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— Oh !… commença M meDavis…

Mais Sigissimons lui coupa la parole :

— Croyez-moi, madame Davis, il ne faut rien exagérer… tenez ce brave Job est certainement un honnête garçon. Il y a deux raisons à ça. Primo, il est complètement idiot, et secundo il est amoureux.

— Amoureux ?

— Parbleu oui… et amoureux de vous, madame Davis : pour être détective vous n’en êtes pas moins femme… et j’aime à croire que vous vous êtes aperçue des regards passionnés que vous jette ce superbe noir, à chaque fois qu’il a l’occasion de vous rencontrer sur son passage…

— Mon pauvre monsieur Sigissimons, vous vous faites des illusions et vous oubliez que je ne suis plus d’âge à déchaîner des passions, même des passions de nègre…

Sigissimons allait répondre quand un blanc fit son entrée dans le bureau.

Il était porteur d’une grande valise qu’il déposa sur le plancher…

— Voilà, patron, déclara-t-il, s’adressant à Sigissimons, il y a quelques pièces qui m’ont paru intéressantes et que j’ai acquises à la criée…

Sigissimons jeta un rapide coup d’œil sur les objets apportés par son employé. C’étaient des accessoires de photographie, des appareils, des magasins à plaques, des produits chimiques qui, évidemment, provenaient de ventes privées ou publiques, ventes judiciaires ou de Mont-de-Piété.

Sigissimons avait l’habitude de faire de semblables emplettes, et fréquemment, il trouvait chez les détaillants, les bric-à-brac ou même les revendeurs, des occasions tout à fait avantageuses.

— C’est bien, Charley, déclara Sigissimons, c’est bien… voici des appareils qui me semblent en parfait état, n’avez-vous pas payé ce lot trop cher ?

— Presque rien, patron…

L’employé allait énumérer à Sigissimons le détail avantageux de ses achats, lorsque soudain le patron d’un bref monosyllabe, invita son employé à sortir.

Il avait pris cette décision à la suite d’un coup d’œil significatif que lui avait lancé M meDavis…

Lorsque Charley se fut retiré et que les deux interlocuteurs se trouvèrent à nouveau seuls, Sigissimons interrogea :

— Qu’y a-t-il, madame Davis ? pourquoi m’avez-vous fait renvoyer mon commis ?

Sigissimons considéra à ce moment M meDavis avec stupeur.

La femme détective n’avait plus son air enjoué et cordialement railleur de l’instant précédent.

Sa physionomie avait changé du tout au tout.

M meDavis paraissait surprise, inquiète, bouleversée. Sans souci de la respectabilité ni de la correction de sa tenue, elle s’était jetée sur le plancher, fouillant fiévreusement dans la valise apportée par Charley.

Elle en retira un minuscule appareil, un kodak. Elle ajustait son binocle, s’efforçant de découvrir, sur un coin de l’appareil, les initiales qui s’y trouvaient gravées.

Impossible.

Fébrilement, elle passa l’appareil à Sigissimons :

— Je vous en prie, dit-elle, lisez-moi ce qu’il y a d’écrit là ?

Le photographe obéit :

Après un attentif examen, il épela les initiales :

— S… Y… puis… attendez… madame Davis, je vois encore une lettre… ou du moins, un chiffre, le chiffre 4… oui, c’est bien cela…

M meDavis semblait au comble de l’émotion.

— C’est bien cela… vous avez dit : S… Y… 4… ?

— Oui, madame Davis ?

— Monsieur Sigissimons, combien me vendez-vous cet appareil ?

— Je ne vous le vends pas, madame, mais je vous le prête, tant qu’il vous plaira.

— Merci, monsieur…

M meDavis se précipita sur le kodak, elle allait l’ouvrir… soudain, elle se ravisa…

— Monsieur Sigissimons ?

— Madame Davis…

— Monsieur Sigissimons, pouvez-vous me dire si cet appareil contient des pellicules, si on a pris des photos ?

Un rapide coup d’œil suffit à l’homme de l’art :

— Oui, madame, fit Sigissimons…

La femme détective dès lors, toute tremblante, sollicita encore du photographe :

— Je vous en prie, mettez immédiatement votre cabinet noir à ma disposition, il faut que je développe ces pellicules, ne vous occupez de rien, je sais comment on fait…

Sigissimons, sans chercher à comprendre, s’inclina. Il appuya sur un timbre. Charley apparut.

— Voulez-vous préparer la lanterne rouge dans le cabinet noir…

Charley s’inclina, puis disparut. Sigissimons se retourna vers MM Davis :

— La pièce en question sera dans quelques secondes à votre disposition, madame…

M meDavis, comme la généralité des détectives, avait été initiée, lors de son apprentissage, au maniement des appareils photographiques de toutes sortes.

La photographie instantanée rentre en effet dans les procédés de travail des policiers modernes, ainsi d’ailleurs que le téléphone, l’électricité… et aussi le tir au revolver…

Pourquoi M meDavis avait-elle été intriguée, puis émue, en apercevant le lots des appareils d’occasion achetés pour le compte de Sigissimons par son employé ? C’était parce qu’elle avait reconnu au nombre de ceux-ci un Kodak d’un modèle tout particulier qu’elle connaissait fort bien.

Cet appareil était, en effet, du type adopté par la police anglaise.

Or, M meDavis avait eu le pressentiment qu’il s’agissait là de l’appareil d’un de ses collègues, et cela l’étonnait au suprême degré, les détectives n’ayant pas pour habitude de les vendre.

S… Y… signifiaient Scotland Yard.

L’appareil provenait donc à n’en pas douter de l’attirail professionnel d’un policier.

Le chiffre 4 qui suivait les initiales et ne voulait rien dire en apparence, signifiait pour elle quelque chose de très précis…

4 c’était le numéro matricule de son collègue et ami, le détective French, quatrième membre du conseil des cinq.

Comment se faisait-il que, par le plus grand des hasards, l’appareil photographique de French était tombé en la possession de Sigissimons, après avoir été vendu en vente publique ou clandestine ?

Et cela, précisément, peu de jours après la disparition encore inexpliquée du détective, parti à la recherche de M meGarrick ?

M meDavis avait aussitôt flairé un mystère, sa curiosité s’était aiguisée du fait qu’aux dires de Sigissimons il y avait dans le Kodak des photographies dignes, assurément, d’attirer son attention.

M meDavis avait alors demandé à développer ces clichés, afin de savoir ce dont il s’agissait.

***

Elle était à présent installée dans le cabinet noir et médiocrement éclairée par la lanterne rouge dont les reflets donnaient à la pièce un aspect sinistre. M meDavis développait, pour employer le mot technique, les « pellicules » extraites du Kodak.

Du Kodak ayant appartenu au détective French ?…

De cela il n’y avait pas lieu de douter.

C’était certainement de l’appareil de French que M meDavis retirait les diverses pellicules dont elle demandait aux bains révélateurs de montrer l’image.

La femme détective était absorbée dans ce travail et il y avait de quoi.

Un premier cliché, évidemment pris au magnésium, c’est-à-dire de nuit, lui avait en effet montré le pont d’un navire… d’un navire qui sortait d’un port.

M meDavis, à l’examen des détails de ce port, n’hésitait pas longtemps à le reconnaître, à l’identifier, il s’agissait du port de Dieppe.

Au premier plan d’ailleurs se trouvait une bouée de sauvetage qui portait ce mot : Écosse.

Or, Écossec’était le nom d’un des steamers faisant la traversée de Dieppe à Newhaven.

— Par exemple ! monologua M meDavis, voilà qui est surprenant… Il semble bien, par ces photographies, que French se soit trouvé à bord de ce navire.

La femme-détective examinait plus attentivement encore le document que désormais, après avoir lavé dans l’eau, elle plongeait dans le bain de fixage.

— Même, se disait-elle, voici des personnages dont les tournures ne me sont pas inconnues. Cette espèce de voyou, cette grande dame…

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