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Afin d'accélérer la vendange de sa bourse, la femme se campa sur ses genoux.

– Je suis lourde, hein?

Bien que ses jambes pliassent, il affirma poliment le contraire, s'efforçant de se persuader, du reste, pour s'égayer, que cette pesanteur ne pouvait être attribuée qu'aux solides et copieuses charnures qu'il épiait, mais plus que cette perspective de pouvoir les brasser, tout à l'heure, à l'aise, le calcul de ses déboursés, la constatation raisonnée de sa sottise et l'inexplicable impossibilité de s'y soustraire, le dominaient et finissaient par le glacer.

Avec cela, la femme devenait insatiable; sous la problématique assurance d'idéales caresses, elle insistait de nouveau pour qu'il ajoutât un louis à ceux qu'il avait déjà cédés. La niaiserie même de ses propos, de ses noms d'amitié de «mon gros loulou,» de «mon chéri,» de «mon petit homme,» achevait de consterner le vieillard engourdi, dont la lucidité doutait de la véracité de cette promesse qui accompagnait les réquisitions: «Voyons, laisse-toi faire, je serai bien gentille, tu verras que tu seras content.»

De guerre lasse, convaincu que les imminents plaisirs qu'elle annonçait seraient des plus médiocres, il souhaitait ardemment qu'ils fussent consommés pour prendre la fuite.

Ce désir acheva de vaincre sa résistance et il se laissa complètement dépouiller.

Alors, elle l'invita à enlever son pardessus, à se mettre à l'aise. Elle-même se déshabillait, enlevant ceux de ses vêtements qu'elle eût pu froisser. Il s'approcha, mais hélas! cet embonpoint qui l'avait un peu désaffligé était à la fois factice et blet!-Elle aggrava cette dernière désillusion par tout ce qu'une femme peut apporter de mauvaise grâce au lit, prétendant se desintéresser de ses préférences, lui repoussant la tête, grognant: Non, laisse, tu me fatigues; puis, alors qu'il s'agissait de lui, répondant avec une moue méprisante et sèche: «Qu'il s'était trompé s'il l'avait prise pour une femme à ça.»

Il poussa un soupir d'allégement en gagnant la porte. Ah! pour avoir été volé, il avait été bien volé!-Et le sang lui empourprait la face, alors qu'il se rappelait les détails grincheux de cette scène.

Puis, cet argent si malencontreusement extorqué l'étouffait. Il arrivait à se représenter les choses utiles qu'il aurait pu se procurer avec la même somme.

Il méditait cette réflexion stérile des gens grugés: qu'on se prive d'acheter un objet plaisant ou commode par économie, alors qu'on n'hésite pas à dépenser le prix qu'eût coûté cet objet, dans un intérêt infructueux et bête.

– Ah! toi…, je te conseille de filer doux, conclut-il, songeant à la maîtresse de son petit-fils, confondant dans une même réprobation les deux femmes.

Il sourit pourtant, car il était certain de juguler Sophie Mouveau, d'exercer impunément des représailles, de se venger sur elle des déboires infligés par la cupidité de son sexe. Le propriétaire, enchanté de rentrer en possession immédiate de son logement, s'était,-après avoir, du reste, en sa qualité de père de famille, exprimé quelques idées sans imprévu sur les dangers du libertinage et de la profonde corruption du siècle,-montré tout disposé à seconder le notaire dans ses entreprises, et le concierge s'était respectueusement incliné, alors que Me Le Ponsart lui avait exhibé l'ordre de laisser déménager les meubles, d'aider au besoin à l'expulsion de la femme et de garder la clef; deux pièces de cent sous, glissées dans la main, avaient même amolli sa mine et détendu la rigidité luthérienne de son port. Trente-trois francs soixante-quinze et dix francs font quarante-trois francs soixante-quinze, pensait le notaire; c'est bien le chiffre que j'ai annoncé à mon vieux Lambois, une cinquantaine de francs au plus.

Toutes ses précautions étaient prises: les déménageurs devaient se trouver à midi précis devant la porte, descendre le mobilier, l'expédier par chemin de fer, dans la voiture même, posée, sans roues, à plat sur un camion de marchandises, jusqu'à Beauchamp.

Une seule question demeurait encore pendante: Sophie paraissait à Me Le Ponsart singulièrement retorse. Ce silence où elle se confinait le plus possible, ce système ininterrompu de pleurs interloquaient le notaire qui attribuait à la finesse le profond désarroi et la sottise accablée de cette fille. Il était absolument persuadé que cette larmoyante stupeur cachait une embuscade et la crainte qu'elle ne vînt scandaliser Beauchamp par sa présence ne le quittait plus. Après mûre délibération, il s'était déterminé à recourir aux bons offices de son ancien ami, le commissaire de police, s'était abouché, grâce à lui, avec son collègue du VIe arrondissement, et avait obtenu qu'on menaçât tout au moins la femme des rigueurs de la justice, si elle ne consentait pas à rester tranquille.

– Allons, il est temps d'achever la petite partie commencée et d'emballer rondement la donzelle, se dit Me Le Ponsart, en consultant sa montre. Et il s'achemina vers la rue du Four, se consolant de ses ennuis, par la pensée qu'il prendrait le train, le soir, et rentrerait enfin dans ses pantoufles.

Le concierge baisa presque ses propres pieds, tant il se courba, dès qu'il l'aperçut. Me Le Ponsart monta, s'arrêta dans le couloir, et, naturellement, sans y songer, il substitua au coup poli, discret, dont il avait, la veille, toqué la porte, un coup impérieux et bref.

Il demeura surpris quand il eut pénétré, à la suite de Sophie, dans la chambre, de rencontrer une grosse dame.

Cette dame se souleva, esquissa une révérence et se rassit. Qu'est-ce que c'est que cela? se dit-il, en regardant cette bedonnante personne, serrée à voler en éclats dans une robe d'un outremer atroce, sur le corsage de laquelle tombaient les trois étages d'un menton en beurre.

En voyant les perles de corail rose qui coulaient des lobes cramoisis des oreilles et une croix de Jeannette qui pantelait sous le va-et-vient d'une océanique gorge, il pensa que cette vieille dame était une harengère, vêtue de ses habits de fête.

Très méprisant, il détourna les yeux et les reporta sur la jeune fille: alors il fronça le sourcil. Elle était, elle aussi, en grande toilette, parée de tous les bijoux que Jules lui avait donnés, et, ainsi pomponnée, les seins bien lignés par le corsage, les hanches bien suivies par la jupe de cachemire, elle était charmante. Malheureusement pour elle, cette beauté et ce costume qui eussent sans doute attendri le vieillard, la veille, l'irritèrent par le souvenir qu'ils évoquaient d'une soirée maudite. La malechance s'en mêlait; la tenue débraillée de Sophie qui l'avait répugné, lors de sa première visite, était la seule qui eût pu l'adoucir aujourd'hui.

De même que, pour la première fois, ses cheveux emmêlés sur le front l'avaient induit à être brutal, de même aussi sa chevelure soigneusement peignée l'incitait à être cruel.

D'un ton dur, il lui demanda si elle était décidée à signer le reçu.

– Mon Dieu! Monsieur, dit la grosse dame qui intervint, permettez-moi de faire appel à votre bon cœur; comme vous voyez, la pauvre enfant est toute ébaubie de ce qui lui arrive… elle ne sait pas…, moi, je l'ai assurée que vous ne la laisseriez pas, comme ça, dans la peine. Sophie, que je lui ai dit, Monsieur Ponsart est une homme qui a reçu de l'éducation; avec ces gens-là qui ont de la justice, tu n'as rien à craindre. Hein? dis, c'est-il vrai que je t'ai dit cela?

– Pardon, Madame, fit le notaire, mais je serais heureux de savoir à qui j'ai l'honneur de parler.

La grosse dame se leva et s'inclina.

– Je suis madame Champagne, c'est moi qui tiens la maison de papeterie au numéro 4. M. Champagne, mon mari…

Me Le Ponsart lui coupa la parole d'un geste et du ton le plus sec:

– Vous êtes sans doute parente de Mademoiselle?

– Non, monsieur, mais c'est tout comme; je suis, comme qui dirait, sa mère.

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