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Les trois hommes devant être de retour pour le déjeuner, il ne me restait plus qu'une paire d'heures à attendre. Ce qui équivalait à attendre la mort, car je ne voyais aucun moyen de me dépêtrer de là. J'enviai la force d'âme de Scudder, car j'avoue sans ambages que je ne me sentais pas grande fermeté. La seule chose qui me soutînt était la fureur. Je bouillais de rage à songer de quelle façon ces espions avaient mis le grappin sur moi. Je souhaitai pouvoir au moins tordre le cou à l'un d'eux avant de succomber.

Plus j'y songeais plus ma colère augmentait; à la fin je n'y tins plus et je me levai pour faire le tour de la chambre. J'essayai les volets, mais ils avaient un système de fermeture à clef, et je ne parvins pas à les ébranler. Du dehors m'arrivait un caquètement assourdi de poules au grand soleil. Puis je fourrageai parmi les sacs et les caisses. Je ne pus ouvrir ces dernières, et les sacs semblaient remplis d'espèces de biscuits de chien qui fleuraient la cannelle. Mais dans mon périple autour de la pièce, je trouvai dans un renfoncement du mur une poignée qui me parut mériter un plus ample examen.

C'était la porte d'un placard – ce qu'on nomme «resserre» en Écosse – et elle était fermée à clef. Je la secouai, et elle me parut peu résistante. À défaut de meilleure occupation, je déployai ma vigueur contre cette porte, en obtenant plus de prise sur la poignée grâce à mes bretelles dont je l'entortillai. Elle céda enfin avec un craquement qui devait, pensais-je, attirer mes gardiens. Après une courte attente, je me mis à explorer les rayons du placard.

Il contenait une foule d'objets bizarres. Je retrouvai dans mes poches de pantalon une ou deux allumettes-bougies, et en craquai une. Elle s'éteignit presque tout de suite, mais à sa lueur j'eus le temps d'apercevoir dans un coin un petit tas de lampes électriques de poche. J'en cueillis une: elle fonctionnait.

Muni de cette lampe, je continuai mes investigations. Il y avait des flacons et des caisses de substances aux odeurs suspectes, évidemment des produits chimiques destinés à des expériences, et aussi des rouleaux de fil de cuivre fin et des coupons innombrables d'une mince soie imperméabilisée. Il y avait une boîte de détonateurs et une provision de cordeau Bickford. Puis, tout au fond d'un rayon, je trouvai un emballage de fort carton brun, et à l'intérieur une caissette de bois. Je réussis à en arracher le couvercle; elle contenait une demi-douzaine de petits blocs grisâtres, de deux pouces de côté chacun.

J'en pris un, et constatai qu'il s'effritait sans peine entre mes doigts. Puis je le flairai et y portai la langue. Après quoi je m'assis pour réfléchir. Je n'avais pas été ingénieur des mines pour rien, et au premier coup d'œil, je reconnus de la cheddite.

Avec un de ces blocs, je pouvais faire sauter la maison en mille morceaux. J'avais vu agir le produit en Rhodésie, et je savais sa puissance. Mais, par malheur, mon savoir n'était pas précis. J'ignorais la charge exacte et la vraie manière de l'amorcer; je n'avais même qu'une vague idée de sa force, car je ne l'avais pas manipulé de mes propres mains.

Toutefois c'était une chance, la seule possible. Le risque était grand, mais d'autre part il y avait la certitude absolue de ma perte. Si je m'en servais, les chances étaient, à mon estimation, de cinq contre une pour me faire sauter jusqu'au plus haut des arbres; mais si je ne m'en servais pas, selon toute probabilité j'occuperais avant le soir une fosse de six pieds dans le jardin. Telle fut la manière dont j'envisageai la situation. La perspective était plutôt sombre des deux parts, mais en tout cas il restait une chance, aussi bien pour moi que pour mon pays.

Le souvenir du petit Scudder me décida. Je connus là peut-être le plus sale moment de ma vie, car je ne vaux rien pour ces résolutions de sang-froid. Je réussis néanmoins à trouver la force de serrer les dents et de rejeter les craintes hideuses qui m'envahissaient. Je refusai simplement d'y penser, et affectai de croire que je me livrais à une simple expérience de feu d'artifice.

Je pris un détonateur, et y fixai une couple de pieds de mèche. Puis je pris le quart d'un bloc de cheddite, y adaptai le détonateur, et l'enfouis sous l'un des sacs voisins de la porte, dans une fissure du plancher. Je soupçonnais la moitié des caisses de renfermer de la dynamite. Pourquoi pas, en effet, puisque le placard contenait de si violents explosifs? Dans ce cas nous ferions un merveilleux voyage aérien, moi, les domestiques allemands et un bon arpent du terrain circonvoisin. En outre, comme j'avais presque tout oublié concernant la cheddite, il se pouvait que l'explosion fît détoner les autres blocs du placard. Mais cela ne menait à rien d'envisager ces possibilités. Les risques étaient effroyables, mais je devais les subir.

Je me ratatinai tout au-dessous de l'appui de fenêtre, et allumai la mèche. Puis j'attendis une minute ou deux. Il régnait un silence de mort – troublé par le seul frottement de lourdes semelles dans le couloir, et le paisible caquètement des poules au-dehors. Je recommandai mon âme à son créateur, et me demandai si dans cinq secondes…

Une onde de feu énorme sembla jaillir du plancher et m'enveloppa un instant d'une atmosphère de fournaise. Puis le mur en face de moi s'éclaira de jaune d'or et s'écroula dans un fracas de tonnerre qui me mit la cervelle en bouillie. Quelque chose tomba sur moi, m'attrapant le coin de l'épaule gauche.

Et je crois bien qu'alors je perdis connaissance.

Ma syncope dura tout au plus quelques secondes. Je me sentis asphyxié par d'épaisses vapeurs jaunâtres, et, me dégageant des décombres, je me remis débout. Quelque part derrière moi je perçus l'air libre. Le cadre de la fenêtre était tombé, et par la brèche irrégulière la fumée se déversait au soleil de midi. J'enjambai le linteau brisé et me trouvai dans une cour, emplie d'un brouillard dense et acre. Je me sentais fort mal en point, et prêt à défaillir, mais je pouvais encore me mouvoir, et je m'éloignai de la maison à l'aveuglette et en titubant.

Un petit ru de moulin coulait dans un chenal de bois, de l'autre côté de la cour: je tombai dedans. L'eau fraîche me ranima, et je retrouvai assez mes esprits pour songer à m'enfuir. Je remontai le ru en pataugeant parmi son visqueux enduit verdâtre, et parvins à la roue du moulin. Arrivé là, je m'insinuai par le pertuis de l'arbre de couche dans le vieux moulin où je m'abattis sur un matelas de balle d'avoine. Un clou m'accrocha, le fond de la culotte, et je laissai derrière moi un lambeau de «mélange bruyère».

Le moulin ne servait plus depuis longtemps. Les échelles tombaient de vétusté et les rats avaient rongé de grands trous dans le plancher du grenier. Un malaise me prit, un vertige tourbillonna sous mon crâne, tandis que mon bras et mon épaule gauches semblaient frappés de paralysie. Je regardai par la fenêtre, et vis la maison encore surmontée d'un brouillard, et de la fumée s'échappant d'une fenêtre de l'étage. J'avais, Dieu me pardonne, mis le feu à l'immeuble, et de derrière celui-ci me parvenaient des cris confus.

Mais je ne pouvais m'attarder, car le moulin était évidemment une mauvaise cachette. Pour peu que l'on me cherchât, on suivrait naturellement le ru, et je ne doutais pas que la recherche dût commencer dès qu'ils verraient que mon cadavre n'était pas dans le magasin. D'une seconde fenêtre, je vis que de l'autre côté du moulin se dressait un vieux colombier de pierre. Si je pouvais y arriver sans laisser de traces, j'y trouverais peut-être un refuge, car je me disais que mes ennemis, s'ils me croyaient en état de me mouvoir, s'imagineraient que j'avais gagné le large, et me chercheraient sur la lande.

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