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– Comment cela, madame Hudson?

– Eh! Il est si étrange, monsieur. Après que vous êtes parti, il a arpenté la pièce au point que j’étais fatiguée de l’entendre aller et venir. Puis, je l’ai entendu qui parlait tout seul, qui marmonnait, et chaque fois qu’on sonnait il venait sur le palier et criait:

«Qu’est-ce que c’est, madame Hudson?»

«Après il a claqué sa porte, mais je peux l’entendre aller et venir dans sa chambre, comme tout à l’heure. Je me suis risquée à lui toucher deux mots d’une potion calmante, mais il s’est retourné sur moi avec un air tel que je ne sais pas comment je suis sortie de la chambre.

– Je ne pense pas, madame Hudson, que vous ayez aucune raison d’être inquiète. Je l’ai déjà vu comme cela. Il a quelque chose qui le tracasse et qui l’agite.

Je tentais d’en parler à la légère à la digne madame Hudson. Je me sentis moi-même un peu inquiet quand, toute la longue nuit, j’entendis encore le bruit de ses pas, et que je devinai à quel point son esprit ardent s’irritait de cette inaction involontaire.

À l’heure du déjeuner, il avait l’air usé, hagard, avec une petite rougeur de fièvre aux joues.

– Vous vous éreintez, mon vieux, lui dis-je. Je vous ai entendu marcher toute la nuit.

– Non, je ne pouvais pas dormir. Ce problème infernal me dévore. C’est trop fort d’être coincé par un obstacle aussi insignifiant, quand tout le reste a été débrouillé! Je connais les hommes, la chaloupe, tout ce qui est important, et pour tant je n’ai pas de nouvelles. J’ai mis d’autres agences à l’œuvre, et j’ai employé tous les moyens dont je dispose.

La rivière a été entièrement fouillée, des deux côtés, mais on n’a rien obtenu et madame Smith n’a pas entendu parler de son mari. J’en arriverai bientôt à la conclusion qu’ils ont camouflé la chaloupe. Mais il y a des objections à cela.

– Ou que madame Smith nous a mis sur une fausse piste.

– Non. Je crois qu’on peut écarter cette supposition. J’ai pris des renseignements, il y a bien une chaloupe avec ces caractéristiques.

– Aurait-elle remonté la rivière?

– J’ai considéré aussi cette possibilité, et il y a un groupe de chercheurs qui ira jusqu’à Richmond. Si rien de nouveau ne me parvient aujourd’hui, je partirai moi-même demain et je rechercherai les hommes plutôt que le bateau. Mais, à coup sûr, nous saurons quelque chose.

Nous n’apprîmes rien, pourtant. Pas un mot ne vint, soit de Wiggins, soit des autres agences. Il y avait, dans la plupart des journaux, des articles sur la tragédie de Norwood. Ils paraissaient tous être plutôt hostiles au malheureux Thaddée Sholto. Dans aucun, on ne trouvait de nouveaux détails, si ce n’est qu’une enquête judiciaire devait avoir lieu le lendemain. J’allai jusqu’à Camberwell dans la soirée pour informer ces dames de notre insuccès et, à mon retour, je trouvai Sherlock Holmes déprimé et assez morose. Il voulut à peine répondre à mes questions, et toute la soirée il s’occupa d’une analyse chimique délicate, qui impliquait le chauffage de nombreuses cornues et la distillation de vapeurs, ce qui finit par répandre dans la pièce une odeur qui m’en chassa bel et bien. Jusqu’au petit matin, je pus entendre distincte ment le tintement de ses éprouvettes, qui m’annonçait qu’il était toujours occupé à ses expériences malodorantes.

– Je descends à la rivière, Watson, me dit-il. J’ai bien tourné et retourné ça dans ma tête, et je ne vois qu’un moyen d’en sortir. Ça vaut la peine d’essayer, en tout cas.

– Je peux sans doute aller avec vous?

– Non, vous pouvez m’être beaucoup plus utile si vous voulez bien rester ici pour me représenter. Je m’en vais contrecœur, car il y a de grandes chances pour qu’un message arrive dans la journée, quoique Wiggins fût déjà assez découragé hier soir. Je vous prie d’ouvrir toutes les lettres, tous les télégrammes, et d’agir suivant votre propre jugement si quelque nouvelle vous parvient. Puis-je compter sur vous?

– Très certainement.

– J’ai peur que vous ne puissiez me télégraphier, car je peux difficilement vous dire où j’ai des chances d’être. Si je suis en veine pourtant, peut-être ne serai-je pas parti trop longtemps. D’une façon ou d’une autre, j’aurai des nouvelles avant de rentrer.

À l’heure du déjeuner, je n’avais rien appris le concernant. En ouvrant le Standard, cependant, je trouvai un prolongement à l’affaire.

«En ce qui concerne la tragédie d’Upper Norwood, nous avons des raisons de croire que cette affaire promet d’être plus compliquée et plus mystérieuse qu’on ne le supposait d’abord. De nouveaux témoignages ont montré qu’il est tout à fait impossible que monsieur Thaddée Sholto ait pu y être impliqué d’une façon quelconque. Lui et la gouvernante, madame Bernstone, ont été tous deux remis en liberté hier soir. On croit toutefois que la police est sur la piste des vrais coupables, piste suivie par monsieur Athelney Jones, de Scotland Yard, avec toute l’énergie et la sagacité qu’on lui connaît. On doit s’attendre, à tout moment, à d’autres arrestations.»

– C’est assez satisfaisant jusqu’ici, pensai-je. L’ami Sholto s’en tire, en tout cas. Je me demande ce que peut être la nouvelle piste, bien que cela semble une formule stéréo typée toutes les fois que la police a fait une gaffe.

Je jetais le journal sur la table quand mon regard tomba sur une annonce dans la «Petite Correspondance»:

«PERDU: Attendu que Mordecai Smith, batelier, et son fils Jim ont quitté le quai de Smith vers trois heures du matin mardi dernier dans la chaloupe à vapeur l’Aurore, noire avec deux bandes rouges, cheminée noire à bande blanche, on paiera la somme de cinq livres à quiconque pourra donner des renseignements à madame Smith, au quai de Smith, ou à 221 Baker Street, concernant les déplacements dudit Mordecai Smith et l’endroit où se trouve la chaloupe Aurore

C’était là clairement ce qui se rapportait au travail de Sherlock. L’adresse de Baker Street le prouvait assez. Cela me parut plutôt ingénieux, car les fugitifs pouvaient lire cette annonce sans y voir autre chose que l’anxiété d’une femme pour son mari disparu.

Ce fut une longue journée. Chaque fois que l’on frappait à la porte de la maison, chaque fois que j’entendais monter l’escalier, je m’imaginais que c’était ou bien Holmes qui rentrait ou une réponse à son annonce. Je tentais de lire, mais mes pensées vagabondes s’échappaient vers notre étrange enquête, vers ces deux canailles mal assorties que nous poursuivions. Y avait-il, me demandais-je, quelque faille radicale dans le raisonnement de mon compagnon? Ne souffrait-il pas de quelque énorme erreur, par sa propre faute? N’était-il pas possible que son esprit subtil et spéculatif eût bâti cette théorie fantastique sur de fausses prémisses? Je ne l’avais jamais vu avoir tort, et pourtant le logicien le plus pénétrant peut parfois se tromper. Il était vraisemblable, pensais-je, qu’il tombât dans l’erreur par un raffinement exagéré de sa logique, préférant une explication subtile et bizarre, alors qu’une autre plus simple, plus terre à terre s’offrait à lui. D’autre part j’avais vu moi-même l’évidence des preuves et observé sa méthode déductive. Quand je me rappelais la longue chaîne de circonstances curieuses, plusieurs d’entre elles, banales en elles-mêmes, mais tendant toutes dans la même direction, je ne pouvais me dissimuler à moi-même que si l’explication de Holmes était erronée, la vraie solution devait être également étonnante, voire extraordinaire.

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