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Elle n'y était pas depuis dix minutes qu'une pierre roula et qu'un pas léger fit crisser les cailloux du chemin, au-delà du mur. Quelqu'un approchait avec précaution. Retenant son souffle, Catherine assura le gourdin dans sa main et attendit...

Doucement, en prenant bien soin de ne pas faire crier le gravier sous ses pas, elle s'approcha du mur, escalada deux ou trois pierres en profitant de l'abri d'un buisson de noisetiers, de manière à en dominer la crête. La plume noire de la veille s'agitait à quelques pas d'elle. Catherine entendit souffler l'homme qui devait chercher un point d'escalade. Sa silhouette demeurait vague dans les ombres de la nuit. Mais la jeune femme pouvait voir le chaperon qui la coiffait s'élever peu à peu, masquant la tête. Cette fois le visiteur semblait décidé à franchir le mur et à pénétrer chez Mathieu...

Les yeux fixés sur la forme noire, Catherine leva son gourdin avec un sentiment de délectation, celui de la chatte qui voit l'innocente souris s'approcher de sa griffe. Quand la tête du nouveau venu lui parut à bonne portée, elle frappa de toutes ses forces. Avec un cri étouffé, un froissement de feuilles et une dégringolade de pierres, le visiteur nocturne s'effondra sur le chemin. Emplie d'une intense sensation de victoire, Catherine mit son bâton sous son bras et, après s'être assurée que l'homme ne bougeait pas, s'en alla jusqu'à la maison chercher une lanterne.

Quand elle revint, deux ou trois minutes plus tard, en passant, cette fois, par la porte du jardin, sa victime commençait à s'agiter. Catherine, qui n'avait pas lâché son gourdin, s'agenouilla pour voir à qui elle avait affaire.

D'un coup de doigt preste, elle fit sauter le chaperon à la plume noire, approcha sa lanterne du visage et recula avec une exclamation de surprise en constatant qu'elle avait assommé le duc Philippe en personne.

Catherine ne réalisa pas tout de suite ce qu'elle avait fait, mais pendant un instant elle ne sut plus à quel saint se vouer. Heureusement Philippe s'agitait faiblement, sinon, elle eût pu croire qu'elle l'avait tué... Mais aussi, comment deviner que le tout- puissant duc de Bourgogne se cachait sous le simple uniforme d'un soldat de sa propre garde ? Retrouvant un peu de présence d'esprit, elle posa sa main sur le front de l'homme étendu. Il était chaud, mais sans excès et ne montrait aucune blessure. Sans doute, Philippe devait-il une fière chandelle à l'épaisseur de son chaperon dont le drap solide avait amorti considérablement le choc du gourdin, car Catherine avait tapé de toutes ses forces.

Elle hésita à revenir à la maison chercher du secours. Si Philippe se cachait avec tant de soin c'est qu'apparemment il ne tenait pas à ce que sa présence fût divulguée. Se souvenant du puits du jardin, elle courut en tirer un seau d'eau, y trempa son mouchoir et revint l'appliquer sur le front de Philippe. Le remède fit merveille. Le puits était profond, l'eau très fraîche.

Au bout d'un instant, le duc ouvrit les yeux et sourit en reconnaissant la jeune femme.

— Je vous trouve enfin, belle vagabonde ? fit-il en riant. Ce n'est pas sans peine. Où donc vous cachiez-vous ? Le moins que l'on puisse dire c'est que vous êtes bien gardée... Houh !... ma tête ! fit-il en portant la main à son crâne. Que m'est-il arrivé ?

— On vous a assommé, Monseigneur...

— Et l'on n'y a pas été de main morte. À qui dois-je cette aventure ?

Catherine baissa le nez pour cacher sa confusion et prit, derrière son dos, le gourdin qu'elle avait abandonné :

— A ceci, Monseigneur... et à moi ! Si vous voulez bien me pardonner...

Une seconde, Philippe, suffoqué, resta muet puis, brusquement, il éclata de rire. Un vrai fou rire de gamin qui n'avait rien de princier.

— Je ne pensais pas vous devoir ce genre de souvenir, ma mie... Ce sera sans doute la plus belle bosse de ma vie. La plus précieuse, en tout cas...

Il se redressait tout à fait et, assis, s'emparait de la main de Catherine qu'il portait à ses lèvres. Gênée, la jeune femme voulut retirer sa main, mais Philippe tenait bon.

— Ah, non, pas de fuite ! Vous me devez bien cela ! Quand donc cesserez-vous de vous mettre hors la loi, ma chère ? La première fois que je vous ai vue, vous faisiez du scandale sur la voie publique en pleine procession. Ensuite, vous avez forcé ma porte pour m'arracher des prisonniers... Et maintenant, voilà que vous me tapez dessus avec un gourdin

? Ne croyez-vous pas que vous êtes un peu ma débitrice ?

— Je l'avoue, Monseigneur. Mais je ne sais comment m'acquitter...

En me répondant franchement. Pourquoi cette fuite, cette retraite à la campagne ? Quand nous nous sommes quittés à Arras, j'ai cru que tout était aplani entre nous... que l'entente régnerait à l'avenir et que... vous cesseriez enfin de jouer les rebelles.

Doucement, Catherine retira sa main et se leva, nouant.ses mains derrière son dos.

— Je l'ai cru aussi, Monseigneur. Mais j'ai compris, depuis, que nous ne considérions pas les choses du même point de vue. Les formes même du...

contrat que Votre Altesse passa autrefois avec mon mari...

Pour la rejoindre, Philippe s'était levé, mais une fois debout, il eut un étourdissement, ses jambes se dérobèrent sous lui et il s'appuya à l'épaule de Catherine.

— J'aimerais mieux continuer cette conversation assis... fit-il avec un demi-sourire... à moins que cela ne vous ennuie. Sinon, offrez-moi votre bras, pour une fois, et allons nous asseoir dans un coin tranquille. Non, pas dans votre jardin. Je ne tiens pas à ce que l'on nous surprenne. Mais si vous vouliez m'accompagner jusqu'à ce bouquet d'arbres où j'ai attaché mon cheval...

Lentement, à pas prudents, ils redescendirent vers l'endroit indiqué.

Catherine, prise d'un vague remords, prenait un soin extrême à guider Philippe sans se rendre compte que les pas du duc se raffermissaient de seconde en seconde. Il est vrai qu'il continuait à peser aussi lourdement sur son bras, mais c'était surtout pour pouvoir mieux respirer l'odeur des cheveux de la jeune femme. Arrivés à l'endroit où le cheval attaché attendait tranquillement, il s'assit dans l'herbe, entraînant Catherine avec lui. Les arbres leur cachaient le ciel et leurs troncs les enfermaient presque aussi bien que dans une maison... Il n'y avait pas de vent et la nuit était tiède, autant qu'une nuit d'été. Seulement un peu plus sombre. Le visage de Catherine et son cou faisaient une tache claire à laquelle se rivait le regard du prince. Il avait gardé dans les siennes la main de la jeune femme et, la sentant vaguement émue, grâce à cette science étrange qu'il avait des réactions féminines, il ne voulut pas l'effaroucher.

— Causons, maintenant, fit-il doucement et réglons nos comptes une bonne fois. Nous sommes seuls et bien seuls. Aucune curiosité intempestive, aucune entrave de cour ou de protocole. Il n'y a plus ici un duc et une sujette, mais un homme et une femme. Il y a vous, Catherine, et il y a moi, Philippe.

Dites-moi, bien franchement, ce que vous me reprochez.

Bien entendu, sur le moment, Catherine ne trouva plus rien à dire. Il en est toujours ainsi lorsque l'on accumule des griefs durant des semaines : on se trouve pris de court lorsque l'on est calmement prié de les exposer. Le moyen de se mettre en colère avec un homme qui parlait si doucement, qui mettait tant de bonne grâce à supprimer, entre lui et son interlocutrice, les distances ? Comme la jeune femme se taisait toujours, ce fut encore Philippe qui demanda :

— Mon amour vous offense donc tellement ? Ou bien est-ce que je vous déplais si fort ?

— Ni l'un ni l'autre, fit-elle franchement. En fait, Monseigneur, j'en aurais sans doute été touchée... si l'on ne me l'avait présenté comme une obligation. Depuis le moment où j'ai su que je devais épouser Garin de Brazey, j'ai su aussi qu'il me faudrait encore...

Elle s'arrêta, n'osant poursuivre. Une fois de plus, le duc vint à son secours en souriant.

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