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Le combat opiniâtre présenta longtemps des chances égales, et l’on n’aurait pu y discerner le moindre avantage d’un côté ou d’autre. On voyait les deux armées avancer et reculer comme les moissons à la brise de mai, ou comme les vagues mobiles qui vont et viennent sur le rivage, sans suivre une même direction. Puis, après s’être quelque temps réjouie de ce jeu sanglant, la Fortune redevint à la fin contraire aux Maures.

Le duc de Glocester fait vider les arçons à Mataliste; en même temps, Fiéramont renverse Follicon après l’avoir blessé à l’épaule droite; les deux païens sont faits prisonniers des Anglais. De son côté, Baricondo est tué de la main du duc de Clarence.

Les païens en conçoivent tant d’épouvante et les fidèles tant d’ardeur, que les premiers ne songent qu’à battre en retraite et à fuir en désordre, tandis que les autres gagnent toujours du terrain et ne pensent qu’à tuer et à poursuivre les ennemis. S’il ne leur était pas venu du secours, les Sarrasins auraient été anéantis sur ce point.

Mais Ferragus qui, jusque-là ne s’était pas trop écarté du roi Marsile, voyant fuir les bannières, et l’armée sarrasine à moitié détruite, éperonne son cheval et le pousse à l’endroit où la bataille était le plus acharnée. Il arrive juste à temps pour voir tomber de son destrier, avec la tête fendue, Olympe de la Serre.

C’était un jouvenceau qui, par les doux sons de sa lyre à deux cornes, se faisait fort d’attendrir les cœurs, fussent-ils plus durs que la pierre. Heureux s’il avait su se contenter d’un tel pouvoir, et s’il avait eu en horreur, les boucliers, les arcs, les flèches, les cimeterres et les lances qui le firent mourir si jeune sur la terre de France!

Quand Ferragus le voit tomber, lui qui l’aimait et qui le tenait en grande estime, il ressent de sa perte plus de douleur que de celle de mille autres tués avant lui. Il frappe son meurtrier avec une telle force, qu’il le partage en deux depuis la cime du casque, lui fend le front, les yeux, la figure, jusqu’au milieu de la poitrine, et le jette mort à terre.

Il ne s’arrête pas là; il brandit son épée en cercle, rompt les casques, brise les cottes de mailles; marque celui-ci au front, cet autre à la joue; coupe à l’un la tête, à l’autre le bras; il répand tant de sang, il tue tant de monde, que la bataille est suspendue en cet endroit, et que la vile multitude épouvantée fuit sans ordre, massacrée et rompue.

Le roi Agramant, désireux de faire preuve de vaillance et de prendre part au carnage, se jette dans la mêlée. Il a près de lui Balivers, Farulant, Prusion, Soridan et Bambirague. Puis vient une multitude de guerriers sans nom, qui feront en ce jour un lac de leur sang répandu. On compterait plus facilement chaque feuille qui tombe quand l’automne dépouille les arbres.

Agramant ayant fait venir des remparts un grand nombre de cavaliers et de fantassins, les envoie en toute hâte, sous les ordres du roi de Fez, sur les derrières de l’armée, pour s’opposer aux gens d’Irlande dont on voyait les bataillons accourir tumultueusement dans le but d’occuper les logements des Sarrasins.

Le roi de Fez exécute promptement cet ordre, car tout retard aurait été funeste. Pendant ce temps, le roi Agramant rassemble le reste de ses troupes et les entraîne à la bataille. Il se dirige vers le fleuve, car il lui semble qu’en cet endroit on a besoin de sa présence, un messager du roi Sobrin étant venu demander du secours.

Il conduisait, réunie en une seule troupe, plus de la moitié de son armée. À la seule rumeur produite par cette masse, les Écossais sont terrifiés, et leur frayeur est telle, qu’ils n’écoutent plus la voix de l’honneur et rompent leurs rangs. Zerbin, Lurcanio et Ariodant, restent seuls au milieu de la débâcle pour arrêter l’attaque furieuse des ennemis. Zerbin, qui était à pied, y eût probablement péri, si le brave Renaud ne s’en était aperçu à temps.

Le paladin combattait d’un autre côté, et avait vu fuir devant lui plus de cent bannières. Dès que lui parvient la fâcheuse nouvelle du grand péril que courait Zerbin, démonté et abandonné par les siens au milieu des gens de Cyrène, il fait faire volte face à son cheval, et il se dirige rapidement vers l’endroit où il aperçoit les fuyards.

Il arrive à l’endroit où il voit les Écossais revenir en fuyant; il leur crie: «Où allez-vous? Êtes-vous donc assez lâches pour laisser le champ de bataille à une si vile canaille? Où sont les dépouilles dont je croyais que vous deviez orner vos églises? Quelle gloire, quels éloges pensez-vous mériter en abandonnant le fils de votre roi seul et à pied?»

Il prend des mains de son écuyer une énorme lance, et voyant non loin de là Prusion, roi d’Alfarache, il fond sur lui, lui fait vider les arçons et le jette mort sur la plaine. Il couche à terre Agricalte et Bambirague; puis il blesse grièvement Soridan; et il l’aurait occis comme les autres, si sa lance avait été plus forte.

Il saisit Flamberge, sa lance s’étant rompue. Il en frappe Serpentin, le chevalier aux étoiles, dont les armes étaient enchantées; néanmoins le coup l’envoie évanoui hors de selle. C’est ainsi que Renaud fait une place belle et spacieuse autour du prince d’Écosse, ce qui permet à ce dernier de saisir au passage un destrier dont la selle est vide, et d’y monter.

Il était temps, et s’il avait un peu plus tardé, il n’aurait probablement pas pu le faire, car Agramant, Dardinel, Sobrin et le roi Balastro arrivaient tous à la fois. Mais Zerbin, qui a pu se mettre auparavant en selle, fait tournoyer son glaive, envoyant tantôt celui-ci, tantôt celui-là porter en enfer des nouvelles des vivants.

Le brave Renaud, qui s’attaquait toujours de préférence aux plus redoutables, dirige son épée contre le roi Agramant, qui lui paraît beaucoup trop vaillant et hardi – il faisait, en effet, plus de besogne à lui seul que mille autres guerriers – et se précipite sur lui avec Bayard. Il le frappe et le heurte tout à la fois en plein flanc, et le renverse ainsi que son destrier.

Pendant qu’en dehors des murs, la haine, la rage, la fureur poussent les deux armées à s’exterminer dans une si cruelle bataille, Rodomont, dans Paris, égorge la population et brûle les palais et les temples sacrés. Charles, qui combat sur un autre point, ne voit rien de cela et n’en entend point parler. Il est occupé à recevoir dans la ville Odoard et Ariman avec leurs troupes de Bretagne.

Lorsque arrive près de lui un écuyer, la pâleur au visage, et qui peut à peine tirer un souffle de sa poitrine: «Hélas! seigneur, hélas! – répète-t-il plusieurs fois, avant de pouvoir dire autre chose, – aujourd’hui l’empire romain descend dans la tombe; le Christ a abandonné aujourd’hui son peuple; un démon est tombé du ciel pour rendre cette cité à jamais inhabitable.

» Satan, – ce ne peut être un autre que lui, – ruine et détruit la malheureuse cité. Tourne-toi et regarde les tourbillons de fumée produits par la flamme dévastatrice. Écoute la plainte qui retentit jusqu’au ciel et vient confirmer ce que te dit ton serviteur. C’est un seul homme qui, par le fer et le feu, saccage ta belle ville; et devant lui chacun prend la fuite.»

Comme celui qui commence par entendre le tumulte et le battement répété du tocsin, puis aperçoit près de lui, et le touchant presque, l’incendie que chacun connaissait déjà, tel est le roi Charles en apprenant cette nouvelle calamité, et en en recevant de ses propres yeux la confirmation. Il dirige sur-le-champ le gros de ses meilleures troupes vers l’endroit où il entend les cris et la grande rumeur.

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