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Un jour, vint un artiste qui, trouvant sans doute un peu trop vif ce feu de l'hôtel, acheta un terrain et se fit bâtir une maison.

À partir de ce moment, Pierrefonds fut un pays découvert.

Cet artiste, c'était M. de Flubé.

Comme tous les artistes, il avait dit: «Je vais poser là ma tente pour un mois ou deux mois, et y dépenser cinq cents francs.»

Il y est depuis trente ans et y a dépensé cinq cent mille francs.

Vers ce temps, un second hôtel s'établit, faisant concurrence à celui du _Grand Saint-Laurent_, aujourd'hui disparu, de telle façon, que, moins heureux que l'ancien château, il n'a pas même sa ruine.

Ce second hôtel existe encore; aujourd'hui comme alors, il s'appelle l'_hôtel des Ruines_.

Il était signalé par un drapeau blanc, qui devint tricolore en 1830.

Le drapeau surmontait cette inscription:

CONNÉTABLE-TERJUS _Montre les ruines Aux amateurs._

Vous le voyez, dès 1828, la civilisation avait pénétré à Pierrefonds.-On montrait les ruines!

Bienheureux temps où j'allais les voir et où personne n'était là pour me les montrer!

Peu à peu la lumière et la vie pénétrèrent à Pierrefonds. Pierrefonds n'était qu'un village, il devint un bourg.

Ce village avait un étang, cet étang devint un lac.

Bien plus, sur ce lac, M. de Flubé fit construire un brick de cinq ou six tonneaux.

Ce brick s'appela _l'Artiste_.

Alors s'éleva un troisième hôtel, destiné à faire concurrence à l'_hôtel des Ruines_, comme l'_hôtel des Ruines_ avait été destiné à faire concurrence à l'_hôtel du Grand Saint-Laurent_.

Il fut inauguré sous la dénomination expressive d'_hôtel des Étrangers_.

Donc, les étrangers commençaient à affluer à Pierrefonds, puisqu'un spéculateur hardi n'hésitait pas à écrire sur le fronton du nouvel édifice:

HÔTEL DES ÉTRANGERS.

Sur ces entrefaites, M. de Flubé, dans un des voyages d'exploration qu'il fit aux environs de sa propriété, découvrit une source d'eau sulfureuse.

Dès lors, Pierrefonds était complet:

Historique par ses ruines,

Pittoresque par sa position,

Sanitaire par sa Source.

Plusieurs flacons bouchés avec soin furent envoyés au ministre de l'agriculture, dans le département duquel se trouvent les eaux minérales.

Ces eaux furent décomposées par M. O. Henry, le fameux décompositeur d'eaux; il déclara que la source de Pierrefonds, comme celles d'Enghien, d'Uriage, de Chamouni, etc., etc., devaient leur sulfuration à la réaction de matières organiques sur les sulfates, et devaient être rangées parmi les eaux hydrosulfatées-hydrosulfuriques-calcaires.

Dès lors, elles eurent leur brevet d'eaux sanitaires et furent rangées dans la catégorie des eaux aristocratiques et sentant mauvais.

Ce fut alors que M. de Flubé, pour donner toute facilité aux malades de venir prendre les eaux, fit bâtir des bains et convertir sa maison en un bôtel qui a pris le titre d'_hôtel des Bains_.

Un autre hôtel vint, brochant sur le tout, et s'intitula _grand hôtel de Pierrefonds_.

La route de Compiègne à Pierrefonds se macadamisa; celle de Pierrefonds à Villers-Colterets se pava.

Le chemin de fer du Nord, qui avait déjà établi des trains de plaisir pour Compiègne, n'eut que cette petite adjonction à faire: et pour Pierrefonds.

Pierrefonds, qui, il y a trente ans, était une solitude dans le genre de celle des pampas ou des montagnes Rocheuses, est donc aujourd'hui une colonie d'artistes, de voyageurs, de touristes et de malades, située à l'extrémité d'un des faubourgs de Paris.

Pierrefonds a une salle de spectacle où viennent jouer les acteurs de Compiègne, une salle de concert où viennent chanter les acteurs de Paris.

Enfin, Pierrefonds, parvenu au dernier degré de la civilisation, vient d'avoir son feu d'artifice.

– Oui, direz-vous, un feu d'artifice, c'est-à-dire quatre chandelles romaines et un soleil cloué contre un arbre.

Non pas, chers lecteurs, un véritable feu d'artifice avec ses feux du Bengale en manière de prologue, ses cinq actes et son épilogue.

Son épilogue était un magnifique bouquet.

Le tout apporté, ordonné, tiré par Ruggieri.

Racontons comment s'accomplit ce grand événement.

Après avoir passé quelques jours à Compiègne, chez mon ami Vuillemot, le meilleur cuisinier du département, dans la collaboration duquel je compte faire, un jour, le meilleur et le plus savant livre de cuisine qui ait jamais été fait, j'étais venu finir je ne sais plus quel roman ou quel drame au _grand hôtel de Pierrefonds_, où je ne pensais pas le moins du monde à un feu d'artifice, je vous jure.

Un matin, deux jeunes gens se présentent chez moi avec une liste de souscription.

Il s'agissait d'illuminer les ruines avec des feux du Bengale, le soir du dimanche suivant.

Je donnai mon louis pour la contribution à l'oeuvre pittoresque.

Ils me remercièrent et descendirent l'escalier. Ils n'étaient pas encore au premier étage, qu'il m'était venu une idée. Je les rappelai.

– Messieurs, leur demandai-je, sans indiscrétion, où allez-vous acheter vos artifices?

– À Paris.

– Chez qui?

– Chez Ruggieri.

– Attendez.

J'écrivis une lettre.

– Tenez, leur dis-je, remettez cette lettre à mon ami Désiré.

– Qu'est-ce que votre ami Désiré?

– Ruggieri en personne. Non-seulement je contribue au feu d'artifice, mais encore je fournis l'artificier.

Les deux jeunes gens restèrent stupéfaits.

– Comment! me demandèrent-ils, vous croyez que M. Ruggieri se dérangera?

– J'en suis sûr.

– Pour nous?

– Pour vous un peu, beaucoup pour moi.

Ils se retirèrent en hochant la tête.

Et, moi, je me remis à mon travail en murmurant:

– Je crois bien qu'il se dérangera! il se dérangeait bien, ce cher ami, pour venir me faire des feux d'artifice à Bruxelles, et m'illuminer le bouleard de Waterloo et la forêt de Boitsfort, Je crois bien qu'il se dérangera!

Tout à coup, je me mis à rire tout seul. Cela m'arrive quelquefois, plus souvent même que lorsque je suis en compagnie.

Je me rappelais comment, dans la forêt de Boitsfort, non-seulement l'artifice, mais encore l'artificier avaient pris feu, et combien peu il s'en était fallu que Buggieri ne s'évanouît en flamme et en fumée comme sa marchandise.

Vous comprenez bien, chers lecteurs, que le bruit s'était rapidement répandu que M. Alexandre Dumas avait écrit à M. Ruggieri, et que M. Ruggieri devait venir.

Il se manifestait dans tous les environs un mouvement inaccoutumé.

Des paris s'étaient ouverts:

Ruggieri viendra-t-il?

Ruggieri ne viendra-t-il pas?

On accourut me demander:

– Est-il bien vrai que M. Ruggieri viendra?

– Pourquoi cela?

– Parce que j'écrirais à num cousin à Attichy, à mon frère à Villers-Cotterets, à mon oncle à Vic-sur-Aisne.

– Écrivez à votre oncle à Vic-sur-Aisne, à votre frère à Villers-Cotterets, à votre cousin à Attichy.

– Et il viendra, nous pouvons y croire?

– Aussi certainement que s'il était arrivé.

Et chacun partait en criant:

– J'écris qu'il viendra.

Mais, me direz-vous, chers lecteurs, comment pouviez-vous répondre avec une pareille certitude?

Est-ce que je ne connais pas mon artiste? Vous croyez que Ruggieri fait des feux d'artifice parce qu'il est artificier?

C'est tout le contraire.

Il est artificier parce qu'il fait des feux d'artifice.

Ce n'est pas un état qu'il fait, c'est un plaisir qu'il se donne.

Les ruines de Pierrefonds à illuminer, et Ruggieri ne viendrait pas!

Allons donc! vous ne connaissez pas Ruggieri.

Le dimanche, à midi précis, on frappa à ma porte.

– Entrez, Ruggieri! criai-je.

Et Ruggieri entra.

Il y a entre nous autres une franc-maçonnerie d'art qui fait que nous pouvons répondre les uns des autres.

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