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VII

Je m’étais mis fort en retard, et, sitôt de retour à Paris, s’emparèrent de moi mille soucis qui déroutèrent enfin mes pensées. La résolution que j’avais prise de retourner l’été suivant à la Quartfourche tempérait mes regrets de n’avoir su pousser plus loin une aventure que je commençais d’oublier lorsque, vers la fin de janvier, je reçus un double faire-part. Les époux Floche avaient tous deux exhalé vers Dieu leur âme tremblante et douce, à quelques jours d’intervalle. Je reconnus sur l’enveloppe du faire-part l’écriture de Mademoiselle Verdure; mais c’est à Casimir que j’envoyai l’expression banale de mes regrets et de ma sympathie. Deux semaines après je reçus cette lettre:

Mon cher Monsieur Gérard,

(L’enfant n’avait jamais pu se décider à m’appeler par mon nom de famille.

– Comment vous appelez-vous, vous? m’avait-il demandé dans une promenade, précisément le jour où j’avais commencé à le tutoyer.

– Mais tu le sais bien, Casimir, je m’appelle Monsieur Lacase.

– Non; pas ce nom-là, l’autre? réclamait-il.)

Vous êtes bien bon de m’avoir écrit, et votre lettre a été bien bonne parce qu’à présent la Quartfourche est bien triste. Ma grand-maman avait eu jeudi une attaque et ne pouvait plus quitter sa chambre; alors maman est revenue à la Quartfourche et l’abbé est parti parce qu’il avait été curé du Breuil. C’est après ça que mon oncle et ma tante sont morts. D’abord mon oncle est mort, qui vous aimait bien, et puis dimanche après ma tante qui a été malade trois jours. Maman n’était plus là. J’étais tout seul avec Loly et Delphine, la femme de Gratien, qui m’aime bien; et ça été très triste parce que ma tante ne voulait pas me quitter. Mais il a bien fallu. Alors maintenant je couche dans la chambre à côté de Delphine, parce que Loly a été rappelée dans l’Orne par son frère. Gratien aussi est très bon pour moi. Il m’a montré à faire des boutures et des greffes, ce qui est très amusant, et puis j’aide à abattre les arbres.

Vous savez, votre petit papier ousque vous avez écrit votre promesse, il faut l’oublier parce qu’il n’y aurait plus personne ici pour vous recevoir. Mais ça me fait beaucoup de chagrin de ne pas vous revoir parce que je vous aimais bien. Mais je ne vous oublie pas.

Votre petit ami,

CASIMIR.

La mort de Monsieur et Madame Floche m’avait laissé assez indifférent, mais cette lettre maladroite et dépourvue me remua. Je n’étais pas libre en ce moment, mais je me promis, dès les vacances de Pâques, de pousser une reconnaissance jusqu’à la Quartfourche. Que m’importait qu’on ne pût m’y recevoir? Je descendrais à Pont-l’Évêque et louerais une voiture. Ai-je besoin d’ajouter que la pensée d’y retrouver peut-être la mystérieuse Isabelle m’y attirait autant que ma grande pitié pour l’enfant. Certains passages de cette lettre me restaient incompréhensibles; j’enchaînais mal les faits. L’attaque de la vieille, l’arrivée d’Isabelle à la Quartfourche, le départ de l’abbé, la mort des vieux à laquelle leur nièce n’assistait point, le départ de Mademoiselle Verdure… ne fallait-il voir là qu’une suite fortuite d’événements, ou chercher entre eux quelque rapport? Ni Casimir n’aurait su, ni l’abbé voulu m’en instruire. Force était d’attendre avril. Dès mon second jour de liberté, je partis.

À la station de Breuil, j’aperçus l’abbé Santal qui s’apprêtait à prendre mon train; je le hélai:

– Vous revoilà dans le pays, fit-il.

– Je ne pensais pas en effet y revenir si tôt.

Il monta dans mon compartiment. Nous étions seuls.

– Eh bien! Il y a eu du nouveau depuis votre visite.

– Oui; j’appris que vous desserviez à présent la cure du Breuil.

– Ne parlons pas de cela; et il étendait la main d’un geste que je reconnus. Vous avez reçu un faire-part?

– Et j’ai envoyé aussitôt mes condoléances à votre élève; c’est par lui que j’ai eu ensuite des nouvelles; mais il m’a peu renseigné. J’ai failli vous écrire pour vous demander quelques détails.

– Il fallait le faire.

– J’ai pensé que vous ne me renseigneriez pas volontiers, ajoutai-je en riant.

Mais, sans doute tenu à moins de discrétion que du temps où il était à la Quartfourche, l’abbé semblait disposé à parler.

– Croyez-vous que c’est malheureux, ce qui se passe là-bas? dit-il. Toutes les avenues vont y passer!

Je ne comprenais point d’abord; puis la phrase de Casimir me revint à la mémoire: «J’aide à abattre des arbres…»

– Pourquoi fait-on cela? demandai-je naïvement.

– Pourquoi? mon bon Monsieur. Allez donc le demander aux créanciers. Au reste ça n’est pas eux que ça regarde, et tout se fait derrière leur dos. La propriété est couverte d’hypothèques. Mademoiselle de Saint-Auréol enlève tout ce qu’elle peut.

– Elle est là-bas?

– Comme si vous ne le saviez pas!

– Je le supposais simplement d’après quelques mots de…

– C’est depuis qu’elle est là-bas que tout va mal. – Il se ressaisit un instant; mais cette fois le besoin de parler l’emporta; il n’attendait même plus mes questions et je jugeai plus sage de n’en point faire; il reprit:

– Comment a-t-elle appris la paralysie de sa mère? c’est ce que je n’ai pas pu m’expliquer. Quand elle a su que la vieille baronne ne pouvait plus quitter son fauteuil, elle s’est amenée avec son bagage, et Mme Floche n’a pas eu le courage de la mettre dehors. C’est alors que moi je suis parti.

– Il est très triste que vous ayez ainsi laissé Casimir.

– C’est possible, mais ma place n’est pas auprès d’une créature… J’oublie que vous la défendiez!…

– Je le ferais peut-être encore, Monsieur le curé.

– Allez toujours. Oui, oui; Mademoiselle Verdure aussi la défendait. Elle l’a défendue jusqu’au temps qu’elle ait vu mourir ses maîtres.

J’admirais que l’abbé eût à peu près complètement dépouillée cette élégance de langage qu’il revêtait à la Quartfourche; il avait adopté déjà le geste et le parler propres aux curés des villages normands. Il reprit, poursuivant son propos:

– À elle aussi ça a paru drôle de les voir mourir tous les deux à la fois.

– Est-ce que…?

– Je ne dis rien; – et il gonflait sa lèvre supérieure par vieille habitude, mais repartait tout aussitôt:

– N’empêche que dans le pays on jasait. Ça déplaisait de voir hériter la nièce. Et vous voyez qu’elle aussi, la Verdure, a jugé préférable de s’en aller.

– Qui reste auprès de Casimir?

– Ah! vous avez tout de même compris que sa mère n’est pas une société pour l’enfant. Eh bien! il passe presque tout son temps chez les Chointreuil, vous savez bien: le jardinier et sa femme.

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