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— Merci pour ces mots ! Je crois, en vérité, que vous m'aimez bien, dame Catherine, mais... - et son doigt, pointé vers le cou de la jeune femme, désigna la lourde croix d'or et de perles que l'archevêque y avait, lui- même, accrochée quelques jours plus tôt et qui étincelait sur le velours de la robe - osez jurer sur ce Dieu que vous adorez que ce n'est pas lui que vous aimez ! Lui, votre époux, votre seigneur !

Vous savez bien que vous l'aimerez tant qu'il vous restera un souffle d'existence !

Cette fois, la jeune femme ne répondit rien. Baissant la tête, elle laissa ses larmes couler librement sur le velours de sa robe sombre.

— Vous voyez bien, fit doucement Gauthier. Aussi de cette nuit folle et merveilleuse, dont moi je garderai le souvenir, mais que je vous supplie d'oublier, nous ne reparlerons jamais...

'— Tu ne m'aimes donc plus? demanda Catherine d'une toute petite voix.

Il y eut un silence pesant, puis, d'une voix dure, qui s'enrouait, le Normand murmura :

— Les dieux de mes ancêtres savent que je ne vous ai jamais autant aimée ! Mais c'est justement à cause de cet amour que je vous supplie d'oublier. Si vous ne le faites, ma vie sera un enfer... et il me faudra vous quitter. Nous allons partir d'ici, continuer cette route qui nous mènera au royaume de Grenade. Je vous aiderai à retrouver messire Arnaud...

— Il y a des choses que tu ignores encore. Peut-être n'ai-je plus le droit de réclamer comme époux Arnaud de Montsalvy.

— Que voulez-vous dire ?

— Que je n'avais peut-être pas le droit de l'épouser... parce que j'ai peur que mon premier époux ne soit encore vivant...

Sourcils haussés par la surprise, Gauthier interrogeait la jeune femme par son seul mutisme. Alors, très vite, comme on se libère d'un fardeau insupportable, elle raconta sa stupeur devant l'apparition inouïe du moine borgne, sa terreur ensuite en constatant que tant de faits coïncidaient étrangement, sa visite enfin à la chambre du trésor, la veille même, et l'intolérable incertitude qu'elle en avait rapportée.

Elle allait poursuivre, sans doute, pour exposer ses angoisses, ses scrupules, mais, soudain, Gauthier l'empoigna aux épaules et se mit à la secouer comme s'il cherchait à l'éveiller d'un cauchemar. Il était devenu très pâle.

— Taisez-vous, dame Catherine... et écoutez-moi ! Nous allons partir, vous m'entendez, partir immédiatement de ce château, et vous ne vous retournerez pas ! Sinon, je crois bien, par Odin, que vous allez devenir folle ! Cela est trop, pour vous ! Cessez de rêver tout éveillée, abandonnez le pays des songes et des mauvais sortilèges !

Reprenez votre route et ne pensez plus qu'une chose : vous êtes, devant votre Dieu et devant les hommes, la femme d'Arnaud de Montsalvy, vous portez son nom, vous en avez un fils ! Il n'y a rien à ajouter à cela ! Oubliez tout le reste.

— Et si, cependant, ce moine était Garin de Brazey ?

— Vous n'avez pas à le savoir ! Pour le monde entier, comme pour lui-même sans doute, il a été pendu. S'il a pu échapper, il s'est refait une existence conforme à ses goûts. S'il souhaitait en changer, vous ne seriez point demeurée si longtemps dans l'incertitude. Son attitude vous dicte la vôtre. Garin de Brazey est mort, vous entendez, « mort ».

Seul respire Fray Ignacio qui n'a aucun point commun avec lui !

Maintenant, allez vous préparer et quittons au plus vite ce château de maléfices!

À cet instant, un appel de trompettes vint rompre le silence ensoleillé de la campagne immense, rappelant Catherine à la réalité. Elle se dirigea vers la porte, sourit gentiment à son ami.

— Je crois bien que tu auras toujours raison, Gauthier, mais voici que l'on corne l'eau. Don Alonso m'attend pour le repas et je ne veux pas le faire attendre.

— Annoncez-lui votre départ.

— C'est déjà fait. Mais, comme je lui ai dit que je partirai demain, je pense qu'il te faudra patienter jusque-là. Une nuit encore, Gauthier, rien qu'une nuit. C'est peu de chose !...

— Peu de chose ? Je ne suis pas de votre avis. On peut faire tenir une vie entière dans une seule nuit ! Tant de choses ont le temps de se nouer ou se dénouer... en une nuit ! Mais vous avez raison : nous devons trop au seigneur-archevêque pour agir grossièrement envers lui. Demain, au lever du jour donc !

Vivement, Catherine descendit l'escalier. Au moment de franchir la porte basse du donjon, il lui sembla qu'une silhouette s'était rejetée brusquement dans l'ombre dense de la vis de pierre, et que cette silhouette ressemblait beaucoup à celle de Tomas de Torquemada.

Elle eut un frémissement de crainte rétrospective, mais, déjà, elle était dans le grand soleil de la cour où des soldats, des frères convers et quelques servantes musardaient, se reposant de leur service ou cherchant un coin d'ombre pour s'y étendre car venaient les heures écrasantes où la chaleur tombe d'aplomb et change l'activité en torpeur. Catherine se dirigea vers eux. Les rayons dorés étaient bons, rassurants. Ils éloignaient si bien les fantômes et les ombres perverses

! D'un pas allégé, elle se dirigea vers la salle de festins.

Une intolérable sensation de chaleur, la perception inconsciente d'une lumière violente éveillèrent Catherine au milieu de la nuit. L'incendie emplissait sa chambre de son éclat et la jeune femme, un instant, se crut en plein mauvais rêve. Mais elle eut tôt fait de se rendre à la réalité. La porte de sa chambre flambait et, devant la cheminée, des paquets de paille et des fagots, répandus intentionnellement sur le sol, brûlaient en dégageant une fumée de plus en plus épaisse. Une vague de terreur souleva la jeune femme, l'arracha de son lit et la précipita, nue, vers la fenêtre dont elle arracha les volets plutôt qu'elle ne les ouvrit pour respirer avidement deux ou trois fois... Mais l'appel d'air créé par l'ouverture de la fenêtre fit bondir le feu avec une ardeur décuplée. Il ronflait dans la galerie, léchait le bois des coffres et des sièges disposés près de la cheminée. L'une des tentures murales s'enflamma près du lit, menaçant les courtines.

— Au secours ! hurla Catherine affolée. Au feu !... À moi !

Des bruits se faisaient entendre au-delà du brasier, mais il formait un rideau de flammes qui ne devait pas être facile à éteindre et il sembla à la jeune femme qu'à ces bruits se mêlaient parfois des rires !

— À moi ! cria-t-elle du sommet de ses forces. Au secours !

Elle se tourna convulsivement vers la fenêtre. Elle savait qu'il y avait cinquante pieds sous l'étroite ouverture, mais la nuit en faisait un gouffre terrifiant. Pourtant... si l'on ne venait pas à son secours il faudrait bien choisir l'abîme ! Le feu gagnait à une vitesse prodigieuse. Dans la fumée suffocante, Catherine décelait une odeur inconnue, âcre et inhabituelle, l'odeur, sans doute, de ce qui avait servi à faire flamber, si vite et si bien, un tel incendie. Plaquée contre la fenêtre, elle cherchait l'air en vain. La fumée, épaisse et noire, se rabattait vers elle, attirée par l'ouverture. La gorge en feu, incapable désormais de crier, les yeux brûlés, la jeune femme sentait ses forces l'abandonner. L'asphyxie gagnait. Dans un instant, elle ne serait même plus assez, forte pour glisser par la fenêtre, pour sauter... elle n'en était déjà plus capable. Ses jambes se dérobaient sous elle. Elle allait tomber dans cette nouvelle vague de fumée qui rampait vers elle comme un gras serpent ! Elle se mit à tousser, avec la sensation torturante que ses poumons prenaient feu à leur tour. En une folle cavalcade, à l'instant de perdre connaissance, Catherine vit passer devant elle tous les visages qui avaient peuplé sa vie, amis ou ennemis. Elle revit les yeux tendres de Sara, le visage sarcastique de Philippe le Bon, l'énigmatique figure de Garin, le regard gris de Gauthier et le sourire moqueur d'Arnaud. Alors, elle comprit qu'elle était en train de mourir, tenta de retrouver une bribe de prière...

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