» Ce vol, avec tout ce qui a suivi, nous prouve cependant une chose: chaque partie de son corps, bien que séparée du reste, peut être le point central et le lieu d'attraction des particules de son corps astral. Cette main qui se trouve dans ma chambre peut réaliser sa présence instantanée en chair et en os, et sa dissociation aussi rapide.
» J'arrive au couronnement de mon argumentation. Le but de l'attaque dont j'ai été victime était l'ouverture du coffre, pour que la Pierre sacrée des Sept Étoiles puisse en être extraite. Cette immense porte du coffre ne pouvait arrêter son corps astral qui, dans son entier ou partiellement, peut se reformer aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du coffre. Et je ne doute pas que dans l'obscurité de la nuit cette main momifiée ait souvent touché cette Pierre Talisman et tiré de ce contact une inspiration nouvelle. Mais, en dépit de tout son pouvoir, le corps astral ne pouvait faire passer ce joyau à travers les interstices du coffre. Le Rubis n'est pas astral; on ne peut le déplacer que grâce au procédé habituel consistant à ouvrir les portes. Dans ce but, la Reine a employé son corps astral et la force déchaînée de son Esprit Familier, pour approcher du trou de la serrure la clef maîtresse qui s'opposait à sa volonté. Pendant des années je l'ai soupçonné, que dis-je, je l'ai cru; et je me suis également protégé contre les puissances du Monde Inférieur. Moi aussi, j'attendais patiemment d'avoir rassemblé tous les éléments requis pour l'ouverture du Coffre et la résurrection de la Reine momifiée.
Il s'arrêta, et l'on entendit la voix douce et claire de sa fille, chargée d'une émotion intense:
– Père, d'après la croyance des Égyptiens, le pouvoir de résurrection d'un corps momifié était-il général, ou limité? C'est-à-dire: pouvait-il accomplir sa résurrection un grand nombre de fois dans le cours des siècles; ou seulement une fois, définitivement?
– Il n'y avait qu'une seule résurrection, répondit-il. Il y en avait quelques-uns qui croyaient que ce devait être une résurrection bien déterminée du corps dans le monde réel. Mais selon la croyance la plus répandue, l'Esprit trouvait la joie aux Champs-Élysées, où il y avait une grande quantité de nourriture, où l'on n'avait pas à craindre la famine. Où il y avait de l'humidité et des roseaux aux racines profondes, et toutes les joies que peut attendre un peuple vivant sur une terre aride et sous un climat brûlant.
Margaret parla alors avec un sérieux qui traduisait sa conviction intérieure:
– Quant à moi, alors, j'ai la possibilité de comprendre ce qu'était le rêve de cette grande dame de jadis, qui voyait loin et avait une âme élevée; le rêve qui permet à son âme d'attendre patiemment sa réalisation pendant toutes ces dizaines de siècles. Le rêve d'un amour qui pourrait exister; un amour qu'elle sentait qu'elle pourrait, dans certaines conditions nouvelles, inspirer. L'amour qui est le rêve de toute femme; des temps anciens ou nouveaux; païenne ou chrétienne; sous n'importe quel soleil; quel que soit son rang; quelles que soient ses aspirations; quelle qu'aient pu être par ailleurs sa joie et ses peines au cours de son existence. Oh! je connais cela! Je connais cela! Je suis une femme, et je connais le cœur d'une femme. Ce qu'étaient la pénurie ou l'abondance; ce qu'étaient la bombance ou la famine pour cette femme, née dans un palais, avec sur le front l'ombre portée par la Couronne des Deux Égyptes! Ce qu'étaient les marécages couverts de roseaux ou le murmure de l'eau courante pour elle dont les bateaux pouvaient descendre le grand Nil des montagnes jusqu'à la mer! Ce qu'étaient les petites joies et l'absence de petites peurs pour elle qui pouvait d'un geste lever des armées, ou attirer jusqu'aux débarcadères de ses palais le commerce du monde entier! Qui d'une parole, pouvait faire surgir des temples riches de toutes les beautés artistiques des Temps Anciens qu'elle avait pour but et comme plaisir de faire revivre! Sous la direction de qui le roc s'entrouvrait pour lui ménager la sépulture qu'elle avait conçue!
» Je peux la voir dans sa solitude et dans le silence de sa fierté grandiose, rêvant de choses tellement différentes de celles qui l'entouraient. D'un autre pays, loin, très loin sous le dais de la nuit silencieuse, éclairé par la lueur magnifique et glacée des étoiles. Un pays s'étendant sous l'étoile du Nord, d'où soufflent les vents venant tempérer l'air fiévreux du désert. Un pays de verdure pleine de santé, loin, très loin. Où il n'existe pas de clergé aux combinaisons tortueuses; un clergé dont les idées consistaient à accéder au pouvoir par le chemin des temples lugubres et des cavernes, encore plus lugubres, des morts; en suivant un interminable rituel de mort. Un pays où l'amour n'avait rien de vil, mais était une possession divine de l'âme. Où il pourrait y avoir une âme sœur pour lui parler à travers des lèvres mortelles comme les siennes; dont l'être pourrait se mêler au sien dans une douce communion d'âme à âme, tout comme leurs souffles pourraient se mêler dans l'air ambiant. Je connais ce sentiment pour l'avoir éprouvé moi-même. Je peux en parler à présent, depuis que cette bénédiction est survenue dans ma vie. Je peux en parler, puisqu'elle me permet d'interpréter les sentiments, l'âme pleine d'aspirations de cette charmante et ravissante Reine, si différente de ce qui l'entourait, si supérieure à son époque. Dont la nature, mise dans un mot, pouvait contrôler les forces du Monde d'En-Dessous; et dont l'aspiration, traduite dans un nom, bien que gravé sur une pierre précieuse éclairée par les étoiles, pouvait commander à toutes les puissances rassemblées dans le Panthéon des Grands Dieux.
» Et elle sera sûrement satisfaite de trouver le repos dans la réalisation de ce rêve!
Nous autres, les hommes, nous étions restés sans rien dire, pendant que la jeune fille donnait sa magistrale interprétation des desseins ou des buts de cette femme du temps jadis.
Quand nous fûmes tous redescendus sur terre, chacun à notre façon, Mr. Trelawny, tenant dans sa main celle de sa fille, poursuivit son exposé:
– Voyons maintenant quel moment la Reine Tera avait l'intention de choisir pour sa résurrection. Nous touchons ici aux calculs astronomiques concernant l'orientation exacte. Comme vous le savez, les étoiles changent de positions relatives dans le ciel; mais bien que les distances réellement parcourues dépassent la compréhension ordinaire, les effets, tels que nous les observons, sont réduits. Néanmoins, ils sont susceptibles d'être mesurés, non pas par années, en vérité, mais par siècles. C'est par ces moyens que Sir John Herschel est arrivé à déterminer la date de l'édification de la Grande Pyramide – date fixée par le temps nécessaire pour que l'étoile du vrai nord passe du Dragon à l'Étoile Polaire, calcul vérifié grâce à des découvertes ultérieures. De ce qui précède il résulte sans doute possible que l'astronomie était une science exacte chez les Égyptiens mille ans au moins avant l'époque de la Reine Tera. À présent, les étoiles constituant une constellation changent avec le temps de positions relatives, et le Chariot en est un exemple notoire. Les changements dans la position des étoiles même en quarante siècles sont trop faibles pour être constatés par un œil non entraîné à des observations minutieuses, mais ils peuvent être mesurés et vérifiés. Avez-vous, au moins l'un de vous, remarqué l'exactitude avec laquelle les étoiles dans le Rubis correspondent à la position des étoiles dans le Chariot; de même qu'à la position des zones translucides dans le Coffre Magique?