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— Tu ne réponds pas ? murmura-t-elle d'une voix qui s'enrouait.

— C'est que je ne sais pas. Vous êtes si belle que j'aimerais vous suivre... comme une étoile. Mais si je veux retrouver mon passé il vaut peut-être mieux que je m'en aille seul. Il y a en moi quelque chose qui dit que je dois être seul, que je l'ai toujours été...

— Non, ce n'est pas vrai ! Depuis trois ans tu ne m'as presque pas quittée. Nous avons souffert ensemble, lutté ensemble, défendu nos vies ensemble, tu m'as sauvée tant de fois ! Comment ferai-je si tu m'abandonnes ?

Elle se laissa tomber assise sur le pied du lit, accablée sous ce surcroît de peine. Cachant son visage dans ses mains tremblantes, elle murmura douloureusement :

— Je t'en supplie, Gauthier, ne m'abandonne pas ! Sans toi, je suis perdue... perdue !

Des larmes amères roulaient entre ses doigts. Elle se sentait affreusement seule, abandonnée de tous. Il y avait le moine, ce cauchemar vivant qui hantait les murs de ce château, il y avait la nostalgie qu'elle éprouvait de son pays, de son enfant, il y avait surtout la furieuse morsure de la jalousie qui la tenaillait chaque fois qu'elle évoquait son époux. Alors, que Gauthier se détournât d'elle, qu'il eût tout oublié du passé, c'était plus qu'elle n'en pouvait endurer... Elle l'entendit qui balbutiait :

— Ne pleurez pas, dame ; si cela vous cause tant de peine, j'irai avec vous...

Elle releva vers lui, dans un visage inondé de larmes, des yeux fulgurants de révolte.

— Cela ressemble à de la pitié, ou de la résignation ! Mais tu m'aimais, jadis ! Tu ne vivais que pour moi, que par moi... Si ta mémoire te fait défaut, ton cœur, du moins, devrait me reconnaître !

Il se pencha vers elle, scrutant le doux visage humide et implorant.

— Je voudrais tant me souvenir ! fit-il tristement. Cela ne doit pas être difficile de vous aimer. Vous êtes si belle ! On dirait que vous êtes pétrie avec de la lumière. Vos yeux sont plus doux que la nuit...

D'une main timide, il avait pris le menton de la jeune femme, le relevait pour mieux voir les prunelles veloutées que les larmes faisaient scintiller. Le visage contracté du Normand était maintenant tout près du sien et Catherine ne fut pas maîtresse de son impulsion. Il lui sembla encore entendre la voix d'Hamza murmurant : « Essayez de réveiller cet amour... » Alors, elle demanda :

— Embrasse-moi !

Elle vit qu'il hésitait. Se haussant vers lui, ce fut elle, alors, qui chercha les lèvres de Gauthier, y attacha les siennes tandis que, glissant ses deux bras autour du cou massif, elle se suspendait à lui. La bouche serrée ne répondit pas tout de suite à sa caresse, comme si elle hésitait au bord du plaisir. Et puis, tout à coup, Catherine sentit qu'elle se mettait à vivre, soudain ardente et brutale, tandis que les bras du Normand se refermaient sur elle. Enlacés, ils roulèrent sur le lit.

Sous la bouche qui, maintenant, violentait la sienne, Catherine sentit le désir s'éveiller, en tempête, dans son corps, sage depuis trop longtemps. Elle avait toujours eu pour Gauthier une profonde tendresse, et, tout à l'heure, quand elle lui avait tendu ses lèvres, elle songeait seulement à créer ce choc capable de lui rendre la mémoire.

Mais, maintenant, son propre désir s'éveillait, au même rythme que celui qu'elle sentait naître dans le corps pressé contre le sien...

Fulgurante, la pensée de son époux la traversa, mais elle la repoussa avec colère. Non, même son souvenir ne l'empêcherait pas de se donner à son ami ! Est-ce que celui de leur amour l'empêchait de donner à une autre ses baisers et ses caresses ? Le goût de la vengeance venait, décuplant l'approche du plaisir attendu. Mais elle sentait les mains de Gauthier s'énerver sur les laçages compliqués de sa robe. Doucement, elle le repoussa.

— Attends ! Ne sois pas si pressé !...

D'un souple mouvement de reins, elle se redressa, se leva. L'indécise lumière de la chandelle lui sembla insuffisante. Elle ne voulait pas se donner à lui furtivement, dans l'ombre. Elle voulait beaucoup de lumière sur son visage, sur son corps lorsqu'il la posséderait...

Saisissant la chandelle, elle alla allumer les deux candélabres posés sur le coffre contre le mur. Assis au pied du lit, il la regardait faire, sans comprendre.

— Pourquoi tout cela ? Viens... supplia-t-il, tendant vers elle des mains impatientes, prêt à bondir sur elle.

Mais du regard, elle le retint.

— Attends, te dis-je...

Elle s'éloigna de quelques pas. Puis, avisant un couteau posé sur la table, elle trancha d'un coup les lacets de sa robe, s'en dépouilla avec une sorte de hâte joyeuse, fit glisser le jupon de satin blanc, la chemise fine. Le regard gris, avide, suivait chacun de ses gestes, glissant sur le corps qui se dénudait devant lui. Catherine le sentait sur ses seins, sur son ventre, sur ses cuisses et en jouissait comme d'une caresse. Quand la dernière lingerie fut tombée, elle s'étira comme une chatte dans la lumière chaude des bougies puis, se glissant sur le lit, elle s'y étendit et, enfin, ouvrit les bras.

— Viens maintenant !

Alors il bondit...

— Catherine !...

Il avait crié son nom, comme un appel, au moment le plus aigu du plaisir et maintenant, haletant, il regardait avec des yeux qui s'effaraient le doux visage qu'il tenait entre ses mains.

— Catherine, répéta-t-il... Dame Catherine ! Est-ce que je rêve encore ?

Une vague de joie inonda la jeune femme. Hamza avait eu raison.

L'amour s'était réveillé, avait fait un miracle... L'homme qu'elle étreignait n'était plus un étranger, un corps dont l'âme était absente. Il était redevenu lui-même... et elle se sentait heureuse comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps. Aussi, comme il tentait de s'écarter, elle le retint dans ses bras, le ramena contre elle.

— Reste !... Oui, c'est bien moi... Tu ne rêves pas, mais ne me quitte pas !... Je t'expliquerai plus tard ! Reste. Aime-moi... Cette nuit, je t'appartiens.

La bouche qui s'offrait était trop douce, trop tendre le corps que Gauthier étreignait. C'était aussi un trop vieux rêve, trop longtemps et trop cruellement banni que posséder enfin cette femme adorée ! Il avait l'impression de sortir d'un songe, mais cette peau chaude, l'odeur grisante de cette chair étaient une bouleversante réalité. Il s'y abandonna avec passion, se saoula d'elle comme d'un vin trop fort avec l'avidité d'un homme qui, durant d'interminables jours, a connu la soif. Et Catherine, heureuse, comblée, s'abandonna avec une joie animale à cet ouragan d'amour.

Pourtant, vers le milieu de la nuit, il lui sembla qu'un fait étrange se produisait. Elle crut entendre bouger la porte de la chambre. Elle se redressa, écouta un instant, faisant signe à Gauthier de se taire. Les chandelles approchaient de leur fin, mais éclairaient suffisamment pour qu'elle vît nettement que la porte ne bougeait pas. Aucun bruit ne se faisait entendre... Puis Catherine songea qu'elle avait été victime d'une illusion et, oubliant la porte, revint à son amant...

L'aube était bien proche quand Gauthier s'endormit enfin. Il tomba comme une masse dans un sommeil lourd, profond, emplissant le donjon d'un ronflement sonore qui fit sourire Catherine. C'étaient là les véritables trompettes de la victoire ! Elle le regarda dormir un moment, paisible, détendu, les lèvres molles et entrouvertes. Sa gigantesque carcasse, abandonnée en travers du lit dévasté, avait quelque chose d'enfantin. Elle éprouvait pour lui une profonde tendresse. L'amour qu'il lui avait donné était, elle le savait, d'une qualité rare. Gauthier l'aimait pour elle-même, sans rien revendiquer pour lui, et cet amour réchauffait le cœur transi de Catherine.

Elle se pencha sur le dormeur et, tout doucement, baisa les paupières closes. Puis, hâtivement, elle remit ses vêtements car elle voulait rentrer chez elle avant le jour. Se rhabiller ne fut pas chose aisée ; les lacets tranchés de sa robe en rendaient l'ajustement difficile, mais elle parvint tout de même à les rattacher tant bien que mal. Une fois prête, elle se glissa au-dehors, descendit, sur ses bas, l'escalier de pierre pour ne pas éveiller les échos du donjon. Le ciel, au-dessus du château, commençait à pâlir. Dans les couloirs, les torches s'éteignaient en fumant. Les sentinelles dormaient, appuyées sur leurs piques, un peu partout. Catherine put regagner sa chambre sans rencontrer âme qui vive. Rejetant hâtivement ses robes qu'elle retenait à deux mains contre elle, la jeune femme se glissa dans les draps frais de son lit avec un soupir de volupté. Elle se sentait lasse, moulue jusqu'aux os par la nuit brûlante qu'elle venait de vivre, mais, en même temps, curieusement délivrée de ses fantômes, presque heureuse. Certes, ce n'était pas le grisant, le merveilleux anéantissement que seul Arnaud savait lui donner. Dans les bras du seul homme qu'elle eût jamais vraiment aimé, Catherine s'oubliait, se dissolvait dans le bonheur, abdiquait même toute personnalité, toute volonté pour ne plus former avec lui qu'une seule chair, un seul cœur. Mais, cette nuit, la tendresse profonde qu'elle avait pour Gauthier, son ardent désir d'arracher son esprit au brouillard dangereux de la folie et la faim douloureuse de ses propres sens lui avaient parfaitement tenu lieu de passion. Elle avait découvert quel apaisement, du corps et de l'esprit, pouvait donner l'amour d'un homme ardent et sincèrement épris... même l'irritant problème que représentait Fray Ignacio s'en trouvait amoindri, démystifié en quelque sorte...

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