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Des Esseintes avait eu la curiosité de lire parmi ces oeuvres, celles de madame Swetchine, cette générale russe, dont la maison fut, à Paris, recherchée par les plus fervents des catholiques; elles avaient dégagé pour lui un inaltérable et un accablant ennui; elles étaient plus que mauvaises, elles étaient quelconques; cela donnait l'idée d'un écho retenu dans une petite chapelle où tout un monde gourmé et confit, marmottait ses prières, se demandait, à voix basse, de ses nouvelles, se répétait, d'un air mystérieux et profond, quelques lieux communs sur la politique, sur les prévisions du baromètre, sur l'état actuel de l'atmosphère.

Mais il y avait pis: une lauréate brevetée de l'Institut, madame Augustus Craven, l'auteur du Récit d'une soeur, d'une Éliane, d'un Fleurange, soutenus à grand renfort de serpent et d'orgue, par la presse apostolique tout entière. Jamais, non, jamais des Esseintes n'avait imaginé qu'on pût écrire de pareilles insignifiances. Ces livres étaient, au point de vue de la conception, d'une telle nigauderie et ils étaient écrits dans une langue si nauséeuse, qu'ils en devenaient presque personnels, presque rares.

Du reste, ce n'était point parmi les femmes que des Esseintes, qui avait l'âme peu fraîche et qui était peu sentimental de sa nature, pouvait rencontrer un retrait littéraire adapté suivant ses goûts.

Il s'ingénia pourtant et, avec une attention qu'aucune impatience ne put réduire, à savourer l'oeuvre de la fille de génie, de la Vierge aux bas bleus du groupe; ses efforts échouèrent; il ne mordit point à ce Journal et à ces Lettres où Eugénie de Guérin célèbre sans discrétion le prodigieux talent d'un frère qui rimait, avec une telle ingénuité, avec une telle grâce, qu'il fallait, à coup sûr, remonter aux oeuvres de M. de Jouy et de M. Écouchard Lebrun, afin d'en trouver et d'aussi hardies et d'aussi neuves!

Il avait inutilement aussi tenté de comprendre les délices de ces ouvrages où l'on découvre des récits tels que ceux-ci: «J'ai suspendu, ce matin, à côté du lit de papa, une croix qu'une petite fille lui donna hier.» – «Nous sommes invitées, Mimi et moi, à assister, demain, chez M. Roquiers, à la bénédiction d'une cloche; cette course ne me déplaît pas»; – où l'on relève des événements de cette importance: «Je viens de suspendre à mon cou une médaille de la sainte Vierge que Louise m'a envoyée, pour préservatif du choléra»; – de la poésie de ce genre: «O le beau rayon de lune qui vient de tomber sur l'Évangile que je lisais!» – enfin, des observations aussi pénétrantes et aussi fines que celle-ci «Quand je vois passer devant une croix un homme qui se signe ou ôte son chapeau, je me dis: Voilà un chrétien qui passe.»

Et cela continuait de la sorte, sans arrêt, sans trêve, jusqu'à ce que Maurice de Guérin mourût et que sa soeur le pleurât en de nouvelles pages, écrites dans une prose aqueuse que parsemaient, çà et là, des bouts de poèmes dont l'humiliante indigence finissait par apitoyer des Esseintes.

Ah! ce n'était pas pour dire, mais le parti catholique était bien peu difficile dans le choix de ses protégées et bien peu artiste! Ces lymphes qu'il avait tant choyées et pour lesquelles il avait épuisé l'obéissance de ses feuilles, écrivaient toutes comme des pensionnaires de couvent, dans une langue blanche, dans un de ces flux de la phrase qu'aucun astringent n'arrête!

Aussi des Esseintes se détournait-il de cette littérature, avec horreur; mais, ce n'étaient pas non plus les maîtres modernes du sacerdoce, qui lui offraient des compensations suffisantes pour remédier à ses déboires. Ceux-là étaient des prédicateurs ou des polémistes impeccables et corrects, mais la langue chrétienne avait fini, dans leurs discours et dans leurs livres, par devenir impersonnelle, par se figer dans une rhétorique aux mouvements et aux repos prévus, dans une série de périodes construites d'après un modèle unique. Et en effet, tous les ecclésiastiques écrivaient de même, avec un peu plus ou un peu moins d'abandon ou d'emphase, et la différence était presque nulle entre les grisailles tracées par NN. SS. Dupanloup ou Landriot, La Bouillerie ou Gaume, par Dom Guéranger ou le père Ratisbonne, par Monseigneur Freppel ou Monseigneur Perraud, par les RR. PP. Ravignan ou Gratry, par le jésuite Olivain, le carme Dosithée, le dominicain Didon ou par l'ancien prieur de Saint-Maximin, le Révérend Chocarne.

Souvent des Esseintes y avait songé: il fallait un talent bien authentique, une originalité bien profonde, une conviction bien ancrée, pour dégeler cette langue si froide, pour animer ce style public que ne pouvait soutenir aucune pensée qui fût imprévue, aucune thèse qui fût brave.

Cependant quelques écrivains existaient dont l'ardente éloquence fondait et tordait cette langue, Lacordaire surtout, l'un des seuls écrivains qu'ait, depuis des années, produits l'Église.

Enfermé, de même que tous ses confrères, dans le cercle étroit des spéculations orthodoxes, obligé, ainsi qu'eux, de piétiner sur place et de ne toucher qu'aux idées émises et consacrées par les Pères de l'Église et développées par les maîtres de la chaire, il parvenait à donner le change, à les rajeunir, presque à les modifier, par une forme plus personnelle et plus vive. Çà et là, dans ses Conférences de Notre-Dame, des trouvailles d'expressions, des audaces de mots, des accents d'amour, des bondissements, des cris d'allégresse, des effusions éperdues qui faisaient fumer le style séculaire sous sa plume. Puis, en sus de l'orateur de talent, qu'était cet habile et doux moine dont les adresses et dont les efforts s'étaient épuisés dans l'impossible tâche de concilier les doctrines libérales d'une société avec les dogmes autoritaires de l'Église, il y avait en lui un tempérament de fervente dilection, de diplomatique tendresse. Alors, dans les lettres qu'il écrivait à des jeunes gens, passaient des caresses de père exhortant ses fils, de souriantes réprimandes, de bienveillants conseils, d'indulgents pardons. D'aucunes étaient charmantes, où il avouait toute sa gourmandise d'affection, et d'autres étaient presque imposantes lorsqu'il soutenait le courage et dissipait les doutes, par les inébranlables certitudes de sa Foi. En somme, ce sentiment de paternité qui prenait sous sa plume quelque chose de délicat et de féminin imprimait à sa prose un accent unique parmi toute la littérature cléricale.

Après lui, bien rares se faisaient les ecclésiastiques et les moines qui eussent une individualité quelconque. Tout au plus, quelques pages de son élève l'abbé Peyreyve, pouvaient-elles supporter une lecture. Il avait laissé de touchantes biographies de son maître, écrit quelques aimables lettres, composé des articles, dans la langue sonore des discours, prononcé des panégyriques où le ton déclamatoire dominait trop. Certes, l'abbé Peyreyve n'avait ni les émotions, ni les flammes de Lacordaire. Il était trop prêtre et trop peu homme; çà et là pourtant dans sa rhétorique de sermon éclataient des rapprochements curieux, des phrases larges et solides, des élévations presque augustes.

Mais, il fallait arriver aux écrivains qui n'avaient point subi l'ordination, aux écrivains séculiers, attachés aux intérêts du catholicisme et dévoués à sa cause, pour retrouver des prosateurs qui valussent qu'on s'arrêtât.

Le style épiscopal, si banalement manié par les prélats, s'était retrempé et avait, en quelque sorte, reconquis une mâle vigueur avec le comte de Falloux. Sous son apparence modérée, cet académicien exsudait du fiel; ses discours prononcés, en 1848, au Parlement, étaient diffus et ternes, mais ses articles insérés dans le Correspondant et réunis depuis en livres, étaient mordants et âpres, sous la politesse exagérée de leur forme. Conçus comme des harangues, ils contenaient une certaine verve amère et surprenaient par l'intolérance de leur conviction.

Polémiste dangereux à cause de ses embuscades, logicien retors, marchant de côté, frappant à l'improviste, le comte de Falloux avait aussi écrit de pénétrantes pages sur la mort de madame Swetchine, dont il avait recueilli les opuscules et qu'il révérait à l'égal d'une sainte.

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