Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Diese Russen ! répétait le majordome avec indignation en hochant la tête.

D’autres riaient. Le majordome préparait sa note. On savait aussi mon gain de la veille. Karl, le domestique de mon étage, me félicita le premier. Mais tout cela m’était égal. Je me mis à courir vers l’hôtel d’Angleterre.

Il était trop tôt; M. Astley ne recevait personne. Quand on lui fit savoir qui le demandait, il sortit dans le corridor, vint silencieusement à ma rencontre et fixa sur moi son regard lourd, attendant ce que j’avais à lui dire. Je lui parlai aussitôt de Paulina.

– Elle est malade, répondit-il sans me regarder en face.

– Elle est donc réellement chez vous?

– Oui, oui, chez moi.

– Mais comment?… Vous avez l’intention de la garder chez vous?

– Oui, oui, j’y suis disposé.

– Monsieur Astley! mais c’est un scandale! Cela ne se peut pas. De plus, elle est très malade; vous avez dû vous en apercevoir.

– Oui, oui, je l’ai vu; je vous ai déjà dit qu’elle est malade. Si elle n’était pas malade, elle n’aurait pas passé la nuit chez vous.

– Vous savez donc aussi cela?

– Je le sais. Elle devait venir hier chez moi; je l’aurais conduite chez ma parente. Mais elle était malade; elle s’est trompée, et c’est pourquoi elle est allée chez vous.

– Voyez-vous cela! Eh bien, je vous félicite, monsieur Astley. Vous me donnez même une idée. N’est-ce pas vous qui avez passé la nuit sous ma fenêtre? Miss Paulina m’a forcé, la nuit, à ouvrir la fenêtre pour voir si vous n’étiez pas là. Elle riait beaucoup.

– Vraiment? Non, je n’étais pas sous la fenêtre; je l’attendais dans votre corridor, en me promenant.

– Mais il faut la soigner, monsieur Astley.

– Oh! oui. J’ai déjà fait venir un médecin. Et si elle meurt, c’est vous qui me rendrez compte de sa mort!

Je restai muet de stupéfaction.

– Permettez, monsieur Astley, que dites-vous?

– Est-il vrai que vous avez gagné hier deux cent mille thalers?

– Pas tant; cent mille florins.

– Vraiment? Alors prenez le train de ce matin et partez pour Paris.

– Pourquoi?

– Tous les Russes ne vont-ils pas à Paris dès qu’ils ont de l’argent? dit M. Astley du ton d’un homme qui répète une phrase apprise par cœur.

– Mais que ferais-je à Paris maintenant? Monsieur Astley, je l’aime! Vous le savez déjà.

– Vraiment? Je suis sûr que vous vous trompez. D’ailleurs, si vous restez ici vous perdrez certainement tout ce que vous avez gagné, et vous n’aurez plus de quoi aller à Paris. Mais, adieu! Je suis convaincu que vous partirez aujourd’hui.

– Bon. Adieu! Du reste, je n’irai pas à Paris. Réfléchissez, monsieur Astley, à ce qui va nécessairement se passer chez le général. Car, évidemment… cette aventure avec miss Paulina… Mais ça va être la fable de toute la ville!

– Oui, la fable de toute la ville. Quant au général, je crois qu’il a d’autres soucis. De plus, miss Paulina a le droit d’aller où bon lui semble. Quant à cette famille, il est permis de penser qu’elle est tout à fait dissoute.

Je partis en souriant à part moi de l’assurance qu’avait cet Anglais de mon prochain départ pour Paris.

«Pourtant il veut me tuer en duel si Paulina meurt. Quelle histoire!»

Je plaignais Paulina. Mais je dois convenir que dès la veille, dès le moment où je m’étais assis à la table de jeu, mon amour avait été relégué au second plan. Je vois cela, maintenant; mais alors les choses étaient loin d’être aussi claires. Suis-je donc vraiment un joueur? Aimais-je donc… si étrangement Paulina? Non, je le jure par Dieu, je l’aimais sincèrement. Je l’aime encore! Mais… ici se place la plus singulière, la plus drôle de mes aventures.

Je courais chez le général, quand une porte voisine de la sienne s’ouvrit et quelqu’un m’appela. C’était madame veuve Comminges qui m’appelait sur l’ordre de mademoiselle Blanche. J’entrai chez mademoiselle Blanche.

Son appartement se composait de deux pièces. Je l’entendis rire dans sa chambre à coucher. Elle se levait.

– Ah! c’est lui!! Viens donc, bêta! Est-il vrai que tu as gagné une montagne d’or et d’argent?… J’aimerais mieux l’or .

– Oui, j’ai gagné, répondis-je en riant.

– Combien?

– Cent mille florins.

– Bibi, comme tu es bête! Mais viens donc ici, je n’entends rien. Nous ferons bombance, n’est-ce pas?

J’entrai dans la chambre.

Elle était vautrée sous sa couverture de satin rose d’où sortaient ses épaules dorées, fermes, magnifiques, – de ces épaules qu’on voit seulement en rêve, – et sur lesquelles s’entr’ouvrait une chemise de fine dentelle; – ce qui allait fort bien à son teint chaud.

– Mon fils, as-tu du cœur? s’écria-t-elle en m’apercevant et en riant de plus belle.

Sa gaieté semblait même sincère!

– Tout autre que… – commençai-je en parodiant Corneille.

– Vois-tu! vois-tu! D’abord trouve-moi mes bas et aide-moi à les mettre. Ensuite, si tu n’es pas trop bête, je t’emmène à Paris. Tu sais que je pars à l’instant.

– À l’instant?

– Dans une demi-heure.

En effet, les paquets étaient faits, les malles étaient bouclées. Le café servi depuis longtemps.

– Eh bien, veux-tu? Tu verras Paris. Dis donc, qu’est-ce que c’est, un outchitel? Tu étais bien bête quand tu étais outchitel. Où sont mes bas? Allons, aide-moi donc!

Elle me montra un petit pied adorable, un pied de statue. Je me mis à rire et l’aidai à mettre un bas, tandis qu’elle restait au lit et continuait à bavarder.

– Eh bien! que feras-tu si je t’emmène? D’abord, je veux cinquante mille francs. Tu me les donneras à Francfort. Nous allons à Paris. Là, nous vivrons ensemble, et je te ferai voir des étoiles en plein jour. Tu verras des femmes telles que tu n’en as encore jamais vu. Écoute…

– Attends. Je te donne cinquante mille francs, soit; mais alors que me restera-t-il?

– Cent cinquante mille! De plus, je reste avec toi, un mois, deux mois, je ne sais combien de mois!… Nous dépenserons pendant ces deux mois les cent cinquante mille francs, cela va sans dire. Tu vois, je suis bon enfant, et, je t’avertis d’avance, tu verras des étoiles!

вернуться

[13] En français dans le texte.

29
{"b":"125309","o":1}