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M. de Marquet commençait d'être un noble vieillard. Il était, à l'ordinaire, plein de politesse et de «galantise», et n'avait eu, toute sa vie, qu'une passion: celle de l'art dramatique. Dans sa carrière de magistrat, il ne s'était véritablement intéressé qu'aux affaires susceptibles de lui fournir au moins la nature d'un acte. Bien que, décemment apparenté, il eût pu aspirer aux plus hautes situations judiciaires, il n'avait jamais travaillé, en réalité, que pour «arriver» à la romantique Porte Saint-Martin ou à l'Odéon pensif. Un tel idéal l'avait conduit, sur le tard, à être juge d'instruction à Corbeil, et à signer «Castigat Ridendo» un petit acte indécent à la Scala.

L'affaire de la «Chambre Jaune», par son côté inexplicable, devait séduire un esprit aussi… littéraire. Elle l'intéressa prodigieusement; et M. de Marquet s'y jeta moins comme un magistrat avide de connaître la vérité que comme un amateur d'imbroglios dramatiques dont toutes les facultés sont tendues vers le mystère de l'intrigue, et qui ne redoute cependant rien tant que d'arriver à la fin du dernier acte, où tout s'explique.

Ainsi, dans le moment que nous le rencontrâmes, j'entendis M. de Marquet dire avec un soupir à son greffier:

«Pourvu, mon cher monsieur Maleine, pourvu que cet entrepreneur, avec sa pioche, ne nous démolisse pas un aussi beau mystère!

– N'ayez crainte, répondit M. Maleine, sa pioche démolira peut-être le pavillon, mais elle laissera notre affaire intacte. J'ai tâté les murs et étudié plafond et plancher, et je m'y connais. On ne me trompe pas. Nous pouvons être tranquilles. Nous ne saurons rien.

Ayant ainsi rassuré son chef, M. Maleine nous désigna d'un mouvement de tête discret à M. de Marquet. La figure de celui-ci se renfrogna et, comme il vit venir à lui Rouletabille qui, déjà, se découvrait, il se précipita sur une portière et sauta dans le train en jetant à mi-voix à son greffier: «surtout, pas de journalistes!»

M. Maleine répliqua: «Compris!», arrêta Rouletabille dans sa course et eut la prétention de l'empêcher de monter dans le compartiment du juge d'instruction.

«Pardon, messieurs! Ce compartiment est réservé…

– Je suis journaliste, monsieur, rédacteur à l'Époque, fit mon jeune ami avec une grande dépense de salutations et de politesses, et j'ai un petit mot à dire à M. de Marquet.

– M. de Marquet est très occupé par son enquête…

– Oh! Son enquête m'est absolument indifférente, veuillez le croire… Je ne suis pas, moi, un rédacteur de chiens écrasés, déclara le jeune Rouletabille dont la lèvre inférieure exprimait alors un mépris infini pour la littérature des «faits diversiers»; je suis courriériste des théâtres… Et comme je dois faire, ce soir, un petit compte rendu de la revue de la Scala…

– Montez, monsieur, je vous en prie…», fit le greffier s'effaçant.

Rouletabille était déjà dans le compartiment. Je l'y suivis. Je m'assis à ses côtés; le greffier monta et ferma la portière.

M. de Marquet regardait son greffier.

– Oh! Monsieur, débuta Rouletabille, n'en veuillez pas «à ce brave homme» si j'ai forcé la consigne; ce n'est pas à M. de Marquet que je veux avoir l'honneur de parler: c'est à M. «Castigat Ridendo»!… Permettez-moi de vous féliciter, en tant que courriériste théâtral à l'Époque…»

Et Rouletabille, m'ayant présenté d'abord, se présenta ensuite.

M. de Marquet, d'un geste inquiet, caressait sa barbe en pointe. Il exprima en quelques mots à Rouletabille qu'il était trop modeste auteur pour désirer que le voile de son pseudonyme fût publiquement levé, et il espérait bien que l'enthousiasme du journaliste pour l'œuvre du dramaturge n'irait point jusqu'à apprendre aux populations que M. «Castigat Ridendo» n'était autre que le juge d'instruction de Corbeil.

«L'œuvre de l'auteur dramatique pourrait nuire, ajouta-t-il, après une légère hésitation, à l'œuvre du magistrat… surtout en province où l'on est resté un peu routinier…

– Oh! Comptez sur ma discrétion!» s'écria Rouletabille en levant des mains qui attestaient le Ciel.

Le train s'ébranlait alors…

«Nous partons! fit le juge d'instruction, surpris de nous voir faire le voyage avec lui.

– Oui, monsieur, la vérité se met en marche… dit en souriant aimablement le reporter… en marche vers le château du Glandier… Belle affaire, monsieur De Marquet, belle affaire!…

– Obscure affaire! Incroyable, insondable, inexplicable affaire… et je ne crains qu'une chose, monsieur Rouletabille… c'est que les journalistes se mêlent de la vouloir expliquer…»

Mon ami sentit le coup droit.

«Oui, fit-il simplement, il faut le craindre… Ils se mêlent de tout… Quant à moi, je ne vous parle que parce que le hasard, monsieur le juge d'instruction, le pur hasard, m'a mis sur votre chemin et presque dans votre compartiment.

– Où allez-vous donc, demanda M. de Marquet.

– Au château du Glandier», fit sans broncher Rouletabille.

M. de Marquet sursauta.

«Vous n'y entrerez pas, monsieur Rouletabille!…

– Vous vous y opposerez? fit mon ami, déjà prêt à la bataille.

– Que non pas! J'aime trop la presse et les journalistes pour leur être désagréable en quoi que ce soit, mais M. Stangerson a consigné sa porte à tout le monde. Et elle est bien gardée. Pas un journaliste, hier, n'a pu franchir la grille du Glandier.

– Tant mieux, répliqua Rouletabille, j'arrive bien.»

M. de Marquet se pinça les lèvres et parut prêt à conserver un obstiné silence. Il ne se détendit un peu que lorsque Rouletabille ne lui eut pas laissé ignorer plus longtemps que nous nous rendions au Glandier pour y serrer la main «d'un vieil ami intime», déclara-t-il, en parlant de M. Robert Darzac, qu'il avait peut-être vu une fois dans sa vie.

«Ce pauvre Robert! continua le jeune reporter… Ce pauvre Robert! il est capable d'en mourir… Il aimait tant Mlle Stangerson…

– La douleur de M. Robert Darzac fait, il est vrai, peine à voir… laissa échapper comme à regret M. de Marquet…

– Mais il faut espérer que Mlle Stangerson sera sauvée…

– Espérons-le… son père me disait hier que, si elle devait succomber, il ne tarderait point, quant à lui, à l'aller rejoindre dans la tombe… Quelle perte incalculable pour la science!

– La blessure à la tempe est grave, n'est-ce pas?…

– Évidemment! Mais c'est une chance inouïe qu'elle n'ait pas été mortelle… Le coup a été donné avec une force!…

– Ce n'est donc pas le revolver qui a blessé Mlle Stangerson», fit Rouletabille… en me jetant un regard de triomphe…

M. de Marquet parut fort embarrassé.

«Je n'ai rien dit, je ne veux rien dire, et je ne dirai rien!»

Et il se tourna vers son greffier, comme s'il ne nous connaissait plus…

Mais on ne se débarrassait pas ainsi de Rouletabille. Celui-ci s'approcha du juge d'instruction, et, montrant le Matin, qu'il tira de sa poche, il lui dit:

«Il y a une chose, monsieur le juge d'instruction, que je puis vous demander sans commettre d'indiscrétion. Vous avez lu le récit du Matin? Il est absurde, n'est-ce pas?

– Pas le moins du monde, monsieur…

– Eh quoi! La «Chambre Jaune» n'a qu'une fenêtre grillée «dont les barreaux n'ont pas été descellés, et une porte que l'on défonce…» et l'on n'y trouve pas l'assassin!

– C'est ainsi, monsieur! C'est ainsi!… C'est ainsi que la question se pose!…»

Rouletabille ne dit plus rien et partit pour des pensers inconnus… Un quart d'heure ainsi s'écoula.

Quant il revint à nous, il dit, s'adressant encore au juge d'instruction:

– Comment était, ce soir-là, la coiffure de Mlle Stangerson?

– Je ne saisis pas, fit M. de Marquet.

 – Ceci est de la dernière importance, répliqua Rouletabille. Les cheveux en bandeaux, n'est-ce pas? Je suis sûr qu'elle portait ce soir-là, le soir du drame, les cheveux en bandeaux!

– Eh bien, monsieur Rouletabille, vous êtes dans l'erreur, répondit le juge d'instruction; Mlle Stangerson était coiffée, ce soir-là, les cheveux relevés entièrement en torsade sur la tête… Ce doit être sa coiffure habituelle… Le front entièrement découvert…, je puis vous l'affirmer, car nous avons examiné longuement la blessure. Il n'y avait pas de sang aux cheveux… et l'on n'avait pas touché à la coiffure depuis l'attentat.

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