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— Voilà vos vêtements et votre aumônière. Je les ai trouvés dans votre chambre... à défaut d'un cadavre qui, heureusement, était encore bien vivant ! Habillez-vous vite !

Catherine ne se le fit pas dire deux fois. Se glissant dans un renfoncement obscur de la cour, elle se hâta de passer ses vêtements de voyage, boucla son aumônière à sa ceinture non sans s'être assurée, auparavant, que sa dague et l'émeraude de la reine s'y trouvaient toujours. Quand elle rejoignit ses compagnons, elle constata que Tomas avait disparu et que Josse n'était plus là. Elle interrogea Gauthier qui, placidement, les bras croisés, regardait les sauveteurs poursuivre leur lutte contre le feu. L'incendie, pris à temps sans doute, était déjà presque maîtrisé.

— Où est Josse ?

— À l'écurie. Il prépare les chevaux. Don Alonso, hier soir, avait donné des ordres à ce sujet.

En effet, l'ancien truand revenait, tirant après lui trois chevaux tout harnachés et une mule portant des sacs qui devaient contenir des vivres et des vêtements. L'archevêque avait pensé à tout... Aussi Catherine s'insurgea-t-elle quand Gauthier voulut l'aider à se mettre en selle.

— Qu'est-ce que tu imagines ? Que je partirai ainsi, comme une voleuse, sans même savoir si notre hôte est indemne ?

— Il ne vous en voudra pas. Et, décidément, vous n'êtes guère en sûreté ici. J'ai appris la tentative dont vous aviez failli être la victime, continua Gauthier, mais Catherine lui coupa brutalement la parole.

Son regard violet s'enflamma de colère en se posant alternativement sur les deux hommes.

— Apparemment, vous vous êtes déjà mis d'accord pour me dicter ma conduite, tous les deux. Il n'y a pourtant pas longtemps que vous avez fait réellement connaissance !

— Les natures comme les nôtres se reconnaissent très vite, fit Josse, suave. Nous sommes faits pour nous entendre !

— En tout cas, quand il s'agira de votre sécurité, ajouta Gauthier, nous nous entendrons toujours. Vous n'êtes pas très prudente, dame Catherine...

Il y avait un reproche subtil sous les paroles de Gauthier, et plus encore dans son regard. Malgré elle, Catherine détourna la tête, saisie d'un regret plus cuisant qu'elle n'aurait cru. Oui, il lui reprochait d'avoir mis entre eux des souvenirs qui n'auraient jamais dû quitter le domaine du rêve. Les choses étaient différentes maintenant, quelle que puisse être leur volonté de les ramener à l'ancien état de fait. Les baisers et les gestes de l'amour laissent parfois dans l'âme des sillons aussi cruels, aussi ineffaçables que ceux du fer rouge dans la peau d'un homme.

— Est-ce bien à toi de me le reprocher ? murmura-t-elle amèrement.

Puis, changeant de ton instantanément :

— Quoi qu'il en soit, je ne partirai pas sans avoir dit adieu à don Alonso !

Sans plus s'occuper des deux hommes, elle se dirigea d'un pas vif vers la porte cintrée qui menait chez l'archevêque. Les esclaves l'avaient libérée car, maintenant, l'incendie était éteint. Seules quelques fumerolles noires montaient encore des ouvertures et une désagréable odeur de brûlé emplissait l'air matinal.

Le jour se levait, très vite comme dans tous les pays du Sud. La nuit disparaissait d'un seul coup comme une housse sombre soudainement arrachée de la terre par quelque mystérieuse et céleste ménagère, le ciel se parait de tous les roses, de tous les ors de l'aurore et le château rutilait comme un énorme rubis dans cette aube de perle rose. Dans le logis, on entendait encore des cris, des allées et venues, et Catherine hésita un instant au seuil déserté par les sentinelles. Comment se faire comprendre de tous ces gens dont elle ne parlait pas la langue ? Elle allait se détourner pour appeler Josse et l'inviter à la suivre chez don Alonso quand une haute silhouette noire se dressa soudain devant elle. Malgré son empire sur elle-même, la jeune femme recula, saisie de cette surprise superstitieuse qui lui venait toujours lorsqu'elle se trouvait en face de Fray Ignacio.

Le moine borgne la considéra sans étonnement, s'inclina brièvement.

— Je suis heureux de vous rencontrer, noble dame ! J'allais me rendre auprès de vous. Sa Grandeur m'envoie.

Une brusque angoisse serra la gorge de Catherine. Elle leva sur le moine des yeux où le désespoir se mêlait à la peur.

— Vous... vous parlez donc notre langue ?

— Quand il le faut, quand il est nécessaire, je parle en effet votre langue... comme je parle également l'anglais, l'allemand et l'italien !

Catherine sentit d'un seul coup ses doutes et ses terreurs revenir.

Garin, lui aussi, parlait plusieurs langues étrangères... Et cette incertitude intolérable revenait, elle aussi. Elle se traduisit, chez la jeune femme, en une colère brutale.

— Pourquoi, alors, avez-vous feint de ne point me comprendre, l'autre jour, dans la chambre du Trésor ?

— Parce que ce n'était pas nécessaire ! Et parce que je ne comprenais pas ce que vous vouliez dire...

— En êtes-vous tellement certain ?

Oh ! déchiffrer l'énigme de ce visage fermé, de cet œil unique dont le regard refusait le sien et allait se perdre, par-dessus sa tête, dans les profondeurs de la cour ! Arracher à ce fantôme sa vérité profonde !...

En l'entendant parler français, Catherine avait cherché à retrouver les intonations de Garin, la voix de Garin... et il lui était impossible de dire si c'était la même voix ou bien une autre !... Maintenant, elle l'entendait lui apprendre que don Alonso avait été légèrement blessé par la chute d'une colonnette de cèdre, que son médecin maure lui avait donné un puissant somnifère pour qu'il reposât en paix, mais qu'avant de s'endormir il avait ordonné à Fray Ignacio de s'assurer que Catherine était indemne, et de veiller en personne à ce que le départ prévu de la jeune femme ne subît pas de retard du fait de l'incendie nocturne et s'effectuât comme si don Alonso en personne avait pu y présider.

— Don Alonso vous prie seulement de garder son souvenir dans votre cœur, noble dame... et de prier pour lui comme il priera pour vous !

Une soudaine bouffée d'orgueil redressa Catherine. Si cet homme était Garin, s'il jouait un rôle, il le jouait supérieurement. Elle ne voulut pas être en reste avec lui.

— Dites à Sa Grandeur que je n'y manquerai pas et que jamais le souvenir de ses bontés ne me quittera. Dites-lui aussi combien je lui suis reconnaissante de l'aide qu'elle m'a donnée et aussi que je la remercie de ses prières, car, dans les lieux où je me rends, le péril sera constant !...

Elle s'arrêta un instant, regardant fixement le moine noir. Rien !

Pas un tressaillement ! Il semblait fait de pierre, insensible au moindre sentiment, à la plus simple compassion, se contentant, une fois encore, de s'incliner silencieusement.

— Quant à vous... reprit Catherine d'une voix que la colère faisait trembler.

Mais elle n'alla pas plus loin. Comme il s'était interposé tout à l'heure entre Tomas et le couteau de Josse, Gauthier intervint en posant sa main sur l'épaule de la jeune femme.

— N'en dites pas davantage, dame Catherine. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit ! Venez ! Il est temps de partir !

Cette fois, elle subit son autorité. Docilement, elle se détourna, rejoignit le groupe que formaient Josse et les

bêtes, se laissa mettre en selle sans un mot et se dirigea vers la porterie. Au moment de franchir la herse relevée, elle se retourna, mais ce fut pour trouver, juste derrière elle, les larges épaules du Normand qui bouchaient presque toute la vue.

— Ne vous retournez pas ! ordonna-t-il durement. Vous devez aller votre chemin, droit devant vous... et sans jamais plus vous retourner !

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit : devant votre Dieu et devant les hommes vous êtes la femme d'Arnaud de Montsalvy ! Oubliez tout le reste !

De nouveau, elle obéit, regarda, au-delà de l'ogive rouge, le profil aride et magnifique du plateau, mais, derrière l'épaule de Gauthier, elle avait tout de même aperçu la forme noire du moine, debout à l'endroit où elle l'avait laissé, les mains au fond de ses manches.

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