– Oh! la crapule! a-t-il du vice! murmura Mme Champagne qui aperçut, épouvantée, des enfilades de cachots sombres, les rats, le pain noir et la cruche de Latude, tout un lamentable décor de mélodrame.
Satisfait de son petit coup de théâtre, Me Le Ponsart descendit dans la cour où l'on chargeait les derniers meubles; puis, lorsque tout fut bien en ordre, il invita le concierge à le suivre et remonta les quatre étages.
– Ah, ah! nous nous décidons enfin, dit-il, voyant Mme Champagne qui trempait une plume dans un encrier et la tendait à Sophie.
Et tandis que les mains tremblantes des deux femmes s'unissaient pour dessiner un vague paraphe, au bas du papier, Me Le Ponsart fit signe au concierge de ficeler les frusques éparses de la femme, et lui-même prit et serra ce récépissé dans lequel Sophie déclarait avoir servi comme bonne chez M. Jules Lambois, affirmait avoir reçu le montant intégral de ses gages, attestait ne plus avoir droit à aucune somme.
– Après cela, tu auras de la peine à nous faire chanter, se dit-il, et il déposa sur la cheminée la somme dont il tenait, depuis la veille, la monnaie prête.
– Et maintenant, Mesdames, je suis à vos ordres. Et vous, si vous voulez ranger ces paquets dans la cour,… reprit-il, s'adressant au concierge.
– Non, Monsieur, non, ça ne vous portera pas bonheur, gémit, en secouant la tête, Mme Champagne qui soutint Sophie par le bras et l'emmena, toute défaillante. Tu as bien tout ce qui t'appartient? et elle souleva le couvercle d'un panier que la jeune fille avait, elle-même, empli.
L'autre approuva de la tête et, lentement, elles descendirent.
– Ouf! Quel tintouin! s'exclama Me Le Ponsart demeuré seul maître de la place. Il alluma un cigare qu'il s'était refusé, par galanterie, de fumer, pour ne pas incommoder ces dames et il jeta un coup d'œil sur les murs nus; puis, par habitude de propreté, il poussa du bout de sa bottine, dans l'âtre, des rognures de chiffons et de papiers qui traînaient sur le plancher; un billet, plié en quatre, attira cependant son attention; il le ramassa, et le parcourut; c'était une ordonnance de pharmacie: De l'eau distillée de laurier cerise et de la teinture de noix vomique. Il chercha, pendant une seconde, se rappela vaguement, en sa qualité d'homme marié et de père de famille, que cette potion aidait à combattre les vomissements de la grossesse.
Diable! se dit-il, mais cette fille peut avoir besoin de cette ordonnance!-Il ouvrit la fenêtre qui donnait sur la cour, attendit que les deux femmes, descendues de l'escalier, parussent, toussa fortement et lorsqu'elles levèrent le nez, il jeta ce petit papier qui voleta et s'abattit à leurs pieds.
– Je ne veux rien avoir à me reprocher, conclut-il, en tirant sur son cigare. Il inspecta le local, une dernière fois, s'assura qu'il était décidément vide, ferma soigneusement la porte et partit, à son tour, restituant la clef au concierge.
VI
Huit jours après le retour de Me Le Ponsart à Beauchamp, M. Lambois se promenait dans son salon, en consultant d'un air inquiet la pendule.
Enfin! dit-il, entendant un coup de sonnette, et il se précipita dans le vestibule où, plus placide que jamais, le notaire accrochait son paletot à une tête de cerf.
– Ah ça, voyons, qu'est-ce qu'il y a? dit-il, en suivant M. Lambois dans le salon où une table de whist était prête.
– Il y a que j'ai reçu une lettre de Paris, relative à cette fille!
– Ce n'est que cela, fit Me Le Ponsart dont la bouche se plissa, dédaigneuse; je croyais qu'il s'agissait de faits plus graves.
Cette assurance allégea visiblement M. Lambois.
– Lisons cette lettre avant que ces messieurs n'arrivent, reprit le notaire, en regardant de côté les quatre chaises symétriquement rangées devant la table.
Il chaussa ses lunettes, s'assit près d'un flambeau de jeu et il tenta de déchiffrer un griffonnage écrit avec une encre aquatique, très claire, sur un papier très glacé, qui buvait par places.
Monsieur,
«J'ose prendre la liberté d'écrire à votre bon cœur, en vous suppliant de vouloir bien prendre part à ma situation. Depuis que Monsieur Ponsart est venu et a emporté les meubles, Sophie qui n'avait plus un endroit pour reposer sa tête a été recueillie chez moi, comme l'enfant de la maison; et elle en était digne, Monsieur, par son bon cœur, bien que Monsieur Ponsart ne lui ait pas rendu la justice qu'elle croyait, mais tout le monde ne peut pas être louis d'or et plaire à tout le monde…
– Quel style! s'exclama le notaire. Mais sautons cet inutile verbiage et arrivons au fait! Ah! nous y voilà!
«Sophie a eu une fausse couche bien malheureuse; elle était dans l'arrière-boutique où que je prépare mes petites affaires pour que la boutique où l'on entre soit toujours propre, quand elle a été prise de douleurs; Mme Dauriatte…
– Qui est-ce, Mme Dauriatte? demanda M. Lambois.
Le notaire fit signe qu'il ignorait jusqu'au nom de cette dame et poursuivit:
«Madame Dauriatte n'a pas cru d'abord qu'il y allait avoir une fausse couche; elle pensait que le coup d'avoir été chassée par Monsieur Ponsart lui avait tourné les sangs et elle est allée chez l'herboriste chercher du sureau pour l'échauder et faire respirer à Sophie la fumée, qui enlèverait l'eau qu'elle devait avoir dans la tête. Mais les douleurs étaient dans le ventre et elle souffrait tant qu'elle criait à étrangler; alors, j'ai été prise de peur et j'ai couru à la rue des Canettes chez une sage-femme que j'ai ramenée et qui a dit que c'était une fausse couche. Elle a demandé si elle avait tombé ou si elle avait bu de l'absinthe ou de l'ormoise; je lui ai dit que non, mais qu'elle avait eu une grosse peine…
– Au fait! passons ce fatras, dit M. Lambois impatienté; nous n'en sortirons pas avant l'arrivée des amis et il est inutile de les mettre au courant de cette sotte affaire.
Me Le Ponsart sauta toute une page et reprit:
«… Elle est morte, comme cela, et l'enfant ne vaut pas mieux; alors, comme j'avais mis ma croix de cou et mes boucles d'oreilles en gage, j'ai payé la pharmacie et la sage-femme, mais je n'ai plus d'argent et Mme Dauriatte non plus, car elle n'en a jamais.
«Aussi, je vous supplie à deux genoux, mon bon Monsieur, de ne pas m'abandonner, je vous prie qu'elle ne soit pas dans la fosse commune comme un pauvre chien. Monsieur Jules qui l'aimait tant pleurerait à la savoir si malheureuse; je vous prie, envoyez-moi l'argent pour l'enterrer.
«En comptant sur votre générosité… Bon et et cætera, dit le notaire-et c'est signé: Veuve Champagne.»
M. Lambois et Me Le Ponsart se regardèrent; puis, sans dire mot, le notaire haussa les épaules, s'approcha de la cheminée, activa les flammes, plaça la lettre de Mme Champagne au bout des pincettes et, tranquillement, la regarda brûler.
– Classée, comme n'étant susceptible d'aucune suite, dit-il, en se redressant et en remettant les pincettes en place.
– C'est trois sous de timbre qu'elle a bien inutilement dépensés, remarqua M. Lambois que la placidité de son beau-père achevait de rassurer.
– Enfin, reprit Me Le Ponsart, cette mort clôt le débat. Et d'un ton indulgent, il ajouta:
– En bonne conscience, nous ne pouvons plus lui en vouloir à la pauvre fille, malgré tout le tintouin qu'elle nous a donné.
– Non, certes, aucun de nous ne voudrait la mort du pécheur. Et, après un temps de silence, M. Lambois insinua: Cependant il faut avouer que notre bienveillance, pour son souvenir, est peut-être entachée d'égoïsme, car enfin, si nous, nous n'avons plus rien à craindre de cette fille, qui sait si, au cas où elle eût vécu, elle n'aurait pas de nouveau jeté le grappin sur un fils de famille ou semé la zizanie dans un ménage.