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— Cela ne prouve pas que nous soyons coupables ! Conques est une cité sainte, mais ce n'est malgré tout qu'une cité, peuplée d'hommes parmi lesquels le mal peut fort bien se glisser.

— Nous connaissons nos propres brebis galeuses et le Très Révérend Abbé s'en occupe depuis ce matin. Mon frère... il serait tellement plus simple de faire la preuve qu'aucun de vous ne détient les pierres volées !

— Que voulez-vous dire ?

— Que nous sommes trois seulement, mais que, si vous vouliez bien vous laisser fouiller, nous ne vous retiendrons pas longtemps.

— Sous cette pluie ? répliqua Gerbert dédaigneux. Et vous chargerez-vous de fouiller les femmes ?

— Deux de nos sœurs nous suivent de près. D'ailleurs les voici, fit le moine qui, décidément, avait réponse à tout. Et il y a, tout de suite après ce tournant, un petit oratoire où il sera possible de nous établir.

Je vous en prie, mon frère. Il y va de la gloire de sainte Foy et de l'honneur de Dieu !

En se haussant sur la pointe des pieds, Catherine vit, en effet, deux nonnes qui arrivaient par le chemin, aussi essoufflées que leurs compagnons et aussi trempées que tous les autres. Gerbert ne répondit pas tout de suite : il réfléchissait et la jeune femme, si l'indignation bouillait en elle en songeant que l'on avait dépouillé une sainte, partageait les sentiments du chef. Cette fouille devait lui répugner profondément. Comme devait l'irriter, autant que Catherine elle-

même, cette nouvelle perte de temps... Au bout d'un instant, il jeta autour de lui un coup d'œil circulaire.

— Qu'en pensez-vous, mes frères ? Acceptez-vous de vous prêter à cette... désagréable formalité ?

— Le pèlerinage nous impose l'humilité, fit Colin avec componction. Cette humiliation nous sera bonne et Monseigneur saint Jacques la mettra au nombre de nos mérites.

— C'est entendu ! coupa Catherine qui bouillait d'impatience.

Mais alors faisons vite. Nous n'avons que trop perdu de temps !

La troupe se dirigea vers le petit oratoire de pierre, élevé au bord du chemin un peu plus loin, juste à l'épaulement du coteau. De là, tout le site de Conques était largement visible, mais nul ne songeait à l'admirer. Il allait falloir attendre sous cette pluie.

— Les voyages en groupes nombreux sont vraiment une chose charmante, ironisa Ermengarde qui venait de rejoindre Catherine. Ces braves moines ferment la garde et nous surveillent comme si nous étions un troupeau de moutons galeux. Et s'ils croient que je vais me laisser fouiller...

— Il le faudra bien, ma chère amie ! Sinon, les soupçons se porteraient sur vous et, de l'humeur dont se trouvent nos compagnons, ils risqueraient de vous faire un mauvais parti ! Oh !... que vous êtes donc maladroit, mon frère !

La dernière partie de la phrase s'adressait à Josse qui, butant contre une pierre, venait de la bousculer si brutalement que tous deux s'étaient retrouvés à genoux sur le talus.

— Je suis désolé, fit le Parisien, la mine contrite, mais ce damné chemin est plus troué que la robe d'un moine mendiant. Vous ai-je fait mal ?

Plein de sollicitude, il l'aidait à se relever, chassait de la main les marques de boue sur la robe et la cape de la jeune femme. Il avait l'air si malheureux qu'elle ne se sentit pas le cœur de lui en vouloir.

— Ce n'est rien ! dit-elle en lui souriant gentiment. Nous en verrons d'autres !

Puis, avec Ermengarde, elle alla s'asseoir sur un rocher sous l'auvent de la petite chapelle dans laquelle les nonnes venaient d'entrer. On avait décidé que les femmes passeraient en premier pour que les saintes filles pussent rentrer le plus vite possible à leur couvent. Mais quelques hommes de bonne volonté, Gerbert en tête, se soumettaient dehors au désagréable examen. Heureusement, la pluie fit trêve un instant.

— Ce pays est beau ! fit Catherine en désignant le cirque gris, vert et bleu étendu à leurs pieds.

— Le pays est beau, riposta Ermengarde moqueuse, mais j'aimerais mieux qu'il soit déjà loin derrière nous. Ah ! voici mes suivantes qui sortent, allons-y maintenant ! Aidez-moi !

Etayées l'une sur l'autre, les deux amies pénétrèrent dans l'oratoire.

Il y faisait froid, humide, une écœurante odeur de moisi y régnait et la vieille dame, malgré ses vêtements chauds, ne put s'empêcher de frissonner.

— Faites vite, vous deux ! lança-t-elle rudement aux religieuses. Et n'ayez pas peur, je n'ai encore jamais dévoré personne, ajouta-t-elle goguenarde devant leur mine effarée.

Elles étaient jeunes toutes deux, visiblement impressionnées par cette grande et forte femme qui parlait avec tant d'assurance, mais ne s'en livrèrent pas moins à une fouille minutieuse qu'Ermengarde subit en piaffant d'impatience. Après quoi, la plus âgée des deux se tourna vers Catherine qui attendait son tour.

— A vous, ma sœur ! lança-t-elle en s'approchant d'elle. Et d'abord, donnez-moi cette aumônière qui pend à votre ceinture.

Sans un mot, Catherine détacha la grande poche de cuir solide dans laquelle elle gardait son chapelet, un peu d'or, la dague à l'épervier qui ne la quittait jamais et l'émeraude gravée de la reine Yolande. La simplicité voulue de son accoutrement d'errante ne lui permettait pas, en effet, de porter à son doigt un bijou de cette valeur et, d'autre part, elle ne voulait pas s'en séparer. D'autant moins qu'elle se dirigeait vers ces pays espagnols d'où était originaire la souveraine et où ses armes pouvaient être un secours, ainsi que Yolande elle-même le lui avait dit.

La nonne vida l'aumônière sur l'étroit autel de pierre et, voyant la dague, jeta sur Catherine un regard oblique.

— Un étrange objet pour une femme qui ne doit avoir autre défense que sa prière.

— Cette dague est celle de mon époux ! répliqua la jeune femme sèchement. Je ne m'en sépare jamais et j'ai appris à me défendre contre les brigands !

— Qui seraient fort intéressés par ceci, sans doute ! lit la sœur en désignant la bague.

Une bouffée de colère monta aux joues de Catherine. Le ton et les manières de cette femme lui déplaisaient. Elle ne résista pas au désir de lui clouer le bec.

— La reine Yolande, duchesse d'Anjou et mère de notre reine me l'a donnée elle-même. Y voyez-vous un inconvénient ? Je suis...

— Une grande dame, sans doute ? coupa l'autre avec un sourire sarcastique. Cela se devine sans peine quand on voit ces choses.

Qu'avez-vous à dire... noble dame ?

Sous les yeux ahuris de Catherine, elle venait de déplier un petit linge que la jeune femme n'avait pas encore remarqué. Et, sur sa blancheur douteuse, étincelaient, splendides, d'un magnifique rouge sombre, les cinq rubis de sainte Foy...

— Qu'est-ce que cela ? s'écria Catherine. Je ne les ai jamais vus.

Ermengarde !

— C'est de la sorcellerie ! s'écria la grosse dame. Comment ces pierres sont-elles venues ici ? Il faut...

— Sorcellerie ou pas, nous les tenons ! s'écria la sœur. Et vous allez répondre de ce vol.

D'une main, elle empoignait Catherine par le bras et la tirait dehors en criant :

Mes frères ! Arrêtez ! Nous avons les rubis ! Et voici la voleuse ! D'un geste brutal, Catherine, rouge de colère et de honte devant toutes ces paires d'yeux soudain tournés vers elle, arracha son bras à la main sèche de la nonne.

— Ce n'est pas vrai ! Je n'ai rien pris !... Ces pierres se sont trouvées, je ne sais comment, dans mon aumônière..."On a dû les y mettre.

Un grondement de colère poussé par les pèlerins lui coupa la parole. Elle comprit, avec terreur, qu'ils ne la croyaient pas. Exaspérés par la pluie, par le retard, par l'accusation qui pesait sur eux, tous ces braves gens étaient prêts à se changer en autant de loups. La panique s'enfla dans le cœur de Catherine. Elle était là, au milieu de ce cercle menaçant refermé autour d'elle, avec cette femme haineuse qui glapissait à ses côtés qu'il fallait la ramener à Conques, la livrer à la justice de l'Abbé, la pendre...

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