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Il écoutait avec une maîtrise de soi qui, étant donné les circonstances, me paraissait presque miraculeuse. Ce n'était pas de l'impassibilité, car par moments ses yeux brillaient ou lançaient des flammes, et les doigts vigoureux de la main intacte agrippaient le drap, en lui faisant faire des plis qui s'étendaient loin. Cela fut le plus évident lorsque je lui racontai le retour de Corbeck et la découverte des lampes dans le boudoir. Il parlait de temps en temps, mais pour dire à peine quelques mots, comme s'il avait fait inconsciemment un commentaire causé par l'émotion. Les parties mystérieuses, celles qui nous avaient intrigués le plus, ne paraissaient pas avoir pour lui d'intérêt particulier. On aurait dit qu'il les connaissait déjà. Le moment où il laissa paraître le plus d'émotion fut celui où je lui racontai l'épisode des coups de revolver tirés par Daw.

– Quel âne stupide! murmura-t-il en jetant un coup d'œil à travers la chambre sur le cabinet endommagé, avec un dégoût marqué.

Quand je lui parlai de l'anxiété poignante éprouvée par sa fille, de ses soins et de son dévouement sans bornes, de la tendre affection dont elle avait fait montre, il parut très remué. Il y eut comme une sorte de surprise voilée dans son murmure inconscient:

– Margaret! Margaret!

À la fin de mon récit, qui allait jusqu'au moment où Miss Trelawny était sortie pour faire sa promenade (je pensais à elle comme «Miss Trelawny», et non plus comme «Margaret», en présence de son père), il resta assez longtemps silencieux. Cela dura probablement deux ou trois minutes, mais me parut interminable. Puis soudain, il se tourna vers moi et me dit avec vivacité:

– À présent, dites-moi tout sur votre compte!

– Mon nom, comme je vous l'ai dit, est Ross, Malcolm Ross. Je suis avocat de profession. J'ai été nommé Conseiller de la reine la dernière année de son règne. J'ai assez bien réussi.

– Oui, je sais, dit-il à mon grand soulagement. J'ai toujours entendu dire du bien de vous! Où et quand avez-vous fait la connaissance de Margaret?

– D'abord chez les Hay à Belgrave Square, il y a dix jours. Ensuite à un pique-nique en remontant le fleuve avec Lady Strathconnell. Nous avons été de Windsor à Cookham. Mar… Miss Trelawny était dans mon bateau. Je fais un peu d'aviron et j'avais mon bateau à Windsor. Nous avons beaucoup parlé naturellement. J'ai eu un aperçu de sa vie intérieure. Un aperçu comme peut en avoir un homme de mon âge et de mon expérience quand il s'agit d'une jeune fille!

Tandis que je continuais, le visage du père se faisait de plus en plus grave, mais il ne disait mot. Je m'étais à présent engagé dans un exposé bien défini et je poursuivais avec toute la maîtrise que je pouvais exercer sur mon esprit. L'occasion pouvait être également riche en conséquence pour moi:

– Je ne pouvais pas ne pas remarquer qu'il y avait en elle un sentiment qui lui était habituel, celui d'être délaissée. Je croyais le comprendre; je suis moi-même fils unique. Je me risquai à l'encourager à me parler librement, et je fus assez heureux pour y parvenir. Une sorte de confiance s'instaura entre nous.

Il se peignit sur le visage du père quelque chose qui me fit ajouter immédiatement:

– Comme vous pouvez bien l'imaginer, monsieur, rien n'a été dit qui ne fut correct et convenable. Elle m'a simplement parlé de la manière impulsive de quelqu'un qui aspire à exprimer des pensées depuis longtemps soigneusement dissimulées, à se rapprocher d'un père adoré; d'avoir avec lui plus de rapports, d'être en confiance avec lui, plus proche de lui, dans le cercle de ses sympathies. Oh! croyez-moi, monsieur, tout cela était pour le mieux! C'était tout ce que peut espérer et désirer un cœur de père! C'était entièrement loyal. Si elle me parlait à moi, c'était peut-être parce que j'étais presque un étranger et qu'entre nous aucune barrière ne s'était jusque-là dressée pour s'opposer aux confidences.

Ici, je marquai un temps. Il était difficile de continuer, et je craignais de nuire à Margaret par excès de zèle. C'est son père qui dissipa cet état de tension.

– Et vous?

– Monsieur, Miss Trelawny est charmante et belle. Elle est jeune; son âme a la pureté du cristal. Jouir de sa sympathie est une joie. Je ne suis pas vieux, et mon affection n'était pas engagée. Elle ne l'avait jamais été jusqu'à présent. J'espère pouvoir dire tout cela, même à un père.

Involontairement, je baissai les yeux; quand je les relevai, Mr. Trelawny me regardait toujours d'un œil pénétrant. Toute la bonté de son caractère apparut dans son sourire, quand il me tendit la main en disant:

– Malcolm Ross, j'ai toujours entendu parler de vous comme d'un homme intrépide et ayant le sens de l'honneur. Je suis heureux que ma fille ait un ami tel que vous. Continuez!

– Il y a un avantage à vieillir: utiliser judicieusement son expérience. J'en ai beaucoup. Je me suis donné du mal toute ma vie pour en acquérir, et j'ai eu l'impression que j'étais justifié à l'utiliser. Je me suis risqué à demander à Miss Trelawny de me compter au nombre de ses amis; de me permettre de lui venir en aide si l'occasion se présentait. Elle m'a promis de me le permettre. Je ne me doutais guère que l'occasion de lui venir en aide se présenterait aussi vite, et de cette façon. Mais le soir même vous étiez blessé. Dans sa désolation et son anxiété elle a pensé à me faire appeler!

Je marquai un temps. Il continuait à me regarder tandis que je poursuivais:

– Lorsqu'on découvrit votre lettre d'instructions, j'offris mes services. Ils furent acceptés, comme vous le savez.

– Et ces journées, comment se sont-elles passées pour vous?

La question me prit au dépourvu. On y reconnaissait quelque chose de la voix et des manières de Margaret; quelque chose qui rappelait tellement ses moments de légèreté qu'elle fit sortir toute la virilité qu'il y avait en moi. Je me sentais à présent en terrain plus solide et je répondis:

– Ces journées, monsieur, malgré l'anxiété torturante, malgré le chagrin qu'elles apportaient à une jeune fille que je me mettais d'heure en heure à aimer davantage, ont été les plus heureuses de mon existence!

Il resta longtemps silencieux; si longtemps qu'en attendant, le cœur battant, qu'il se remette à parler, je commençais à me demander si je n'avais pas été d'une franchise excessive. Il finit par dire:

– Margaret, mon enfant! Tendre, pleine d'attentions, forte, sûre, courageuse! Comme sa chère mère! Comme sa chère mère!

Et alors, dans le plus profond de mon cœur, je me réjouis d'avoir parlé franchement. Mr. Trelawny dit ensuite:

– Quatre jours! Le seize! Nous sommes donc le 20 juillet?

J'acquiesçai, et il continua:

– Ainsi, j'ai été en catalepsie pendant quatre jours. Ce n'est pas la première fois. Je me suis trouvé dans le même état pendant trois jours, dans d'étranges circonstances; et je ne m'en serais jamais douté si l'on ne m'avait pas dit le temps qui s'était écoulé. Je vous raconterai tout cela un jour, si cela vous intéresse. Pour le moment, il est préférable que je me lève. Quand Margaret rentrera, dites-lui vous-même que je vais très bien. Cela lui épargnera un choc! Et voudriez-vous dire à Corbeck que j'aimerais le voir le plus tôt possible? Je voudrais examiner ces lampes, et tout savoir de ce qui les concerne.

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