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» Son père le tenait d’un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on remontât à celui qui l’avait entendu raconter par l’artiste qui avait peint, sans pinceaux, toutes ces peintures, blanches, bleues ou rouges que vous voyez là; le peintre, en montrant au roi Pharamond le château, arrivé à ce rocher d’Ischia que je viens de vous faire voir, lui dit ce que je vais vous répéter.

» Il lui dit que, du brave chevalier qui le défendait avec tant d’ardeur, et qui semblait mépriser le feu qui de tous côtés l’entourait jusqu’au phare, devait naître en ces temps ou à peu près – et il lui dit l’année et le mois – un chevalier, qui surpasserait tous ceux qui jusqu’alors avaient existé au monde.

» Nirée avait été moins beau, Achille moins brave, Ulysse moins hardi, Lada moins léger à la course, Nestor moins prudent, lui qui sut tant de choses et qui vécut si longtemps, César moins libéral et moins clément, que ne devait être celui qui naîtrait dans l’île d’Ischia, et qui devait dépasser toute la renommée de ces grands hommes.

» Et si l’antique Crète se glorifia d’avoir donné naissance au petit-fils de Célus; si Thèbes fut fière de Bacchus et d’Hercule; si Délos s’enorgueillit des deux jumeaux, cette île pourra aussi se réjouir et se dresser fièrement sous le ciel, quand naîtra dans son sein le grand marquis envers lequel le ciel se montrera si prodigue de faveurs de toute sorte.

» Ainsi lui dit Merlin, et il lui répéta à plusieurs reprises que ce héros devait naître à l’époque où l’empire romain serait le plus opprimé, pour qu’il lui rendît la liberté. Mais comme je vous montrerai par la suite plusieurs de ses hauts faits, je n’ai pas à vous en parler d’avance.» Ainsi il dit, et il revint à l’histoire où se voyaient les merveilleuses prouesses de Charles.

» Ici – disait-il – Ludovic se repent d’avoir fait venir Charles en Italie, car il l’avait appelé pour combattre son ancien rival et non pour le chasser lui-même. Il s’allie aux Vénitiens, et, devenu son ennemi, il veut le faire prisonnier au retour. Mais le vaillant roi abaisse sa lance et s’ouvre un chemin à travers ses nouveaux ennemis.

» Mais ceux des siens qu’il a laissés à la garde du nouveau royaume éprouvent un sort bien différent. Ferrante, grâce à l’aide que lui prête le seigneur de Mantoue, revient si vivement à la charge, qu’en peu de mois, sur terre et sur mer, il n’en laisse pas un vivant. Mais la perte d’un de ses plus vaillants compagnons, traîtreusement frappé, l’empêche de ressentir toute la joie de sa victoire.»

Ainsi disant, il montre le marquis Alphonse de Pescaire, puis il ajoute: «Celui-ci, après avoir brillé comme un rubis en mille entreprises, succombe sous la trahison ourdie contre lui par un double traître d’Éthiopien; le meilleur chevalier de cette époque tombe le cœur percé d’une flèche.»

Puis il montre l’endroit où l’on voit Louis XII, après avoir passé les Alpes, chasser le More, et planter la fleur de lys sur la terre des Visconti. Marchant sur les traces de Charles, il veut jeter un pont sur le Carigliano, mais il voit ses gens rompus, dispersés, périr engloutis dans le fleuve.

«Voyez dans la Pouille un non moindre carnage de l’armée française, mise en déroute. C’est l’Espagnol Ferdinand de Gonzague, qui deux fois l’a prise comme dans une souricière. Mais autant la Fortune s’était en cette circonstance montrée rebelle à Louis, autant elle lui est favorable dans les riches plaines que baigne l’Adriatique, et que le Pô divise en deux parties égales du côté de l’Apennin et du côté des Alpes.»

Ainsi disant, il s’accuse lui-même d’avoir oublié ce qu’il aurait dû dire tout d’abord. Il retourne sur ses pas, et montre un chevalier qui vend le château dont son maître lui avait confié la garde. Il montre le Suisse perfide faisant prisonnier celui-là même dont il touche la solde. Ces deux trahisons donnent la victoire au roi de France, sans qu’il ait besoin d’abaisser sa lance.

Puis il montre César Borgia s’élevant en Italie par la faveur de ce roi. Tout baron de Rome, tout seigneur qui s’oppose à lui, est envoyé en exil. Puis il montre le roi qui, après avoir expulsé la Scie de Bologne, y fait entrer les Glands. Il montre les Génois révoltés, mis en fuite et leur cité soumise.

«Voyez – dit-il ensuite – la campagne de Giaradadda couverte de morts. Toutes les villes ouvrent leurs portes au roi; Venise seule résiste à peine. Voyez comme, après avoir franchi les frontières de la Romagne, il chasse le pape de Modène, qu’il enlève au duc de Ferrare. Il ne s’arrête point là; il veut lui enlever ce qui lui reste de ses États.

» Il lui enlève Bologne, et y fait rentrer la famille des Bentivoglio. Voyez l’armée des Français mettre Brescia à sac, après qu’il l’a reprise. D’un même coup, il secourt Felsina et met le désordre dans le camp du pape. Les deux armées se concentrent ensuite à forces égales sur les basses plages de Chiassi:

» D’un côté l’armée française, de l’autre les troupes espagnoles considérablement accrues, et grande est la bataille. De part et d’autre les gens d’armes jonchent la terre et la rougissent. Chaque fossé semble plein de sang humain. Mars balance pour savoir à qui il donnera la victoire. Enfin, grâce à la valeur d’un Alphonse, on voit l’armée française rester maîtresse du terrain, et l’Espagnol céder.

» Ravennes est saccagée. Le pape se mord les lèvres de douleur; il fait descendre des Alpes, comme une tempête, une tourbe d’Allemands qui chassent au delà des monts les Français incapables de leur tenir tête, et qui vengent le More en déracinant les Lys d’or implantés dans son jardin.

» Voici que les Français reviennent de nouveau; les voici mis en déroute par les Suisses infidèles que le jeune duc a appelés imprudemment à son aide, bien qu’ils aient fait prisonnier et vendu son père. Voyez plus loin l’armée que la Fortune avait mise sous sa roue, conduite par le nouveau roi, lequel se prépare à venger la honte de Novare.

» La voici qui revient encore sous de meilleurs auspices. Voyez le roi François, qui s’avance à sa tête et qui met les Suisses en une telle déroute, qu’il s’en manque de peu qu’il ne les ait détruits. Ces soudards brutaux perdent à jamais le titre usurpé par eux de dompteurs de princes et de défenseurs de l’Église chrétienne.

» Là, malgré la Ligue, François prend Milan et la donne au jeune Sforce. Là, Bourbon défend la ville pour le roi de France contre la fureur tudesque. Plus loin, pendant que le roi François s’apprête à tenter de nouvelles entreprises et qu’il ignore l’orgueil et la cruauté déployés par ses soldats, voici que la ville lui est enlevée.

» Voici un autre François qui ressemble non seulement de nom, mais par le courage à son aïeul. Il chasse les Français, et avec l’aide des États de l’Église, reconquiert son domaine paternel. Les Français reviennent encore; mais ils n’avancent que prudemment, sans parcourir l’Italie à vol d’oiseau comme ils avaient jusque-là coutume. Le brave duc de Mantoue leur ferme le passage, et les arrête sur le Tessin.

» Frédéric, dont les joues sont encore embellies des premières fleurs de la jeunesse, acquiert une éternelle gloire en défendant avec la lance, mais plus encore par son activité et son génie, Pavie menacée par la fureur française, et en déjouant les projets du Lion de la mer. Voyez ces deux marquis, la terreur de nos soldats et l’honneur de l’Italie.

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