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—Qu'elle est jeunette et maigre ! chuchotait une femme.

— Pauvrette, reprenait un vieillard à barbe blanche, ils ont dû lui en faire voir dans sa prison, ces maudits Godons que Dieu damne !

— Chut !... faisait à son tour une jeune fille. Si l'on vous entendait...

Bientôt, d'ailleurs, tout le monde se tut. Un homme en robe noire s'était placé debout auprès de Jehanne agenouillée, un parchemin ceinturé de rouge entre les doigts. Quelqu'un, derrière Catherine, chuchota avec un respect craintif.

— C'est maître Guillaume Erard, de la Sorbonne. Il va prêcher.

De fait, le docteur en robe noire commençait d'une voix à la fois sonore et onctueuse un long et emphatique sermon qui avait pour thème : « Le rameau ne peut produire du fruit s'il n'est demeuré à la vigne... » Mais Catherine n'écoutait pas. Elle regardait Jehanne, effrayée de la trouver si pâle, et si maigre. La Pucelle flottait littéralement dans son costume d'homme en serge noire. Ses cheveux allongés encadraient un visage si creusé que les limpides ; yeux bleus semblaient en avoir dévoré toute la substance. Mais son courage paraissait entier.

Au bas de sa tribune, juste derrière le cordon de troupes, Catherine pouvait voir une tache vert foncé : le chaperon d'Arnaud dont, dans sa propre chair, elle éprouvait toute la tension nerveuse. Tout à l'heure, de sa force et de sa rapidité dépendraient le salut de Jehanne et le sien propre. Arnaud allait jouer sa vie, quand il se lancerait pour s'emparer de la prisonnière. Ni lui ni Catherine ne l'ignoraient et, quand ils s'étaient séparés, au matin de ce jour, le jeune homme s'était, pour une fois, départi de son masque glacé... oh, un tout petit instant ! Il avait pris la main de Catherine, usée et abîmée par les lessives, et l'avait appuyée vivement contre ses lèvres.

— Ne m'oubliez pas tout à fait, si je meurs... avait-il murmuré.

L'émotion avait tellement étranglé Catherine qu'elle n'avait rien pu dire.

Des larmes avaient empli ses yeux mais il s'éloignait déjà, ridicule et touchant dans ce costume trop étroit pour son corps vigoureux. Tout ce qu'avait pu faire la jeune femme c'était enfermer au plus chaud de son cœur cet instant fugitif...

La voix du prédicateur venait de s'enfler, obligeant les oreilles de Catherine à l'attention :

— Oh, maison de France ! clamait-il, tu n'avais jamais connu de monstres jusqu'ici, mais, à présent, te voilà déshonorée en prêtant foi à cette femme, magicienne, hérétique, superstitieuse...

Mais à son tour la voix claire de Jehanne s'élevait, calme, glacée de dédain :

— Ne parle point de mon roi ! cria-t-elle. Il est bon et vrai chrétien !

La foule vibra comme une corde tendue mais ce ne fut qu'un fugitif éclat.

Le ronronnement d'Erard avait repris et Catherine s'en désintéressa. Le moment approchait, elle le sentait...

Quand il fut là, tout se passa si vite qu'elle crut perdre la tête. Entre les deux tribunes, il y avait tant d'agitation qu'il était impossible de comprendre ce qui se passait. Tout le monde criait à la fois. Catherine vit un moine glisser un papier et une plume dans la main de Jehanne qui semblait cette fois tout à fait affolée. Autour d'elle la foule devenait houleuse... Jehanne fit un signe sur le papier et on la poussa au bas de l'échafaud. On allait l'emmener, mais où ? Catherine vit qu'Arnaud se tournait vers le côté où elle se trouvait, comprit que le moment était venu...

Alors, elle se lança dans la bagarre. Avec un cri perçant qui fit retourner une partie de la foule, elle tomba en arrière, donnant tous les signes d'une crise nerveuse. Elle chut rudement sur les marches croulantes du calvaire, se fit mal mais n'en cria que plus fort. Le visage de Nicole, distendu par les cris qu'elle poussait, elle aussi, lui apparut, porté par la foule. Le tumulte devint extrême, aussitôt dominé par les bourdons du beffroi. La foule rugit, forma de grands remous. Renversée à terre au milieu de gens qui cherchaient à la relever, Catherine ne voyait rien. Mais une voix tonnante domina la tempête.

— Arrêtez aussi cette femme dont les convulsions ont causé ce scandale !

Nicole, les yeux dilatés d'épouvante, disparut, avalée par la foule comme par miracle. Un instant plus tard, la poigne sans douceur des soldats anglais ramassait Catherine, la remettait debout rudement. Alors, elle vit...

Elle vit Cauchon, violet de rage, le doigt tendu vers elle... Et Jehanne que les soldats entraînaient vers la prison. Elle vit Arnaud, luttant encore contre trois archers anglais, avec l'énergie du désespoir. Et elle comprit que le coup avait échoué... que tout était perdu...

Une heure plus tard, meurtris par les coups reçus et chargés de chaînes, mais côte à côte, Arnaud et Catherine comparaissaient devant l'évêque de Beauvais. Tous deux faisaient bonne contenance. Il n'était plus temps de courber l'échiné et de se cacher derrière de fausses identités.

— Tout est perdu, chuchota Arnaud à sa compagne quand ils franchirent la porte du donjon. Il nous reste à bien mourir... moi tout au moins !

Un coup de poing d'un archer lui imposa silence et Catherine vit un peu de sang couler de sa lèvre fendue. Maintenant, debout tous deux devant la haute cathèdre de chêne dans laquelle Cauchon entassait sa vaste personne, le menton dans la main en une attitude qu'il pensait pleine de dignité, ils laissaient peser sur eux le silence, le regard faux du prélat.

— Des perturbateurs ! grogna celui-ci... de pauvres misérables fous qui voulaient enlever la sorcière, je pense ! Où allons-nous si des croquants se mêlent d'avoir une opinion...

Il semblait prodigieusement ennuyé par ce qu'il considérait comme un incident. Son regard était vide d'intérêt. Il commença à ronger l'ongle de son pouce gauche, puis cracha. Et, brusquement, le regard éteint s'alluma. Une flamme d'étonnement, de stupeur encore incrédule. Il se leva de son siège, en descendit les marches, lourdement, vint à Catherine qui, la tête haute, le regardait approcher... D'un revers de sa main grasse, il fit sauter le bonnet de la tête de la jeune femme découvrant les tresses d'or de ses cheveux. Un mauvais sourire plissa les rides de sa figure.

— Il me semble vous avoir dit un jour que je ne vous oublierais pas, dame Catherine, mais, sur ma foi, je n'aurais pas cru avoir l'occasion de vous le prouver dans de telles circonstances. Je savais déjà vos exploits, comme tout un chacun en Bourgogne, mais j'ignorais ce qu'il était advenu de vous.

Nous conspirons, si je comprends bien ? Nous nous intéressons à cette magicienne infâme qui ne mérite même pas le fagot sur lequel elle grillera...

Il est vrai qu'entre ribaudes, on se comprend, on sympathise...

La voix cinglante d'Arnaud lui coupa la parole.

— Laisse-la tranquille, révérend pourceau ! Elle n'a fait que se trouver mal au spectacle de tes exploits contre une autre femme. Ce sont là, je sais, tes adversaires préférées, mais tu ferais mieux de t'occuper de moi. J'en vaux la peine.

Cauchon s'était tourné vers lui et l'examinait avec plus d'attention. Mais la lumière était pauvre dans cette pièce voûtée percée d'une mince meurtrière.

Le prélat alla à la cheminée où l'on venait d'allumer un feu pour combattre l'humidité des murs, saisit un brandon allumé et l'approcha du jeune homme.

— Qui donc es-tu, toi ? fit-il avec curiosité. Ton visage ne m'est pas inconnu... mais où donc t'ai-je vu ?

— Cherche ! jeta Arnaud goguenard. Et mets-toi bien dans la tête que tu n'as ici qu'un adversaire : moi ! Cette femme n'a rien à voir dans cette histoire...

Comprenant qu'Arnaud cherchait à la sauver, Catherine protesta. En tout et pour tout, elle voulait partager son sort, quel qu'il fût !

— Merci de votre générosité, mais je refuse. Si vous êtes coupable, je le suis aussi...

— Sottise ! cria Arnaud furieux. J'ai agi seul !

Le regard incertain de l'évêque allait de l'un à

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