux mots, Charley lui expliquait la récente décision prise par le nègre :

— J’ai cru comprendre, fit-il, que Job, vous ayant manqué de respect, n’osait plus reparaître devant vos yeux, et que c’est pour cela qu’il quittait la maison…

— Vraiment, fit sur un ton évasif et très énigmatique la femme détective qui resta quelques instants silencieuse, absorbée dans ses réflexions.

Le mystère ne s’éclaircissait pas du tout à ses yeux, bien au contraire.

Si la disparition du document photographique dont elle avait besoin, et la fuite du nègre étaient concomitantes, fallait-il voir dans cela de simples coïncidences, ou alors une préméditation ?

Cependant la perplexité de M meDavis ne dura pas longtemps…

Sans fournir la moindre explication au jeune employé Charley, elle alla s’enfermer dans la cabine téléphonique.

— Allo… allo… Scotland Yard…

On répondait de la préfecture de police.

M meDavis demanda à parler à Shepard, elle donnait un numéro d’ordre qui certainement allait aviser le détective de la qualité de son interlocuteur.

Quelques secondes se passaient, puis M meDavis reconnaissait la voix de son collègue :

— Qu’y a-t-il pour votre service ? interrogeait celui-ci.

— Allo… Shepard… allo mon ami… J’ai besoin d’un renseignement… connaissez-vous un certain nègre… se faisant appeler Job et employé ces derniers temps en qualité de portier dans la maison du photographe Sigissimons ?

De sa voix grave, Shepard renseignait M meDavis :

— Job… parfaitement je le connais, c’est un Africain, ancien chauffeur à bord des cargo-boats, ivrogne et voleur à l’occasion… avant d’être portier chez le photographe, il dressait des puces savantes…

— Allo Shepard… que pensez-vous de sa mentalité ?… le croyez-vous capable d’une initiative quelconque… peut-on lui confier une mission délicate ou audacieuse ? En un mot, est-ce un homme intelligent ou un imbécile ?…

— Un imbécile ! répondit Shepard sans la moindre hésitation…

— Allo… merci… à bientôt… je vous verrai à ce sujet…

M meDavis raccrochait le récepteur, mais ne quittait pas la cabine.

Job lui avait fait la même impression qu’à Shepard ; tous deux tenaient donc le nègre pour un parfait crétin.

M meDavis hésitait. Elle ne pouvait pas conclure absolument dans ce sens.

En réalité que redoutait-elle ?

Deux hypothèses se présentaient à son esprit :

Job, réellement amoureux d’elle, après avoir essayé de la violenter, et, n’ayant pas réussi, redoutant un châtiment s’était sauvé de la maison.

C’était la version la plus plausible en apparence, la plus simple aussi…

Mais il y en avait une autre, une autre plus compliquée, à laquelle M meDavis se serait volontiers arrêtée si elle avait pu se persuader de l’intelligence de Job.

C’était la suivante :

Job aurait joué la comédie de l’amour et la scène de passion dans le cabinet noir, non pas tant pour obtenir les faveurs de M meDavis, que pour voir les photographies qu’elle développait et pour, à l’occasion, assurer la destruction des plus compromettantes.

 Si tel avait été le but visé par Job, il fallait dès lors reconnaître qu’il avait superbement joué sa comédie.

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