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Quand vint mon tour, je ne m'en tirai pas si mal. Je racontai simplement tout ce que je pus me rappeler sur l'Australie – concernant son parti socialiste et ses services d'émigration et autres. Je ne crois pas m'être avisé de faire mention du libre-échange, mais j'affirmai qu'en Australie nous n'avions pas de tories, et rien que les partis travailliste et libéral. Cela souleva une acclamation, qui devint de l'enthousiasme quand je leur exposai l'avenir merveilleux qui selon moi était réservé à l'Empire si nous nous décidions enfin à en mettre un bon coup.

Bref, j'imagine que ce fut plutôt un succès. Toutefois le pasteur ne m'apprécia pas, et en proposant un vote de félicitations, il déclara «digne d'un homme d'État» le discours de sir Harry, et le mien «éloquent à la manière d'un prospectus d'émigration».

Lorsque nous reprîmes place dans la voiture, mon hôte ne se tenait plus de joie d'en avoir fini avec la corvée.

– Rudement à la hauteur, votre discours, Twisdon, dit-il. Et maintenant vous allez revenir à la maison avec moi. Je suis tout seul, et si vous consentez à rester un jour ou deux, je vous montrerai à pêcher convenablement.

On nous servit un souper chaud – dont j'avais le plus grand besoin -, après quoi nous bûmes des grogs dans un vaste et gai fumoir, devant un feu de bois crépitant. Je jugeai l'heure venue de mettre cartes sur table. Les yeux de cet homme me disaient que je pouvais me fier à lui.

– Écoutez-moi, sir Harry, commençai-je. J'ai quelque chose de très important à vous dire. Vous êtes un charmant garçon, et je serai franc avec vous. Où diantre avez-vous pris le fétide galimatias que vous venez de débiter ce soir?

Ses traits se décomposèrent.

– Était-ce donc si mauvais que ça? demanda-t-il, navré. Cela ne me paraissait qu'un peu faible. J'en ai tiré le plus gros du Progressive Magazine et de brochures que mon agent électoral ne cesse de m'envoyer. Mais vous ne croyez réellement pas que l'Allemagne irait jamais nous faire la guerre?

– Posez la même question dans six semaines et vous n'aurez pas besoin de réponse, fis-je. Si vous voulez bien me prêter votre attention une demi-heure, je vais vous raconter une histoire.

Je crois voir encore cette pièce claire avec ses murs garnis de trophées de chasse et de vieilles estampes, sir Harry debout et trépidant sur le devant de cheminée, et moi-même allongé dans un fauteuil, en train de parler. Je me figurais être dédoublé, debout à côté de moi-même, écoutant ma propre voix comme celle d'un étranger, et me demandant avec impartialité quel degré de croyance méritait mon récit. C'était la première fois que je disais à quelqu'un l'exacte vérité, ainsi qu'elle m'apparaissait, et cela me fit un bien énorme en donnant à mes yeux plus de consistance à la chose. Je n'omis aucun détail. Il sut tout concernant Scudder, et le laitier, et le calepin, et mes faits et gestes dans le Galloway. Mon récit l'empoignait de plus en plus, et il arpentait sans arrêt le devant de cheminée.

– Comme vous le voyez, terminai-je, vous avez reçu chez vous l'homme que l'on recherche pour l'assassinat de Portland Place. Votre devoir est d'envoyer votre auto chercher la police et de me livrer. Je ne pense pas en avoir pour fort longtemps en prison. Comme par hasard, j'attraperai bien un coup de couteau entre les côtes une heure ou deux après mon arrestation. Néanmoins c'est là votre devoir, en tant que citoyen respectueux de la loi. Peut-être d'ici un mois le regretterez-vous, mais vous n'avez aucune raison de prévoir le cas.

Il me considérait de son regard brillant et assuré.

– Quel était votre emploi en Rhodésie, Hannay? demanda-t-il.

– Ingénieur des mines, répondis-je. J'ai réalisé là-bas une jolie fortune, et cette occupation m'a valu de bonnes heures.

– Une profession qui n'amollit pas trop les nerfs, n'est-ce pas?

Je me mis à rire.

– Oh! quant à ça, mes nerfs sont assez solides.

Je pris un couteau de chasse sur une étagère du mur, et exécutai le tour bien connu des Mashuanas, qui consiste à le jeter en l'air et à le rattraper entre les dents. Ce qui exige un cœur rudement chevillé.

Il me regarda en souriant.

– Je n'ai pas besoin de preuves. Je puis n'être qu'une bourrique à la tribune, mais je sais apprécier un homme. Vous n'êtes pas plus un assassin qu'un idiot, et je crois que vous m'avez dit la vérité. Je veux vous seconder. Voyons, que puis-je faire pour vous?

– Primo, je désire que vous écriviez une lettre à votre oncle. Il faut que je me mette en rapport avec le personnel du gouvernement à une date antérieure au 15 juin.

Il se tortilla la moustache.

– Ça ne vous servira guère. Cette affaire regarde le Foreign Office, et mon oncle refusera de s'en occuper. D'ailleurs, vous ne le persuaderiez jamais. Non, je ferai mieux que cela. Je vais écrire au secrétaire permanent du Foreign Office. C'est mon parrain, et le meilleur qui soit. Que faut-il lui dire?

Il se mit à une table et écrivit sous ma dictée. Je disais en substance que si un homme du nom de Twisdon (autant garder le pseudonyme) se présentait chez lui avant le 15 juin, il eût à lui faire bon accueil. Ledit Twisdon prouverait son identité en donnant le mot de passe «Pierre-Noire» et en sifflant l'air d'«Annie Laurie».

– Bon, dit sir Harry. C'est là le style qui convient. Entre parenthèses mon parrain – il s'appelle sir Walter Bullivant – passera les fêtes de la Pentecôte à sa maison de campagne. Elle est voisine d'Artinswell-sur-Kennet… Voilà qui est fait. Et ensuite?

– Vous êtes à peu près de ma taille. Prêtez-moi le plus vieux costume de cheviotte que vous ayez. N'importe quoi, pourvu que la teinte soit complètement différente de celle des vêtements que j'ai abîmés tantôt. Puis montrez-moi une carte de la région et expliquez-moi la configuration du pays. Enfin, si la police vient me chercher ici, vous n'avez qu'à montrer la voiture au fond du ravin. Si ce sont les autres, racontez-leur que j'ai pris l'express du sud après vous avoir vu.

Il fit, ou promit de faire, tout cela. Je rasai ce qui me restait de moustache, et m'introduisis dans un vieux complet de la teinte qu'on nomme, je crois, «mélange bruyère». La carte me donna une idée de ma situation géographique, et m'instruisit de deux choses que je voulais connaître: où l'on pouvait rejoindre la grande voie ferrée du sud, et quelles étaient à proximité les régions les plus sauvages.

À 2 heures, mon hôte me tira du somme que je faisais dans le fauteuil du fumoir, et me conduisit, encore mal éveillé, sous la sombre nuit d'étoiles. Ayant déniché dans un hangar à outils une vieille bicyclette, il me la mit en mains.

– Première route à droite tout au bout de la sapinière, me recommanda-t-il. Au lever du jour, vous vous trouverez en pleine montagne. Là, je vous conseille de flanquer la bécane dans un fossé et de gagner la bruyère à pied. Vous pouvez passer huit jours au milieu des bergers, aussi en sûreté qu'au fin fond de la Papouasie.

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