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– Il se peut du reste que les fleurs du jardin botanique n'aient jamais été au château du roi, ni même qu'elles sachent combien les fêtes y sont gaies.

– Et je vais te dire quelque chose qui étonnerait bien le professeur de botanique qui habite à côté (tu le connais). Quand tu iras dans son jardin, tu raconteras à une des fleurs qu'il y a grand bal au château la nuit, elle le répétera à toutes les autres et elles s'envoleront. Si le professeur descend ensuite dans son jardin, il ne trouvera plus une fleur et il ne pourra comprendre ce qu'elles sont devenues!

– Mais comment une fleur peut-elle le dire aux autres fleurs? Elles ne savent pas parler.

– Évidemment, dit l'étudiant, mais elles font de la pantomime! N'as-tu pas remarqué quand le vent souffle un peu comme les fleurs inclinent la tête et agitent leurs feuilles vertes? C'est aussi expressif que si elles parlaient.

– Est-ce que le professeur comprend la pantomime? demanda Ida.

– Bien sûr. Un matin, comme il descendait dans son jardin, il vit une ortie qui faisait de la pantomime avec ses feuilles à un ravissant oeillet rouge. Elle disait: «Tu es si joli, et je t'aime tant!» Mais le professeur n'aime pas cela du tout, il donna aussitôt une grande tape à l'ortie sur les feuilles qui sont ses doigts, mais ça l'a terriblement brûlé et depuis il n'ose plus jamais toucher à l'ortie.

– C'est amusant, dit la petite Ida en riant.

– Comment peut-on raconter de telles balivernes, dit le conseiller de chancellerie venu en visite et qui était assis sur le sofa. Il n'aimait pas du tout l'étudiant et grognait tout le temps quand il le voyait découper des images si amusantes: un homme pendu à une potence et tenant un coeur à la main, car il avait volé bien des coeurs.

Le conseiller n'appréciait pas du tout cela et il disait comme maintenant: «Comment peut-on mettre des balivernes pareilles dans la tête d'un enfant? Quelles inventions stupides!»

Mais la petite Ida trouvait très amusant ce que l'étudiant racontait et elle y pensait beaucoup.

La tête des fleurs pendait parce qu'elles étaient fatiguées d'avoir dansé toute la nuit, elles étaient certainement malades. Elle les apporta près de ses autres jouets étalés sur une jolie table, dont le tiroir était plein de trésors. Dans le petit lit était couchée sa poupée Sophie qui dormait, mais Ida lui dit: «Il faut absolument te lever, Sophie, et te contenter du tiroir pour cette nuit; ces pauvres fleurs sont malades, et si elles couchent dans ton lit, peut-être qu'elles guériront!» Elle fit lever la poupée qui avait un air revêche et ne dit pas un mot, elle était fâchée de prêter son lit.

Ida coucha les fleurs dans le lit de poupée, tira la petite couverture sur elles jusqu'en haut et leur dit de rester bien sagement tranquilles, qu'elle allait leur faire du thé afin qu'elles guérissent et puissent se lever le lendemain. Elle tira les rideaux autour du petit lit pour que le soleil ne leur vînt pas dans les yeux.

Toute la soirée, elle ne put s'empêcher de penser à ce que l'étudiant lui avait raconté et quand vint l'heure d'aller elle-même au lit, elle courut d'abord derrière les rideaux des fenêtres dans l'embrasure desquelles se trouvaient, sur une planche, les ravissantes fleurs de sa mère, des jacinthes et des tulipes, et elle murmura tout bas: «Je sais bien que vous devez aller au bal!»

Les fleurs firent semblant de ne rien entendre.

La petite Ida savait pourtant ce qu'elle savait…

Lorsqu'elle fut dans son lit, elle resta longtemps à penser. Comme ce serait plaisant de voir danser ces jolies fleurs là-bas, dans le château du roi.

– Est-ce que vraiment mes fleurs y sont allées?

Là-dessus, elle s'endormit.

Elle se réveilla au milieu de la nuit; elle avait rêvé de fleurs et de l'étudiant que le conseiller grondait et accusait de lui mettre des idées stupides et folles dans la tête.

Le silence était complet dans la chambre d'Ida, la veilleuse brûlait sur la table, son père et sa mère dormaient.

Mes fleurs sont-elles encore couchées dans le lit de Sophie? se dit-elle. Elle se souleva un peu et jeta un coup d'oeil vers la porte entrebâillée. Elle tendit l'oreille et il lui sembla entendre que l'on jouait du piano dans la pièce à côté, mais tout doucement. Jamais elle n'avait entendu une musique aussi délicate.

– Toutes les fleurs doivent danser maintenant! dit-elle. Mon Dieu! que je voudrais les voir! Mais elle n'osait se lever.

«Si seulement elles voulaient entrer ici», se dit-elle.

Mais les fleurs ne venaient pas et la musique continuait à jouer, si légèrement. À la fin, elle n'y tint plus, c'était trop délicieux, elle se glissa hors de son petit lit et alla tout doucement jusqu'à la porte jeter un coup d'oeil.

Il n'y avait pas du tout de veilleuse dans cette pièce, mais il y faisait tout à fait clair, la lune brillait à travers la fenêtre et éclairait juste le milieu du parquet. Toutes les jacinthes et les tulipes se tenaient debout en deux rangs, il n'y en avait plus du tout dans l'embrasure de la fenêtre où ne restaient que les pots vides. Sur le parquet, les fleurs dansaient gracieusement.

Un grand lis rouge était assis au piano. Ida était sûre de l'avoir vu cet été car elle se rappelait que l'étudiant avait dit: «Oh! comme il ressemble à Mademoiselle Line!» et tout le monde s'était moqué de lui. Maintenant Ida trouvait que la longue fleur ressemblait vraiment à cette demoiselle, et elle jouait tout à fait de la même façon qu'elle.

Puis elle vit un grand crocus bleu sauter juste au milieu de la table où se trouvaient les jouets. Il alla droit vers le lit des poupées et en tira les rideaux. Les fleurs malades y étaient couchées mais elles se levèrent immédiatement et firent signe aux autres en bas qu'elles aussi voulaient danser.

Ida eut l'impression que quelque chose était tombé de la table. Elle regarda de ce côté et vit que c'était la verge de la Mi-Carême qui avait sauté par terre. Ne croyait-elle pas être aussi une fleur?

Il était très joli, après tout, ce martinet. À son sommet était une petite poupée de cire qui avait sur la tête un large chapeau.

La verge de la Mi-Carême sauta sur ses trois jambes de bois rouge, en plein milieu des fleurs. Elle se mit à taper très fort des pieds car elle dansait la mazurka, et cette danse-là, les autres fleurs ne la connaissaient pas.

Tout à coup, la poupée de cire du petit fouet de la Mi-Carême devint grande longue, elle tourbillonna autour des fleurs de papier et cria très haut: «Peut-on mettre des bêtises pareilles dans la tête d'un enfant! Ce sont des inventions stupides!» Et alors, elle ressemblait exactement au conseiller de la chancellerie, avec son large chapeau, elle aussi était jaune et aussi grognon. Les fleurs en papier lui donnèrent des coups sur ses maigres jambes et elle se ratatina de nouveau et redevint une petite poupée de cire.

Le fouet de la Mi-Carême continuait à danser et le conseiller était obligé de danser avec. Il n'y avait rien à faire: il se faisait grand et long et tout d'un coup redevenait la petite poupée de cire jaune au grand chapeau noir.

Les fleurs prièrent alors le martinet de s'arrêter, surtout celles qui avaient couché dans le lit de poupée, et cette danse cessa.

Mais voilà qu'on entendit des coups violents frappés à l'intérieur du tiroir où gisait Sophie, la poupée d'Ida, au milieu de tant d'autres jouets. Le casse-noix courut jusqu'au bord de la table, s'allongea de tout son long sur le ventre et réussit à tirer un petit peu le tiroir. Alors Sophie se leva et regarda autour d'elle d'un air étonné.

– Il y a donc bal ici, dit-elle. Pourquoi ne me l'a-t-on pas dit?

– Veux-tu danser avec moi? dit le casse-noix.

– Ah! bien oui! tu serais un beau danseur!

Et elle lui tourna le dos. Elle s'assit sur le tiroir et se dit que l'une des fleurs viendrait l'inviter, mais il n'en fut rien: alors elle toussa, hm, hm, hm, mais personne ne vint.

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