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L'affolement s'emparait de Catherine. S'il était fou, du moins avait-il tout prévu. Elle tenta une ultime chance.

— Et ceux qui vivent autour de moi ?... Les miens, mes amis ? Ils me chercheront...

— Pas si je fais courir le bruit que Philippe de Bourgogne vous a secrètement emmenée avec lui. Qui donc s'en étonnera après les trop visibles marques d'amour dont il vous a comblée ?...

La terre se dérobait sous les jambes de Catherine. Elle crut sentir le monde vaciller autour d'elle, un abîme s'ouvrir devant ses yeux. Des larmes de colère impuissante montèrent à ses yeux. Mais elle se refusait encore à croire Garin totalement insensible. Instinctivement, elle joignit les mains.

— Pourquoi me traitez-vous ainsi ? Que vous ai-je fait ? Souvenez-vous : c'est vous... et vous seul qui m'avez dédaignée quand je m'offrais à vous.

Nous aurions pu être heureux mais vous avez refusé. Il vous fallait me jeter dans les bras de Philippe... et maintenant, vous m'en punissez ? Pourquoi...

mais pourquoi ? Me haïssez-vous donc ?

Les deux mains de Garin se refermèrent autour des minces poignets. Il se mit à secouer férocement la jeune femme :

— Je vous hais... oh oui, je vous hais ! Depuis que j'ai été forcé de vous épouser, j'ai souffert mille morts à cause de vous... Et maintenant il me faudrait endurer de vous voir étaler devant moi sous mon toit votre ventre insolent ? Il me faudrait servir de père à un bâtard ? Non... cent fois, mille fois non. J'ai dû obéir, j'ai dû vous épouser ! Mais j'ai préjugé de mes forces.

Le reste, je ne peux pas l'accepter...

— Alors laissez-moi aller chez ma mère... À Marsannay ?

D'une brutale secousse, il la jeta à terre. Elle tomba rudement sur les genoux, tirant sur la chaîne qui meurtrit son cou et gémit :

— Ayez pitié...

— Non... Personne n'a eu pitié de moi... Vous expierez... ici... ensuite vous pourrez aller vous cacher dans un couvent... quand vous serez laide.

Alors c'est moi qui rirai... Je n'aurai plus votre insolente beauté sous les yeux... votre corps impudique dont vous n'avez pas craint de faire étalage jusque dans mon lit... Laide ! Hideuse !... voilà ce que vous serez quand Fagot en aura fini avec vous...

Écroulée à terre, protégeant instinctivement sa tête de ses bras, Catherine, à bout de nerfs, sanglotait maintenant sans retenue. Tout son corps lui faisait mal et le désespoir l'envahissait.

— Vous n'êtes pas un homme... vous êtes un malade... un dément, hoquetait-elle. Quel homme digne de ce nom agirait comme vous ?

Seul, un grognement lui répondit. Levant alors vivement la tête, elle vit que Garin était parti. Elle était seule avec Fagot. C'était lui qui avait poussé ce grognement. Debout devant le feu qu'il avait enfin réussi à allumer, il la regardait de ses petits yeux noirs qui avaient l'air de deux clous dans sa figure flasque et couperosée. Un rire idiot le secouait tout entier. Il se dandinait d'un pied sur l'autre, à la manière d'un ours, les bras pendants de chaque côté de son gros corps. Une vague de peur, écœurante comme une nausée, serra Catherine au ventre. Elle se releva, recula sans quitter des yeux l'homme qui avançait. Jamais, de toute sa vie, elle n'avait éprouvé pareille terreur, frayeur aussi abjecte ! La conscience de sa faiblesse, de son impuissance en face de cet homme qui n'avait d'humain que la forme extérieure... et encore ! Cette chaîne de fer qui l'attachait à la muraille... trop courte pour lui permettre d'atteindre la fenêtre... Dans un réflexe enfantin d'effroi,, elle se tapit contre le mur, se protégeant de ses bras. Fagot marchait sur elle, un peu penché en avant, les mains ouvertes, comme s'il se disposait à l'étrangler. Catherine crut sa dernière heure venue. L'homme était son assassin et les discours de Garin avaient pour seul but de prolonger son angoisse.

Mais, quand les grosses pattes de Fagot s'abattirent sur elle, Catherine comprit que ce n'était pas à sa vie qu'il en voulait. Il la renversa dans la paille où il la maintint d'une main, tandis que, de l'autre, il essayait de relever sa robe... Une effroyable odeur de sueur, de graisse rance et de vin aigre emplit les narines de la jeune femme qu'une nausée faillit bien vider de toute sa force. Mais l'instinct du danger imminent la galvanisa. Un hurlement lui échappa.

— Garin ! Au sec...

Le cri s'étrangla dans sa gorge. Garin, s'il était encore là, ne pourrait que se réjouir de sa frayeur. Il savait parfaitement ce qu'il faisait en abandonnant la jeune femme au pouvoir de cette brute. Catherine serra les dents pour mieux rassembler son énergie. La paume rugueuse de Fagot qui palpait ses cuisses la soulevait d'horreur. Elle se battit alors, farouchement, sans un cri, luttant contre le poids qui l'écrasait avec l'acharnement d'une bête prise au piège. Surpris par la vigueur qu'elle déployait, l'homme voulut appuyer sa main sur son visage pour mieux la plaquer au sol. Elle le mordit si sauvagement qu'il beugla de douleur, se rejeta en arrière. Sentant le poids s'envoler, Catherine se releva d'un bond, réunit dans sa main une longue boucle de chaîne. Cela formait une sorte de matraque qui pouvait être redoutable.

— Si tu approches, siffla-t-elle entre ses dents serrées, je t'assomme !

L'autre recula, effrayé par la lueur de folie meurtrière qu'il avait vue dans le regard de sa prisonnière. Il se retrancha vers la porte, hors d'atteinte de Catherine, et parut hésiter. Puis il haussa les épaules, ricana :

— Mauvaise !... Pas manger ! Pas manger tant que Fagot aura pas eu son plaisir...

Puis il sortit en suçant sa main blessée où coulait un filet de sang.

Catherine entendit grincer de pesants verrous. Un pas descendit lourdement l'escalier et la captive se laissa retomber sur sa litière de paille, brusquement vidée de toute la force nerveuse qui l'avait soutenue pendant l'affreuse lutte.

Elle enfouit sa tête dans ses mains et se mit à sangloter spasmodiquement.

Garin l'avait bel et bien condamnée à la plus affreuse des morts en la remettant à cette brute bestiale. Si elle ne lui cédait pas, il la laisserait mourir de faim... Déjà son estomac vide la torturait. Le maigre feu allumé tout à l'heure par Fagot n'avait plus que quelques tisons auprès desquels la malheureuse alla s'accroupir, tendant ses mains gelées. Il faisait nuit maintenant et la fenêtre n'était plus qu'une vague découpure plus claire dans l'obscurité profonde de la tour. Quand les dernières braises s'éteindraient, Catherine serait livrée aux ténèbres, au froid, à la peur aussi de voir revenir l'abominable geôlier choisi par Garin...

Toute la nuit, elle la passa recroquevillée sur elle- même, les yeux écarquillés dans le noir, l'oreille au guet, n'osant dormir. Elle avait ramené la paille de sa litière autour d'elle pour essayer d'avoir moins froid. Mais quand le jour se leva, Catherine n'en était pas moins transie.

Les trois jours qui suivirent furent, pour la prisonnière, un épouvantable calvaire. Affaiblie par le manque de nourriture, glacée jusqu'aux os car les quelques brindilles allumées chaque jour par Fagot ne donnaient guère de chaleur, elle devait encore lutter contre les assauts de son gardien. Son estomac rétréci, brûlé par les crampes, lui faisait endurer une intolérable torture que n'apaisait guère l'eau saumâtre et glacée que lui servait Fagot pour tout réconfort... Elle se risqua, cependant, à dormir, quand elle eut constaté que les verrous de sa porte faisaient un épouvantable vacarme quand on les tirait ou qu'on les repoussait. Elle n'avait pas à craindre, de la sorte, une attaque sournoise... mais, quand la brute se jetait sur elle, la défense lui était de plus en plus cruelle, de plus en plus douloureuse... Ses bras, ses mains n'avaient plus de forces. Elle devait à sa solide constitution, à sa magnifique santé, de tenir encore et de trouver au fond de son être les forces désespérées qu'il lui fallait pour se défendre. Mais la faim creusait en elle son sinistre sillon, abolissant sa volonté, abattant son courage... Le temps n'était plus loin où, pour subsister, pour apaiser ses souffrances, elle accepterait n'importe quoi... même Fagot !

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