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Il est des princes mieux partagés, mais, tel qu'il est, mon modeste trésor vaut d'être vu et je puis vous assurer que je ne dédaignerais pas cette pierre, loin de là. Si je la refuse, c'est pour les raisons que je vous ai dites, non pour d'autres. Et en voici la preuve : si vous vouliez me vendre cette gemme, j'accepterais avec grande joie !

— Elle me fut donnée, soupira Catherine qui voyait s'amenuiser son espoir, je ne saurais la vendre...

— C'est trop naturel. Quant à ma collectionne serais heureux de vous la montrer... afin que vous puissiez comparer et vous assurer que votre bague ne l'eût pas déparée, loin de là !

Catherine retint à peine un tressaillement de joie. Elle avait gagné et ce fut avec empressement qu'elle suivit son hôte à travers le dédale des couloirs et des salles du château. Les escaliers aussi car, cette fois, au lieu de conduire la jeune femme vers le sommet de sa demeure, ce fut vers les caves que l'on se dirigea. Une porte étroite, dissimulée sous les azulejos bleus de la salle d'audience, démasqua un escalier en spirale qui s'enfonçait dans les entrailles de la terre. Un escalier qui devait servir fréquemment car il était bien éclairé par de nombreuses torches. Les marches étaient basses, larges et commodes et une épaisse corde de soie, accrochée à la muraille, permettait d'appuyer la main. Les murs, eux- mêmes, disparaissaient sous des tentures de toile brodée. Quant à la somptuosité de la salle à laquelle aboutissait cet escalier, elle était stupéfiante. A voir les précieuses tapisseries des murs, les coussins de brocart qui ouataient les quelques sièges, la table plaquée d'or supportant des coupes incrustées de gemmes et des aiguières précieuses, les tapis de soie, venus du lointain Cathay, jetés un peu partout sur le sol de marbre rouge, et les torchères dorées supportant des forêts de longs cierges blancs, on devinait que don Alonso devait faire de longs et fréquents séjours dans cette pièce, à manier le contenu de l'un ou l'autre des grands coffres de cèdre odorant, de santal, cloutés d'or ou de cuir peint et doré, mais tous pourvus de vigoureuses serrures de bronze qui devaient les rendre à peu près inexpugnables. Au fond de cette pièce, plus longue que large, Catherine aperçut un caveau, infiniment plus sévère d'aspect, où, sur un grand fourneau de brique, une haute cornue, emplie d'un liquide vert, bouillait doucement reliée par un long serpentin à une énorme bassine de cuivre dans laquelle quelque chose fumait : le laboratoire de l'alchimiste, sans doute. Mais elle ne s'attarda pas à détailler davantage le décor, son cœur manqua un battement. Ses lèvres se séchèrent, elle venait de découvrir, auprès d'une des minces colonnettes de marbre vert qui soutenaient la voûte, l'austère silhouette de Fray Ignacio. Debout devant l'un des coffres ouverts, le mystérieux moine examinait avec soin une topaze d'une grosseur et d'une couleur exceptionnelles. Il était tellement absorbé qu'il n'avait même pas tourné la tête quand don Alonso et Catherine avaient pris pied dans la chambre au trésor. Il fallut que son maître lui posât la main sur l'épaule pour qu'il se détournât. Catherine se raidit en retrouvant, éclairé en plein par les cierges d'une torchère voisine, le visage exact de son premier époux. Elle sentit la sueur perler à son front tandis que le sang refluait vers son cœur. Se sentant étouffer, elle serra nerveusement ses mains l'une contre l'autre pour tenter de maîtriser son émotion. Inconscient de la tempête qui se levait dans le cœur de son invitée, don Alonso adressait quelques mots rapides à Fray Ignacio qui approuvait de la tête. Puis il se tourna vers la jeune femme.

— Voici Fray Ignacio, dame Catherine. C'est un homme précieux en même temps qu'une âme vraiment sainte, encore que ses recherches d'alchimie sur la composition des pierres précieuses le fasse regarder par ses pairs comme une manière de sorcier. Chez moi, il a trouvé la tranquillité et le recueillement favorables à ses travaux, ainsi que les moyens de les mener à bien. En outre, je ne connais pas d'expert plus compétent que lui en matière de gemmes. Montrez-lui donc votre bague...

La jeune femme, qui s'était tenue dans l'ombre d'une colonne jusque-là, s'avança de quelques pas, apparut en pleine lumière et, hardiment, leva la tête pour regarder le moine droit au visage. Une angoisse lui tordit le cœur lorsque l'œil unique de Fray Ignacio se posa sur elle, mais elle eut assez d'empire sur elle-même pour n'en rien montrer...

Elle scrutait cette figure, sortie pour elle du néant, avec une avidité sauvage, guettant le tressaillement, la stupeur, l'inquiétude peut-être

?... Mais non ! Fray Ignacio, avec une sévère correction, inclinait la tête pour saluer la femme, vêtue d'une robe de velours violet assortie à ses yeux, relevée par une ceinture d'or sur un jupon en satin blanc.

Rien, sur son visage fermé, ne vint révéler à Catherine le moindre signe de reconnaissance.

— Eh bien ? s'impatienta don Alonso, montrez-lui l'émeraude...

Elle leva sa main menue, serrée dans la manche de satin blanc, lacée d'or, qui recouvrait partiellement le dessus des doigts, offrit la bague à la lumière, mais son regard ne quittait pas le moine. Sans émotion, celui-ci prit la main tendue pour examiner la pierre. Ses doigts, à lui, étaient secs et chauds. A leur contact Catherine se mit à trembler. Fray Ignacio la regarda d'un air interrogateur, mais se remit aussitôt à son examen qui dut être favorable car il hocha la tête avec une admiration qui porta à son comble l'exaspération nerveuse de Catherine. Cet homme était-il muet ? Elle voulait entendre sa voix.

— On dirait que cette émeraude, dont vous craigniez l'imperfection, convient tout à fait à Fray Ignacio ! fit l'archevêque en souriant.

— Ne peut-il rien dire ? demanda la jeune femme. Ou bien ce saint moine est-il muet ?

— Nullement ! Mais il ne parle pas votre langue.

En effet, à la question que lui posa son maître, Fray Ignacio répondit d'une voix lente et grave... une voix qui pouvait aussi bien être celle de Garin, déformée par la langue étrangère ou par une volonté déterminée, ou bien la voix d'un autre.

— Je vais vous montrer mes émeraudes ! s'empressa l'archevêque.

Elles viennent presque toutes du Djebel Sikdit et sont d'une grande beauté...

Tandis qu'il s'éloignait pour ouvrir un coffre posé vers le centre de la pièce, Catherine, demeurée seule en face de Fray Ignacio, ne retint pas plus longtemps la question qui lui brûlait les lèvres.

— Garin, chuchota-t-elle, est-ce bien vous ? Répondez-moi, par grâce ! Car vous me reconnaissez, n'est-ce pas ?

Le moine tourna vers elle un regard surpris. Un vague et triste sourire détendit légèrement sa bouche serrée. Lentement, il hocha la tête...

No comprendo... ! murmura-t-il en revenant aussitôt à sa topaze. Catherine s'approcha encore, comme si elle voulait elle aussi contempler de plus près l'énorme pierre. Le velours de sa robe toucha la bure du moine. Une espèce de colère montait en elle. La ressemblance, même de tout près, était criante. Elle aurait pu jurer que cet homme était Garin... et pourtant... il avait une lenteur de gestes, une sorte de raucité dans la voix aussi, qui la déroutaient.

— Regardez-moi ! implora-t-elle. Ne faites pas comme si vous ne me reconnaissiez pas ! Je n'ai pas changé à ce point. Vous savez bien que je suis Catherine !

Mais, de nouveau, l'énigmatique moine hochait la tête, se reculait un peu. Derrière elle, Catherine entendit la belle voix grave de don Alonso l'appelant pour admirer les pierres qu'il venait de sortir. Elle eut une brève hésitation, jeta un coup d'œil rapide à Fray Ignacio.

Calmement, ses mains, dont aucun tremblement ne compromettait la sûreté de gestes, couchaient la grosse topaze sur le velours d'un petit coffre qui en contenait d'autres. Il semblait avoir déjà oublié la jeune femme.

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