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— Quel idiot je suis ! s'écria Landry. As-tu mangé quelque chose aujourd'hui ?

— Non... rien, juste un peu d'eau.

Landry tira de sa poche un flacon plat dont il mit le goulot à la bouche de la jeune femme.

— Bois un peu de ça ! C'est du vin de Beaune, ça te donnera un coup de fouet. Et, tiens, mange cette galette. Je l'avais apportée pour toi mais dans l'affolement de te trouver aux prises avec ces vilains oiseaux, j'ai complètement oublié de te la donner

Le vin emplit l'estomac de Catherine d'une chaleur instantanée mais lui donna également mal au cœur. Elle grignota quelques bribes de galette, se sentit tout de même un peu plus forte et voulut faire quelques pas. C'était impossible. Elle retomba à terre en vomissant ce qu'elle venait d'avaler, secouée par une terrible nausée.

— Tu n'en peux plus ! constata Landry sans s'émouvoir. Alors aux grands maux, les grands remèdes !

Il se baissa et, enlevant la jeune femme dans ses bras aussi aisément que si elle n'avait rien pesé, il s'élança dans l'escalier. La vis de pierre, prise dans l'épaisseur de la muraille, était éclairée de loin en loin par des brûlots de poix dans des cages de fer. En quelques instants, Landry et son fardeau furent dans la cour du château.

— Le plus difficile est fait, chuchota Landry avec un petit rire. L'enceinte de ce palais est en ruine. Il y a une brèche là, tout près.

A peine consciente, Catherine vit des pans de murs noircis qui se détachaient vigoureusement sur la neige. Des plaques blanches ouataient les pierres croulantes sur lesquelles Landry grimpait avec la sûreté d'un chamois. Bientôt, l'enceinte fut franchie et la campagne libre s'étendit, à perte de vue, blafarde sous le ciel noir, devant les yeux de la fugitive. On était maintenant sur la pente de la colline au bas de laquelle quelques masures se tassaient frileusement. Sans lâcher Catherine qu'il tenait étroitement serrée contre sa poitrine, Landry siffla trois fois. Une ombre sortit de derrière un enchevêtrement de ronces et de cailloux.

— Dieu soit loué ! fit une voix tremblante d'émotion. Tu as réussi !

Comment est-elle ?

— Pas brillante ! Il faut la coucher tout de suite.

— Tout est prêt. Viens...

Si faible qu'elle fût, Catherine avait tout de même soulevé ses paupières au son de la voix. Elle était trop épuisée pour éprouver encore de la surprise et les derniers jours vécus en enfer avaient émoussé quelque peu ses sensations mentales, mais elle voulait s'assurer qu'elle n'était pas le jouet d'une illusion.

Non, elle ne se trompait pas. C'était bien Sara qui venait de réapparaître aussi inopinément, sortant de la nuit comme si c'eût été la chose du monde la plus naturelle. Mais n'osant encore y croire, Catherine étendit la main pour toucher le visage penché sur elle.

— C'est bien toi ? Tu es revenue ?...

Sara saisit cette main et la couvrit de baisers et de larmes.

— Si tu savais comme j'ai honte de moi, Catherine... _

Mais Landry coupa court aux retrouvailles et aux explications.

— Plus tard, je t'expliquerai comment nous nous sommes retrouvés, fit-il en assurant mieux son fardeau dans ses bras. Pour le moment, il faut filer. Il a beau faire nuit, on peut nous voir, sur cette pente blanche. Je vais te déposer, Catherine, puis je reviendrai effacer les traces de mes pas dans la neige.

— Où allons-nous ? demanda Catherine.

— Pas loin, rassure-toi... à Mâlain même. Garin n'aura pas l'idée de te chercher si près de ta prison...

— Il sera inutile de revenir, fit Sara, je vais effacer les traces et d'ailleurs... (Elle s'interrompit, tendant un doigt vers le ciel...) la neige recommence à tomber. Elle aura tôt fait de combler nos pas...

En effet, de grosses mouches blanches voletaient doucement autour des trois personnages, lentes et rares d'abord, puis de plus en plus serrées...

— Le ciel est pour nous, fit Landry joyeusement. Dépêchons !

Il se hâta de dégringoler la butte que couronnait la silhouette sinistre du vieux château. Le silence enveloppait tout. Il n'y avait, en effet, plus d'autres gardiens, au donjon, que les deux cadavres déjà froids dont le sang figeait sur les dalles de la prison.

Courant presque, Landry traversa le maigre village, Sara sur les talons, dirigeant ses pas vers une chaumière où brillait une faible lumière et qui s'élevait en lisière d'un bois à flanc de colline. Sous la neige qui l'ensevelissait à moitié, la maisonnette formait une grosse boursouflure blanche, mais il y avait quelque chose d'amical et de rassurant dans la petite fenêtre barbouillée d'or par la lumière intérieure. Confiante, rassurée, Catherine se laissait emporter. Les bras de Landry avaient une vigueur, une chaleur auxquelles il faisait bon se confier... Un chien aboya près de la maison. La porte s'ouvrit aussitôt, découpant la silhouette noire d'une femme sur le fond éclairé.

— C'est nous ! fit Landry. Tout a bien marché...

— Vous l'avez délivrée ?

La voix était agréable, bien timbrée avec des inflexions graves. Elle roulait légèrement les « r », mais l'accent bourguignon en était léger.

— Entrez vite, fit la femme en s'effaçant pour les laisser passer.

La femme qui avait ouvert, devant Catherine, la porte de sa maison se nommait Pâquerette et passait pour sorcière. Mais c'était une bien étrange sorcière qui n'avait aucun point commun avec l'affreuse vieille, sordide et édentée, des légendes. Sa modeste maison au sol de terre battue était d'une propreté flamande, le chaudron de fer, pendu à la crémaillère au-dessus des flammes de l'âtre, brillait comme de l'argent. Quant à Pâquerette, elle ne devait pas avoir beaucoup plus d'une vingtaine d'années. C'était une de ces belles Bourguignonnes blondes, saines et drues comme de jeunes arbres avec un teint de fleur sauvage et un chaume épais et doré en guise de chevelure, si vigoureux que le bonnet de toile blanche n'y tenait qu'en instable équilibre.

Le corps était à l'avenant : des formes pleines sans lourdeur sous une peau au grain serré. En s'écartant pour le sourire, les lèvres rondes de Pâquerette montraient l'ivoire solide et blanc d'une dentition sans défaut.

Mais, tous ces détails, Catherine ne les avait pas notés en entrant dans la maisonnette. Elle n'avait vu que deux choses : le beau feu qui dansait sur la pierre jaune de l'âtre et le lit, si blanc sous ses rideaux de serge rouge, que l'on ouvrait devant elle. Après avoir absorbé la tasse de bouillon de poule offerte par son hôtesse, Catherine y avait dormi d'un sommeil de plomb, oubliant d'un seul coup ses souffrances et l'abjecte terreur qui, pendant des jours, l'avait mordue aux entrailles. Elle fut tout étonnée, le matin revenu, de s'éveiller dans ce décor simple et rassurant au lieu de la grisaille sinistre du donjon. Il lui fallut faire un effort pour se souvenir de ce qui s'était passé durant cette nuit terrible, si fertile en événements prodigieux : la mort des deux gardiens, sa fuite, la miraculeuse réapparition de Sara... Mais, penché sur le lit, Landry guettait son réveil et lui sourit tendrement en remarquant l'instinctif mouvement de recul qu'elle avait eu en ouvrant les yeux :

— Allons, fit-il doucement, n'aie donc pas peur ! Tu n'as plus rien à craindre ! Tu es en sûreté ici !...

Catherine n'avait pas l'air d'y croire. Ses yeux erraient autour d'elle, se posant sur chaque objet familier mais revenant toujours au feu... ce feu dont le manque l'avait tant fait souffrir ! Au-dehors, la neige avait cessé de tomber et même un timide rayon de soleil se montrait. Sa réverbération sur l'épaisse couche immaculée illuminait l'intérieur de la petite maison.

— Du soleil... du feu ! soupira Catherine avec un léger sourire.

Sara et Pâquerette, revenant de l'étable où elles étaient allées traire les chèvres, rentrèrent à cet instant, l'une avec un seau à demi plein de lait, l'autre avec des fromages. Voyant que Catherine était éveillée, Sara courut l'embrasser en pleurant, se lamentant sur sa maigreur et son aspect misérable.

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