Литмир - Электронная Библиотека

Il fallait une justice à ce pauvre peuple. Le roi, tandis qu'il était retenu pendant douze jours à Montpellier «par les vives et frisques demoiselles du pays, auxquelles il donnait, dit Froissard, annelets et fermaillets d'or,» ordonna d'arrêter et de faire le procès de Bétisac. Bétisac était lieutenant du duc de Berry; il fut reconnu coupable et condamné à être brûlé vif. Le roi quitta son harem de Montpellier pour l'aller voir brûler vif à Toulouse.

Le duc de Berry, le véritable dilapidateur, sentit-il la chaleur du bûcher? J'en doute.

Pendant qu'il était en train, le bon roi Charles, qui venait de _faire justice, fit faveur_: il accorda aux abbayes de filles de joie que leurs pensionnaires ne portassent plus de costume, sauf une jarretière d'autre couleur que leur robe, au bras.

Comment n'eût-on pas adoré un pareil roi, qui brûlait les voleurs et qui habillait les filles de joie comme les honnêtes femmes?

Il était si las de fêtes, qu'il évita celles qu'on lui préparait à son retour. Sa rentrée fut tout simplement un steeple-chase. Il gagea avec son frère que, partant au galop en même temps que lui, il arriverait avant lui. C'est le roi qui gagna.

Pauvre roi, ce fut sa dernière chance au jeu. À vingt-deux ans, il avait tout usé; à vingt-deux ans, la tête était morte et le coeur vide.

À vingt-trois ans, il était fou.

Ses deux oncles prirent le royaume. Louis, qu'il venait de faire duc d'Orléans, prit sa femme.

Il est vrai que la prenait à peu près qui voulait.

Par malheur, le beau jeune prince ne se contenta point de la femme de son frère Charles le fou. Il prit encore celle de sou cousin Jean de Bourgogne.

L'anecdote est-elle vraie? On dit qu'un soir que Jean de Bourgogne et Louis d'Orléans avaient soupé ensemble, il passa une singulière idée dans l'esprit fantasque du jeune prince.

C'était de faire voir au mari trompé le corps de sa femme, moins la tête. Ce corps était charmant, et Jean de Bourgogne envia fort le bonheur du duc d'Orléans.

Eugène Delacroix a fait un charmant petit tableau de ce fait, qui n'a jamais acquis une valeur historique, et auquel on attribua cependant la mort du duc d'Orléans.

Nous croyons que les causes d'antagonisme politique étaient suffisantes entre les deux princes, sans qu'on y mêlât une jalousie amoureuse.

En somme, les deux cousins étaient fort brouillés, lorsque le vieux duc de Berry, croyant faire merveille, décida le duc de Bourgogne à faire une visite à Louis d'Orléans.

Celui-ci était malade à son château de Beauté, charmant séjour, comme l'indique son nom, perdu dans les replis de la Marne, belle et dangereuse rivière, sur les bords de laquelle Frédégonde eut un palais, et du sein de laquelle un pêcheur, raconte Grégoire de Tours, retira le corps du jeune fils de Chilpéric, noyé par sa marâtre.

C'était à la fin de l'automne, les feuilles tombaient.

C'est l'époque des sombres pressentiments; Louis avait été visité de l'esprit de Dieu; depuis quelque temps, il pensait beaucoup à la mort.

Il avait de sa main, et fort chrétiennement, fait un testament où il recommandait ses enfants à son ennemi le duc de Bourgogne. Il y demandait d'être porté à son tombeau sur une claie couverte de cendres.

Il avait eu non-seulement des pressentiments, mais encore une vision.

Une nuit que, logé au couvent des Célestins, il allait à matines, il rencontra la Mort en traversant un dortoir; l'ange sombre tenait une faux à la main, et, avec cette faux, elle lui fit lire sur la muraille cette inscription latine: Juvenes ac senes rapio.

Il fut dans ces circonstances que le duc de Befry eut l'idée de réconcilier ses deux neveux.

Au commencement de novembre, il conduisit, comme nous venons de le dire, le duc de Bourgogne au château de Beauté, où Louis le reçut courtoisement; puis il les fit communier le 20 et les invita à diner pour le 22.

Le 20, ils avaient partagé l'hostie; le 22, ils partagèrent le repas.

Depuis le 17, le duc de Bourgogne avait tout préparé pour l'assassinat du duc d'Orléans.

Je ne sais, chers lecteurs, si ce que j'ai vu il y a deux ou trois ans existe encore aujourd'hui, au milieu des bouleversements dont Paris est le théâtre.

Ce que j'ai vu, c'était une petite tourelle qui s'élevait au coin de la vieille rue du Temple et de la rue des Francs-Bourgeois.

Cette petite tourelle, légère, élégante, gracieuse, et qui contrastait fort avec la lourde maison à laquelle elle était accrochée, cette petite tourelle, noire et lézardée aujourd'hui, était blanche et neuve lorsqu'elle vit s'accomplir l'événement que nous allons raconter.

Elle fermait de ce côté le grand enclos de l'hôtel Barbette, occupé alors par la reine Isabeau.

Cet hôtel s'élevait dans un quartier peu fréquenté à cette époque, hors de l'enceinte de Philippe-Auguste et entre les deux juridictions de la Ville et du Temple.

Il avait été bâti par le financier Étienne Barbette, dont il avait gardé le nom. Étienne Barbette était maître de la monnaie sous Philippe le Bel, le roi de France qui a le plus travaillé à la monnaie de son pays, non pas pour la rendre meilleure et plus pure, bien entendu.

En général, lorsqu'on refond les monnaies, ce n'est point pour en enlever l'alliage.

Ce même hôtel, quatre-vingts ans après la mort d'Étienne Barbette, appartenait à un autre parvenu, le grand maître Montaigu.

Montaigu était des bons amis de Louis d'Orléans. Ce dernier obtint de lui qu'il cédât son hôtel à la reine Isabeau, qui détestait l'hôtel Saint-Paul, où elle était sous les yeux de son mari.

Tout au contraire, la voluptueuse Allemande adorait son petit logis; elle l'avait embelli à l'intérieur, agrandi au dehors, étendu jusqu'à la rue de la Perle.

Elle y était accouchée, le 10 novembre, d'un fils qui était mort en naissant; le peuple avait fort murmuré; on la savait depuis fort longtemps éloignée de son mari, et l'on avait attribué au duc d'Orléans les honneurs de cette intempestive fécondité.

On avait été jusqu'à faire un crime à la mère de cette douleur; on avait trouvé qu'elle avait pleuré cet enfant plus qu'on ne pleure un enfant d'un jour.

C'était injuste: un enfant n'a point d'âge pour la mère; c'est son enfant, c'est-à-dire la chair de sa chair, voilà tout.

Nous avons dit que, dès le 17, Jeah de Bourgogne avait décidé l'assassinat du duc d'Orléans.

Depuis longtemps, il le méditait.

Dès la Saint-Jean, c'est-à-dire quatre mois auparavant, il cherchait dans Paris une maison pour y dresser son guet-apens; un de ses agents était en course à cet effet, et, comme cet agent était clerc de l'Université, il donnait pour prétexte à cette location le besoin qu'il avait d'un magasin où mettre le vin, le blé et les autres denrées que les clercs recevaient de leur pays et avaient le privilège de vendre sans droits.

Le 17, la maison était trouvée et livrée.

C'était la maison de l'_Image Notre-Dame_, située vieille rue du Temple, et ainsi nommée d'une image de la Vierge incrustée dans une niche au-dessus de la porte.

L'homme qui devait frapper était un valet de chambre du roi; l'histoire n'a pas conservé son nom.

L'homme qui devait trahir était Raoul d'Auquetonville, ancien général des finances, que le duc avait chassé autrefois pour malversation.

Le 20, nous l'avons dit, les deux princes avaient communié à la même hostie. Le 22, nous l'avons dit encore, ils avaient dîné à la même table.

Le mercredi, 23 novembre, le duc d'Orléans avait soupé chez la reine, et soupé gaiement, afin d'adoucir sa douleur, lit le religieux de Saint-Denis,-dolorem studens mitigari,-lorsque tout à coup le valet de chambre du roi, celui qui s'était chargé de trahir, vint dire au prince que le roi le demandait à l'instant même.

Le duc avait six cents chevaliers qu'il pouvait réunir, et dont il pouvait se faire une escorte dans les occasions d'apparat; mais, pour aller chez la reine, visite mystérieuse, il ne prenait d'ordinaire qu'un ou deux pages et quelques valets. Aussi l'assassin avait-il compté sur cette circonstance, et avait-il décidé que ce serait à la sortie du duc d'Orléans de l'hôtel Barbette qu'il accomplirait son crime.

32
{"b":"125294","o":1}