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— Enfin, te revoilà semblable à ton image ! Comme tu es jolie, ma Cathy ! La plus jolie fille que j'aie jamais vue... ! Tu es un peu trop maigre, mais ça ne durera pas...

Plantant un baiser sur chacune des joues de la jeune femme, il la reposa à terre puis se tourna vers Pâquerette :

— J'ai faim, dit-il.

— Tout de suite ! La soupe est prête !

La voix de la jeune fille était unie et calme comme une eau tranquille, mais Sara avait vu l'éclair de colère qui avait traversé son regard quand Landry avait embrassé Catherine. Décidément, la fille était jalouse et Sara n'en augurait rien de bon !

Après le souper, on tint un conseil de guerre. Rien n'avait bougé au château où nul n'avait dû encore découvrir les cadavres. Mais Garin reviendrait peut-

être bientôt et l'on ne pouvait laisser Catherine à la merci d'une dénonciation toujours possible, si quelqu'un remarquait sa présence dans la maison de Pâquerette.

— Le mieux, fit Landry, est de prévenir Monseigneur Philippe.

Seulement ça va demander quelque temps. Il est à Paris en ce moment.

— Et messire de Roussay ? dit Catherine, est-il à Dijon ?

— Je crois que oui ! Mais il ne pourra pas grand- chose pour toi. Que tu le veuilles ou non, Garin est ton mari. Il a tous les droits sur toi et nul homme ne peut l'empêcher de te reprendre, pas même le capitaine des gardes. Il n'y a guère que le duc dont Garin n'osera pas braver la puissance.

Je partirai demain pour Paris...

C'était évidemment la seule solution pratique, mais Catherine ne put se défendre d'une appréhension à la pensée de voir Landry s'éloigner. Auprès du jeune homme, elle ne craignait rien. Il était fort, courageux et si gai !... Le Landry d'autrefois lui était revenu tout entier.

— Pourquoi ne pas attendre tranquillement ici que le duc revienne ? Il ne sera peut-être pas longtemps absent.

— Avec lui, on ne sait jamais ! fit Landry. De plus, j'ai mon service que je ne peux abandonner longtemps. Il faut que j'aille le trouver à Paris. Il donnera les ordres nécessaires pour te mettre à l'abri et empêcher ton mari de nuire. Si tu n'étais pas... dans cet état, je t'aurais emmenée avec moi, mais le chemin est trop long d'ici à Paris, les routes trop dangereuses. Moi, je passerai sans peine et je reviendrai bien vite. Allons, souris-moi ! Tu sais bien que ton salut m'importe plus que tout au monde.

Il avait mis tant de chaleur dans ces quelques mots que Sara chercha instinctivement le regard de Pâquerette. Mais celle-ci tenait ses paupières obstinément baissées. Elle ramassait les écuelles pour les laver. Son visage était aussi immobile qu'une pierre.

— Je te préparerai quelque chose pour la route, dit-elle seulement sans regarder Landry.

Dans la nuit, Sara, qui partageait avec Catherine le lit abandonné généreusement par Pâquerette, se réveilla soudainement, avertie par ce sixième sens que les races nomades possèdent à si haut degré. Le feu était éteint, la maison obscure, mais la tzingara sentait une présence auprès du lit.

Elle retint son souffle. Pâquerette devait dormir dans la soupente, au-dessus de leur tête et Landry dans l'étable, avec son cheval et les chèvres. Mais un léger frôlement se faisait entendre du côté de Catherine qui dormait profondément comme l'attestait sa respiration régulière. Il y avait là quelqu'un, Sara en aurait juré. Elle allait sauter hors du lit pour courir allumer une chandelle quand des pas, prudents mais très perceptibles, s'éloignèrent vivement. La porte de la maison s'ouvrit sans un bruit et, sur le fond plus clair du dehors, Sara distingua une silhouette de femme. Mais la porte fut vivement refermée. La bohémienne n'hésita pas. Enfilant hâtivement ses bas, ses souliers, elle jeta une couverture sur ses épaules et, prenant bien soin de ne pas éveiller Catherine, sortit à son tour. Juste à cet instant, Pâquerette sortait du poulailler, cachant quelque chose sous la mante noire qui l'enveloppait, et Sara n'eut que le temps de se rejeter dans l'ombre de la porte pour n'être pas surprise.

La sorcière s'éloigna rapidement sous le couvert du bois auquel était adossée sa maison. Là, elle s'arrêta et Sara put la voir allumer une lanterne qu'elle tenait cachée sous sa mante avant de s'enfoncer plus avant sous les arbres.

Ce manège parut si étrange à Sara qu'elle décida de la suivre. Où donc allait Pâquerette par une nuit si noire ? La température, vers la fin du jour, s'était considérablement radoucie et la neige fondait, sur la terre et dans les arbres, d'où tombaient de temps en temps de froids paquets blancs déjà à demi liquides. Pâquerette marchait vite et Sara dut presser le pas pour la suivre, mais la lumière dansante de la lanterne la guidait à travers les arbres. Le chemin suivi par la fille, à peine tracé mais visible cependant, grimpait à flanc de colline, contournant de gros rochers glissants d'eau et se dirigeant droit vers le sommet de l'épaulement boisé. Soudain, la lumière disparut, comme engloutie par la terre, et Sara hésita, livrée tout à coup à l'obscurité.

Elle reprit néanmoins sa marche en avant, dans la direction où elle avait vu la lumière s'effacer. Ses yeux s'habituaient à l'obscurité et elle pouvait se diriger sans trop de peine. Bientôt Sara comprit pourquoi la lumière avait disparu. Le sentier longeait une gigantesque roche dans laquelle s'ouvrait une faille assez large pour livrer passage à un corps humain. Persuadée que Pâquerette s'était glissée dans ce trou, Sara s'arrêta, tendit l'oreille, croyant bien distinguer un bruit de voix étouffées. Elle regretta de n'avoir pas songé à se munir d'une arme, mais s'engagea tout de même, courageusement, dans l'étroit passage, tâtant le rocher de ses mains. Bientôt, elle dut étendre les bras car le boyau s'élargissait mais le reflet d'une lumière vive lui apparut en même temps que s'enflait le bruit des voix. Dans les profondeurs de la terre, quelque part au bout de l'étroite galerie, un chant bizarre se faisait entendre.

Sara pressa le pas, encouragée par la lumière plus efficace. Le chemin plongeait résolument en profondeur, rendu glissant et malaisé par les infiltrations d'eau. Mais une sensation de chaleur par venait maintenant à Sara. Le couloir lit un coude, puis montra une grande déchirure claire, à moitié bouchée par un éboulement de roches derrière lesquelles la tzingara alla se tapir pour regarder au-delà.

Ce qu'elle vit la fit se signer précipitamment. L'éboulement ouvrait sur une caverne assez spacieuse au milieu de laquelle un feu était allumé.

Derrière ce feu, érigée sur une sorte d'autel taillé dans le roc, il y avait une grossière statue de bois qui avait le corps d'un homme et la tête d'un bouc entre les cornes duquel brûlaient trois chandelles de cire noire. Une douzaine d'hommes et de femmes, de tous âges, vêtus comme des paysans, étaient assis à terre en demi-cercle de chaque côté de la statue. Ils étaient rigoureusement immobiles et Sara les eût pris pour des statues si un chant monotone aux paroles à peine distinctes n'avait jailli de leurs lèvres. Seul, un grand vieillard à cheveux blancs aussi longs que ceux d'une femme était debout devant la grimaçante idole. Les mains au fond des manches de la longue robe noire, peinte de signes cabalistiques rouges, qui l'habillait du cou aux talons, il se penchait vers Pâquerette. La jeune fille avait rejeté le capuchon de sa mante sombre. Elle se tenait à genoux devant le vieillard, tête nue. Elle lui parlait et il lui répondait, mais Sara était trop loin pour entendre ce qu'ils disaient. La bohémienne avait compris qu'elle se trouvait là en face de l'assemblée des sorciers de Mâlain, dans le temple secret où ils célébraient le culte de Satan, leur maître...

Sara vit soudain Pâquerette tendre quelque chose de brillant à son interlocuteur : une mèche de cheveux dorés, et réalisa que c'étaient là des cheveux de Catherine. La sorcière avait dû les couper tout à l'heure, au moment où Sara s'était éveillée et avait senti une présence. Le vieil homme partagea la mèche en deux, en fit disparaître la moitié sous sa robe et fit brûler l'autre moitié, conservant les cendres soigneusement. Pâquerette toujours à genoux lui tendit alors une poule noire qui expliqua à Sara sa visite au poulailler. Le sorcier posa la poule sur l'autel, lui trancha la tête d'un coup de couteau. Un jet de sang jaillit et le sacrificateur en recueillit dans un bol de bois. Il en mêla une partie aux cendres des cheveux, en forma une sorte de pâte à laquelle il ajouta un peu de farine puis, se tournant vers le bouc, il éleva jusqu'à sa bouche grimaçante l'espèce de galette ainsi formée. Pâquerette s'était prosternée, face contre terre, tandis qu'à la ronde les sorciers chantaient plus fort, se balançant en cadence sur leurs hanches.

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