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– Vos essais?

– Oh! vous ne saviez pas? s’écria-t-il en riant. Oui, je suis coupable d’avoir écrit plusieurs traités, tous sur des questions techniques, d’ailleurs. Celui-ci, par exemple, «Sur la discrimination entre les différents tabacs». Cent quarante variétés de cigares, cigarettes, et tabacs y sont énumérées; des reproductions en couleurs illustrent les différents aspects des cendres. C’est une question qui revient continuellement dans les procès criminels. Des cendres peuvent constituer un indice d’une importance capitale. Si vous pouvez dire, par exemple, que tel meurtre a été commis par un homme fumant un cigare de l’Inde, cela restreint évidemment votre champ de recherches. Pour l’œil exercé, la différence est aussi vaste entre la cendre noire d’un «Trichinopoly» et le blanc duvet du tabac «Bird’s Eye», qu’entre un chou et une pomme de terre.

– Vous êtes en effet remarquablement doué pour les petits détails!

– J’apprécie leur importance. Tenez, voici mon essai sur la détection des traces de pas, avec quelques remarques concernant l’utilisation du plâtre de Paris pour préserver les empreintes… Un curieux petit ouvrage, celui-là aussi! Il traite de l’influence des métiers sur la forme des mains, avec gravures à l’appui, représentant des mains de couvreurs, de marins, de bûcherons, de typographes, de tisserands, et de tailleurs de diamants. C’est d’un grand intérêt pratique pour le détective scientifique surtout pour découvrir les antécédents d’un criminel et dans les cas de corps non identifiés. Mais je vous ennuie avec mes balivernes!

– Point du tout! répondis-je sincèrement. Cela m’intéresse beaucoup; surtout depuis que j’ai eu l’occasion de vous voir mettre vos balivernes en application. Mais vous parliez, il y a un instant, d’observation et de déduction. Il me semble que l’un implique forcément l’autre, au moins en partie.

– Bah, à peine! dit-il en s’adossant confortablement dans son fauteuil, tandis que de sa pipe s’élevaient d’épaisses volutes bleues. Ainsi, l’observation m’indique que vous vous êtes rendu à la poste de Wigmore Street ce matin; mais c’est par déduction que je sais que vous avez envoyé un télégramme.

– Exact! m’écriai-je. Correct sur les deux points! Mais j’avoue ne pas voir comment vous y êtes parvenu. Je me suis décidé soudainement et je n’en ai parlé à quiconque.

– C’est la simplicité même! remarqua-t-il en riant doucement de ma surprise. Si absurdement simple qu’une explication paraît superflue. Pourtant, cet exemple peut servir à définir les limites de l’observation et de la déduction. Ainsi, j’observe des traces de boue rougeâtre à votre chaussure. Or, juste en face de la poste de Wigmore Street, la chaussée vient d’être défaite; de la terre s’y trouve répandue de telle sorte qu’il est difficile de ne pas marcher dedans pour entrer dans le bureau. Enfin, cette terre est de cette singulière teinte rougeâtre qui, autant que je sache, ne se trouve nulle part ailleurs dans le voisinage. Tout ceci est observation. Le reste est déduction.

– Comment, alors, avez-vous déduit le télégramme?

– Voyons, je savais pertinemment que vous n’aviez pas écrit de lettre puisque toute la matinée je suis resté assis en face de vous. Je puis voir également sur votre bureau un lot de timbres et un épais paquet de cartes postales. Pourquoi seriez-vous donc allé à la poste, sinon pour envoyer un télégramme? Éliminez tous les autres mobiles, celui qui reste doit être le bon.

– C’est le cas cette fois-ci, répondis-je après un moment de réflexion. La chose est, comme vous dites, extrêmement simple… Me prendriez-vous cependant pour un impertinent si je soumettais vos théories à un examen plus sévère?

– Au contraire, répondit-il. Cela m’empêchera de prendre une deuxième dose de cocaïne. Je serais enchanté de me pencher sur un problème que vous me soumettriez.

– Je vous ai entendu dire qu’il est difficile de se servir quotidiennement d’un objet sans que la personnalité de son possesseur y laisse des indices qu’un observateur exercé puisse lire. Or, j’ai acquis depuis peu une montre de poche. Auriez-vous la bonté de me donner votre opinion quant aux habitudes ou à la personnalité de son ancien propriétaire?»

Je lui tendis la montre non sans malice: l’examen, je le savais, allait se révéler impossible, et le caquet de mon compagnon s’en trouverait rabattu. Il soupesa l’objet, scruta attentivement le cadran, ouvrit le boîtier et examina le mouvement d’abord à l’œil nu, puis avec une loupe. J’eus du mal à retenir un sourire devant son visage déconfit lorsqu’il referma la montre et me la rendit.

«Il n’y a que peu d’indices, remarqua-t-il. La montre ayant été récemment nettoyée, je suis privé des traces les plus évocatrices.

– C’est exact! répondis-je. Elle a été nettoyée avant de m’être remise.»

En moi-même, j’accusai mon compagnon de présenter une excuse boiteuse pour couvrir sa défaite. Quels indices pensait-il tirer d’une montre non nettoyée?

«Bien que peu satisfaisante, mon enquête n’a pas été entièrement négative, observa-t-il, en fixant le plafond d’un regard terne et lointain. Si je ne me trompe, cette montre appartenait à votre frère aîné qui l’hérita de votre père.

– Ce sont sans doute les initiales H. W. gravées au dos du boîtier qui vous suggèrent cette explication?

– Parfaitement. Le W. indique votre nom de famille. La montre date de près de cinquante ans; les initiales sont aussi vieilles que la montre qui fut donc fabriquée pour la génération précédente. Les bijoux sont généralement donnés au fils aîné, lequel porte généralement de nom de son père. Or, votre père, si je me souviens bien, est décédé depuis plusieurs années. Il s’ensuit que la montre était entre les mains de votre frère aîné.

– Jusqu’ici, c’est vrai! dis-je. Avez-vous trouvé autre chose?

– C’était un homme négligent et désordonné; oui, fort négligent. Il avait de bons atouts au départ, mais il les gaspilla. Il vécut dans une pauvreté coupée de courtes périodes de prospérité; et il est mort après s’être adonné à la boisson. Voilà tout ce que j’ai pu trouver.»

L’amertume déborda de mon cœur. Je bondis de mon fauteuil et arpentai furieusement la pièce malgré ma jambe blessée.

«C’est indigne de vous, Holmes! m’écriai-je. Je ne vous aurais jamais cru capable d’une telle bassesse! Vous vous êtes renseigné sur la vie de mon malheureux frère: et vous essayez de me faire croire que vous avez déduit ces renseignements par je ne sais quel moyen de fantaisie.

«Ne vous attendez pas à ce que je croie que vous avez lu tout ceci dans une vieille montre! C’est un procédé peu charitable qui, pour tout dire, frôle le charlatanisme.

– Mon cher docteur, je vous prie d’accepter mes excuses, dit-il gentiment. Voyant l’affaire comme un problème abstrait, j’ai oublié combien cela vous touchait de près et pouvait vous être pénible. Je vous assure, Watson, que j’ignorais tout de votre frère et jusqu’à son existence avant d’examiner cette montre.

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