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– Comment s'appelle-t-elle, cette dame? demanda le petit garçon.

– Oh! bien sûr, les Romains et les Grecs auraient dit que c'était une dryade, mais nous ne connaissons plus tout ça. Ici, à Nyboder, on l'appelle «la fée du Sureau». Regarde-la bien et écoute-moi…

Il y a à Nyboder un arbre tout fleuri pareil à celui-ci; il a poussé dans le coin d'une petite ferme très pauvre. Sous son ombrage, par une belle après-midi de soleil, deux bons vieux, un vieux marin et sa vieille épouse étaient assis. Arrière-grands-parents déjà, ils devaient bientôt célébrer leurs noces d'or, mais ne savaient pas au juste à quelle date. La fée du Sureau, assise dans l'arbre, avait l'air de rire. "Je connais bien, moi, la date des noces d'or!" Mais eux ne l'entendaient pas, ils parlaient des jours anciens.

– Te souviens-tu, disait le vieux marin, du temps que nous étions petits, nous courions et nous jouions justement dans cette même cour où nous sommes assis et nous piquions des baguettes dans la terre pour faire un jardin.

– Bien sûr, je me rappelle, répondit sa femme. Nous arrosions ces branches taillées et l'une d'elles, une branche de sureau, prit racine, bourgeonna et devint par la suite le grand arbre sous lequel nous deux, vieux, sommes assis.

– Oui, dit-il, et là, dans le coin, il y avait un grand baquet d'eau, mon bateau, que j'avais taillé moi-même, y naviguait! Mais bientôt, c'est moi qui devais naviguer d'une autre manière.

– Mais d'abord nous avions été à l'école pour tâcher d'apprendre un peu quelque chose; puis ce fut notre confirmation, on pleurait tous les deux. L'après-midi, nous montions tout au haut de la Tour Ronde, la main dans la main, et nous regardions de là-haut le vaste monde, et Copenhague et la mer. Après, nous sommes allés à Frederiksberg, où le roi et la reine, dans leurs barques magnifiques, voguaient sur les canaux.

– Mais je devais vraiment voguer tout autrement, et durant de longues années, et pour de grands voyages!

– Ce que j'ai pleuré à cause de toi! dit-elle, je croyais que tu étais mort et noyé, tombé tout au fond de la mer. Souvent, la nuit, je me levais et regardais la girouette pour voir si elle tournait. Elle tournait tant et plus, mais toi tu n'arrivais pas. Je me souviens si bien de la pluie torrentielle qui tombait un jour. Le boueur devait passer devant la maison où je servais; je descendis avec la poubelle et restai à la porte. Quel temps! Et comme j'attendais là, le facteur passa et me remit une lettre, une lettre de toi! Ce qu'elle avait voyagé! Je me jetai dessus et commençai à lire, je riais, je pleurais, j'étais si heureuse! Tu écrivais que tu étais dans les pays chauds où poussent les grains de café. Quel pays béni ce doit être! Tu en racontais des choses, et je lisais tout ça debout, ma poubelle près de moi, tandis que la pluie tombait en tourbillons. Tout d'un coup, derrière moi, quelqu'un me prit par la taille…

– Et tu lui allongeas une bonne claque sur l'oreille…

– Mais je ne savais pas que c'était toi! Tu étais arrivé en même temps que la lettre et tu étais si beau!… Tu l'es encore. Tu avais un grand mouchoir de soie jaune dans la poche et un suroît reluisant. Tu étais très élégant. Dieu, quel temps et comme la rue était sale!

– Ensuite nous nous sommes mariés, dit-il; tu te souviens quand nous avons eu le premier garçon, et puis Marie, et Niels et Peter et Hans Christian?

– Oui, tous grands et tous de braves gens que tout le monde aime.

– Et leurs enfants, à leur tour, ont eu des petits! dit le vieil homme, de solides gaillards aussi! Il me semble que c'est bien à cette époque-ci de l'année que nous nous sommes mariés?

– Oui, c'est justement aujourd'hui le jour de vos noces d'or, dit la fée du Sureau en passant sa tête entre eux deux. Ils crurent que c'était la voisine qui les saluait, ils se regardaient, se tenant par la main.

Peu après arrivèrent les enfants et petits-enfants; ils savaient, eux, qu'on fêtait les noces d'or, ils avaient déjà le matin apporté leurs voeux. Les vieux l'avaient oublié, alors qu'ils se rappelaient si bien ce qui s'était passé de longues années auparavant.

Le sureau embaumait, le soleil couchant illuminait les visages des vieux et les rendait tout rubiconds, le plus jeune des petits enfants dansait tout autour et criait, tout heureux que ce fût jour de fête, qu'on allait manger des pommes de terre chaudes. La fée du Sureau souriait dans l'arbre et criait «Bravo» avec les autres.

– Mais ce n'est pas du tout un conte, dit le petit garçon qui écoutait.

– Tu dois t'y connaître, dit celui qui racontait. Demandons un peu à notre fée.

Ce n'était pas un conte, dit-elle, mais il va venir maintenant. De la réalité naît le plus merveilleux des contes, sans quoi mon délicieux buisson ne serait pas jailli de la théière.

Elle prit le petit garçon dans ses bras contre sa poitrine. La verdure et les fleurs les enveloppant formaient autour d'eux une tonnelle qui s'envola avec eux à travers l'espace. Voyage délicieux. La fée était devenue subitement une petite fille, en robe verte et blanche avec une grande fleur de sureau sur la poitrine, et sur ses blonds cheveux bouclés, une couronne. Ses yeux étaient si grands, si bleus! Quel plaisir de la regarder! Les deux enfants s'embrassèrent, ils avaient le même âge et les mêmes goûts.

La main dans la main, ils sortirent de la tonnelle et les voici dans leur jardin fleuri. Sur le frais gazon de la pelouse, la canne du père était restée; simple bois sec, elle était vivante pour les petits. Sitôt qu'ils l'enfourchèrent, le pommeau poli se transforma en une belle tête hennissante, la noire crinière voltigeait. Quatre pattes à la fois fines et fortes lui poussèrent, l'animal était robuste et fougueux. Au galop, ils tournaient autour de la pelouse. Hue! Hue!

Nous voilà partis, dit le petit garçon, à des lieues de chez nous, nous allons jusqu'au château où nous étions l'an passé. Et ils tournaient et tournaient autour de la pelouse, la petite fille, qui n'était autre que la fée, s'écriait:

– Nous voici dans la campagne, vois-tu la maison du paysan avec le grand four qui a l'air d'un immense oeuf sur le mur du côté de la route, le sureau étend ses branches au-dessus et le coq gratte la terre pour les poules et se rengorge! Nous voici à l'église, elle est tout en haut de la côte, au milieu des grands chênes dont l'un est presque mort. Et nous voici à la forge où brûle un grand feu, où des hommes à moitié nus tapent de leurs marteaux, faisant voler les étincelles de tous côtés. En route, en route vers le beau château!

Tout ce dont parlait la petite fille assise derrière, sur la canne, se déroulait devant eux; le garçon le voyait, et cependant ils ne tournaient qu'autour de la pelouse.

Ensuite ils jouèrent dans l'allée et dessinèrent un jardin sur le sol; la petite fille enleva une fleur de sureau de sa tête et la planta. Et cette fleur poussa exactement comme cela s'était passé devant nos deux vieux de Nyboder, quand ils étaient Petits-comme nous l'avons raconté tout à l'heure.

Ils marchèrent la main dans la main, comme les vieux étant enfants, mais ils ne montèrent pas sur la Tour Ronde et ne visitèrent pas le jardin de Frederiksberg, non, la petite fille tenait le garçon par la taille et ils volaient à travers le Danemark.

Le printemps se déroula, puis l'été, et l'automne et l'hiver; mille images se reflétaient dans les yeux du garçon et, dans son coeur, toujours la petite fille chantait: «Tu n'oublieras jamais tout ça!» Le sureau, tout au long du voyage embaumait si exquisément. Le garçon sentait bien les roses et la fraîcheur des hêtres, mais le parfum du sureau était bien plus ensorcelant car ses fleurs reposaient sur le coeur de la petite fille et dans la course la tête du garçon se tournait souvent vers elle.

– Comme c'est beau, ici, au printemps, dit la petite fille, tandis qu'ils passaient dans la forêt de hêtres aux bourgeons nouvellement éclos; le muguet embaumait à leurs pieds et les anémones roses faisaient bel effet sur l'herbe verte. Ah! si c'était toujours le printemps dans l'odorante forêt de hêtres danoise.

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